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Pologne

La Pologne nouvelle est arrivée

par Piotr Moszynski

Article publié le 08/01/2008 Dernière mise à jour le 08/01/2008 à 17:40 TU

Plusieurs nouveaux éléments sont perceptibles dans la politique étrangère polonaise depuis l’arrivée aux affaires, il y a deux mois, du gouvernement de Donald Tusk. Sans mettre en cause ses alliances et ses principes stratégiques, la Pologne semble vouloir rééquilibrer ses relations avec Washington et Moscou. Pour ce faire, elle joue surtout sur les dossiers du bouclier antimissile américain et du gazoduc russo-allemand sous la Mer Baltique.

Le président polonais Lech Kaczynski (g) a designé aux fonctions de Premier ministre Donald Tusk (d), le 9 novembre 2007.(Photo : Reuters)

Le président polonais Lech Kaczynski (g) a designé aux fonctions de Premier ministre Donald Tusk (d), le 9 novembre 2007.
(Photo : Reuters)

Pendant les deux ans du gouvernement PiS (Droit et Justice) des frères jumeaux Jaroslaw et Lech Kaczynski, la politique étrangère polonaise semblait subordonnée à deux principes simples : on refuse peu aux Américains, on refuse tout aux Russes. Bien sûr, il y a toujours eu de la place pour des nuances et pour des négociations, mais l’impression générale – largement relayée par la presse mondiale – était bien celle-ci. Bien qu’un peu caricaturale, cette vision correspond à une réalité politique bien ancrée dans l’histoire.

Les Polonais n’ont pas beaucoup de raisons historiques de faire confiance à la Russie – après, d’abord, 150 ans d’occupation russo-germano-autrichienne de leur territoire et, plus tard, une incorporation de force dans le camp soviétique pour presque un demi-siècle. Actuellement, ils jugent l’attitude de Moscou envers la Pologne peu sincère à cause, entre autres, du refus russe d’ouvrir les archives qui concernent les crimes commis par l’URSS à l’encontre de milliers de Polonais. L’utilisation un peu trop facile de l’arme énergétique russe contre les pays voisins – comme la Biélorussie ou l’Ukraine – suscite aussi beaucoup d’inquiétude à Varsovie, qui craint de subir le même sort en cas d’un conflit avec le Kremlin.

Défi difficile

Dans ce contexte de méfiance persistante par rapport à « l’Ours russe », il n’est pas étonnant de voir les hommes politiques polonais vouloir assurer une protection sûre au pays. L’Europe ayant beaucoup de difficultés à pouvoir les convaincre d’en assurer réellement une, ils se tournent, dans ce domaine, résolument vers l’Otan, et surtout vers les Américains – au point de vouloir apparaître comme leurs alliés les plus fiables en Europe. Cette tendance générale, toujours présente dans la politique polonaise après 1989, s’est renforcée en 2005, avec l’arrivée au pouvoir du PiS – parti nationaliste, jouant beaucoup sur les registres patriotique, religieux et anticommuniste dans sa politique intérieure, ainsi que sur les ressentiments historiques antirusses et antigermaniques dans sa politique étrangère. Le maître-mot officiel de cette politique était « l’indépendance ». Seulement, à trop forcer sur ce plan, la Pologne était en train de devenir de plus en plus isolée et solitaire.

Le gouvernement libéral et modéré de Donald Tusk affronte ainsi un difficile défi : comment faire revenir la Pologne dans le jeu international tout en préservant sa véritable indépendance et ses principes stratégiques ? Et tout en ayant toujours un des frères Kaczynski comme président de la République… La tactique choisie par le nouveau chef de gouvernement et son ministre des Affaires étrangères, Radek Sikorski, semble s’appuyer sur les marchandages – prudents, mais fermes – aussi bien avec les Russes qu’avec les Américains. L’objet central de ces marchandages, c’est le bouclier antimissile. Les Américains souhaitent installer en Pologne dix lanceurs de missiles antimissiles. Les Russes les considèrent comme une menace directe à leur égard.

Radek Sikorski vient de signifier publiquement aux Américains ses hésitations à ce sujet. Dans une interview à Gazeta Wyborcza, il a non seulement souligné que la décision polonaise n’était pas encore prise, mais aussi que Varsovie craignait de faire une mauvaise affaire en supportant toute seule les frais politiques d’un accord qui pourrait finalement ne pas être mis en œuvre si les démocrates arrivaient au pouvoir aux Etats-Unis. Dans ce cas, la Pologne s’exposerait au risque de « dégradation des relations polono-russes » sans pouvoir escompter les moindres bénéfices du côté américain. Selon le ministre, il s’agit d’une « facture importante » que les Polonais « refusent de supporter tout seuls ». Autrement dit, soit Washington s’engage à fond dans le projet antimissile et en assure des retombées économiques, militaires et politiques vraiment appréciables en Pologne, soit celle-ci se retire du projet pour éviter un clash inutile et potentiellement très coûteux avec la Russie.

Les Russes réactifs

Il est vrai que les Russes – agacés par la politique des frères Kaczynski à leur égard, qu’ils jugeaient provocatrice et irréaliste – se sont montrés très réactifs déjà au premier petit geste de Donald Tusk en leur direction. Il a suffi que la Pologne lève son veto à la candidature russe à l’OCDE – organisation qui n’est pas en tête des priorités stratégiques du Kremlin – pour que Moscou lève à son tour l’embargo sur la viande polonaise. La Russie a indirectement admis à cette occasion que cet embargo était une décision éminemment politique et n’avait rien à voir avec de réelles craintes sanitaires – mais qui se serait soucié de détails de ce genre quand un jeu politique autrement plus important se met en marche ? La visite d’une importante délégation russe est annoncée à Varsovie pour le 10 janvier et Donald Tusk (contrairement à son prédécesseur Jaroslaw Kaczynski) est invité à Moscou. Il doit s’y rendre durant la première moitié de février. Ainsi, on comprend facilement les craintes du gouvernement à Varsovie de voir le délicat processus d’amélioration des relations avec la Russie menacé par un projet proposé, certes, par un allié crucial, mais pas encore suffisamment précis sur le plan d’éventuels bénéfices – et dont la mise en œuvre n’est même pas sûre. La marge pour les marchandages est, dans ce genre de situation, assez large. Manifestement, Varsovie entend s’y lancer à fond.

Par ailleurs, Donald Tusk vient d’ouvrir un nouveau front de négociations et marchandages – cette fois, avec la Russie, mais aussi avec l’Allemagne. Il s’agit de l’épineux problème du gazoduc germano-russe sous la Mer Baltique. « Nous devons apprendre – a-t-il dit à l’édition polonaise de l’hebdomadaire Newsweekpourquoi les Russes tiennent à ce projet (…) qui est trois fois plus cher qu’un gazoduc qui traverserait la Pologne et quelles seraient les conditions pour changer ce projet ».

Sous le gouvernement Kaczynski, la Pologne essayait de consolider son indépendance en soulignant les différences qui la séparent de beaucoup d’autres pays. C’était spectaculaire. Sous le gouvernement Tusk, la Pologne tente d’assurer son indépendance en parlant beaucoup aux autres, aussi bien alliés qu’adversaires ou concurrents, des intérêts communs. Ce sera peut-être efficace.