par Piotr Moszynski
Article publié le 01/04/2008 Dernière mise à jour le 01/04/2008 à 20:07 TU
Il n’y aura sans doute pas de référendum sur la ratification du Traité de Lisbonne en Pologne. A l’issue de longues et âpres discussions entre l’opposition conservatrice et la coalition gouvernementale de centre-droit, la Diète a finalement adopté une loi autorisant le président de la République à ratifier le Traité. Mais le chef de l’Etat peut encore refuser de le faire…
La ratification du Traité de Lisbonne par la Pologne a longtemps été menacée par un blocage de la part du parti Droit et Justice (PiS) des frères Kaczynski. Le PiS a pris le traité en otage en espérant se refaire une jeunesse à l’occasion du débat parlementaire à son sujet. Le parti perd systématiquement en soutien dans les sondages depuis sa défaite électorale en octobre 2007. Les dernières enquêtes d’opinion en date ne le créditent que de 18-20% des voix. Sous l’influence de sa frange la plus radicale, liée à l’ultra catholique Radio Maryja, Droit et Justice essaie de récupérer l’électorat des deux petits partis populistes, éliminés du Parlement lors des dernières législatives et disparaissant lentement mais sûrement de la scène politique : le petit parti paysan Autodéfense d’Andrzej Lepper et la national-catholique Ligue des familles polonaises.
Phobies et obsessions
Le débat parlementaire précédant la ratification du Traité de Lisbonne constituait une excellente occasion pour Lech et Jaroslaw Kaczynski – respectivement président de la République et ancien Premier ministre – d’émettre un signal fort à l’intention de ces électeurs, pour les convaincre que c’était le PiS qui exprimait le mieux leurs phobies antieuropéennes, leurs obsessions nationalistes et leur conservatisme dans le domaine des mœurs. Le parti a donc demandé que la loi de ratification soit dotée d’un long préambule comportant des garanties sur l’immuabilité des concessions que la Pologne a obtenues lors de négociations sur le Traité. Il s’agit en particulier de la non-application de la Charte des droits fondamentaux et de l’application du compromis de Ioannina qui permet aux Etats membres de retarder les décisions de l’Union européenne qui ne leur plaisent pas.
Pour justifier son exigence d’inscription dans la loi de la condition d’un accord simultané du président, du Parlement et du gouvernement pour toute rétractation de ces points du Traité, le PiS a eu recours aux coups vraiment bas. Il prétendait, par exemple, qu’en cas d’approbation de la Charte des droits fondamentaux, la Pologne serait obligée de légaliser les mariages homosexuels et qu’elle risquerait de voir les Allemands réclamer leurs terres situées dans les territoires récupérés par la Pologne à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale. Le message télévisé du président Lech Kaczynski à la nation, diffusé en plein débat sur la ratification du Traité de Lisbonne, était entrecoupé d’images montrant un couple homosexuel en train de se marier et quelques anciennes cartes allemandes des territoires actuellement polonais…
La majorité des deux-tiers étant requise en Pologne pour ratifier un traité, le parti des frères jumeaux dispose d’une capacité de blocage. La coalition gouvernementale a donc brandi la menace d’un référendum. Selon les sondages, dans ce cas de figure 75% des Polonais voteraient pour la ratification, ce qui serait un énorme camouflet pour Droit et Justice. Ce qui l’a sans doute amené à accepter un compromis selon lequel ses exigences ne seront pas exposées dans la loi de ratification elle-même, mais dans une résolution séparée du Parlement. L’accord en ce sens a été scellé lors d’une longue rencontre du président Lech Kaczynski avec le Premier ministre Donald Tusk dans la résidence présidentielle au bord de la Mer Baltique. Le chef de l’Etat s’est engagé à faire pression sur son parti pour qu’il l’approuve – et il a visiblement réussi.
Une voie longue et pénible
En approuvant ce compromis, la Plateforme civique – au pouvoir avec un petit parti paysan, PSL – se prive d’une belle occasion d’humilier ses adversaires du PiS, mais rassure l’Europe et évite tous les risques liés au référendum. Surtout celui de ne pas atteindre la participation de 50%, exigée par la loi. Sur le plan politique, le parti de Donald Tusk rafle pratiquement toute la mise. La loi de ratification votée par le Parlement correspond exactement à ses exigences. La résolution de la Diète qui l’accompagne satisfait celles du PiS, mais n’est pas juridiquement contraignante. Radio Maryja et les autres radicaux nationalistes crient à la trahison, mais cela n’aura sans doute pas beaucoup de conséquences politiques, sauf peut-être une montée de tensions internes au sein du PiS. La coalition gouvernementale doit toutefois se garder de crier victoire trop vite. Lech Kaczynski a 21 jours pour signer la loi de ratification et il entend bien en profiter. De surcroît, il menace de ne pas le faire si les garanties réclamées par le PiS ne sont pas inscrites dans une nouvelle loi introduisant les changements exigés par le Traité de Lisbonne dans la législation polonaise. Seulement, les experts jugent ces garanties non conformes à la Constitution. Ainsi, la loi en question risquerait d’être invalidée par la Cour constitutionnelle. Dans ce cas, le conflit politique à grande échelle repartirait de plus belle. Et la prise en otage du Traité de Lisbonne par les frères Kaczynski aussi…
Avec le vote du Parlement polonais, l’Union européenne évite – du moins, pour l’instant – un sérieux écueil sur la longue et relativement pénible voie vers la ratification du Traité de Lisbonne et sa mise en œuvre. Le processus doit être achevé avant le 1er janvier 2009, mais il y a de forts risques que plusieurs pays n’y arrivent que vers la fin de l’année. Jusqu’à présent, seuls cinq Etats sur vingt-sept ont ratifié le Traité : la Hongrie, Malte, la Slovénie, la Roumanie et la France. La Pologne deviendra le sixième pays dès la signature de la loi de ratification par le président Kaczynski. En attendant que les autres trouvent des solutions aux problèmes avec leurs Constitutions et leurs oppositions – et que l’Irlande organise un référendum…
Sur le même sujet