par Piotr Moszynski
Article publié le 17/03/2008 Dernière mise à jour le 17/03/2008 à 20:00 TU
Jaroslaw Kaczynski, l'ancien Premier ministre polonais (g) et Lech Kaczynski, l'actuel président.
(Photos : AFP)
La volte-face opérée par le parti de Lech et Jaroslaw Kaczynski – respectivement président et ancien Premier ministre de la Pologne – est tellement énorme que les observateurs sur place ont du mal à trancher s’il vaut mieux en rire ou en pleurer. En effet, tout le monde se souvient encore du retour triomphal de Lech Kaczynski du sommet de l’UE où la signature du Traité de Lisbonne était approuvée par les Vingt-Sept. Il présentait cette signature comme un succès historique de sa politique. Cette politique, disait-il, assurait à la Pologne le traité qu’elle voulait avec les exceptions qu’elle voulait. La ratification du document ne faisait donc aucun doute – d’autant moins que strictement aucun parti présent au Parlement ne s’y opposait.
Pour éviter tout risque de conflit autour de la ratification, le nouveau gouvernement libéral de Donald Tusk, qui a remplacé fin 2007 celui de Jaroslaw Kaczynski, a même accepté de maintenir – à contrecœur – la non-application de la Charte des droits fondamentaux par la Pologne, obtenue par les frères Kaczynski. Le PiS, parti très conservateur et nationaliste, craint, en effet, que la Charte n’oblige la Pologne à approuver les mariages homosexuels ou qu’elle n’ouvre la voie aux revendications des anciens propriétaires des terres dans les anciens territoires allemands récupérés par la Pologne après la Seconde Guerre mondiale. Bref, la coalition gouvernementale et l’opposition étaient arrivées à un large consensus politique et rien ne semblait pouvoir mettre en danger la ratification du traité réformant les institutions européennes.
Complot
Pourtant, à l’approche du vote de la Diète sur la loi autorisant le président de la République à signer l’acte de ratification du Traité de Lisbonne, l’attitude du PiS a brusquement changé. Ses dirigeants se sont soudainement mis à parler d’un prétendu complot qui viserait à annuler, dans un avenir non défini, « les exceptions polonaises » et menacer ainsi l’indépendance nationale, la « moralité publique » et les traditions chrétiennes du pays. Ils ont donc exigé que la loi sur la ratification, qui ne compte que trois phrases, soit munie d’un préambule de trois pages. Il devrait interdire à tout futur dirigeant de la Pologne tout changement ou retrait des articles du Traité de Lisbonne qui concernent les « exceptions polonaises » en matière de la Charte des droits fondamentaux, ainsi que le compromis de Ioannina (le droit donné aux Etats membres de l’UE de pouvoir retarder de quelque temps les décisions du Conseil européen qui ne leur plaisent pas, en principe afin de prolonger le temps de réflexion et de négociation). Autre exigence du PiS : le préambule devrait pérenniser le principe d’indépendance et de primauté de la loi polonaise sur la loi européenne dans certains domaines, notamment dans celui de la « moralité publique ».
Les frères Kaczynski et leurs collègues assurent qu’ils veulent toujours faire ratifier le traité. Seulement – ajoutent-t-il d’une voix innocente – ils ne peuvent pas le laisser sans « mesures de sécurité » contre toute future velléité de détruire le succès historique du PiS, d’évacuer les garde-fous qu’il a introduit et de menacer ainsi l’indépendance de la Pologne. Le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, a beau qualifier leur attitude de « synthèse d’ignorance et de paranoïa », le PiS dispose d’une capacité de nuire suffisante pour obliger le gouvernement à l’écouter. En effet, pour que la loi sur la ratification d’un traité international passe à la Diète, il faut une majorité de deux tiers, en présence d’au moins 50% de 460 députés. Or il manque 13 voix aux autres partis réunis pour obtenir cette majorité. Autrement dit, la loi ne passe pas sans les voix du PiS, et compter sur le débauchage de 13 députés de ce parti particulièrement discipliné et dévoué à son chef serait un pari risqué. Pour l’instant, tous les partis refusent de céder au chantage du PiS – pour des raisons formelles et juridiques, mais aussi pour des raisons de principe.
Un traité en otage
Le Traité de Lisbonne est clairement devenu l’otage de manœuvres politiques partisanes en Pologne qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’avenir de l’Europe, mais qui risquent de le compromettre. Si la Pologne ne ratifie pas le Traité, il est rejeté et c’est une nouvelle grave crise qui s’ouvre dans l’Union européenne.
Quelles sont les vraies motivations du PiS ? Le parti n’a jamais été très enthousiaste à l’idée d’une intégration européenne telle que prévue dans le Traité de Lisbonne – trop poussée, à son goût. Ses dirigeants l’ont négocié vraiment à reculons. Mais, finalement, ils l’ont accepté et même présenté comme leur propre succès. Leur pirouette est sans doute due à une baisse continue du PiS dans les sondages depuis sa défaite aux législatives d’octobre 2007. Le parti a désespérément besoin de reprendre l’électorat des deux partis – la populiste Autodéfense et l’ultra-catholique Ligue des familles polonaises – qui se sont retrouvés en dehors du Parlement et qui sont depuis en train de se désintégrer lentement mais sûrement. Le PiS veut également mieux capter l’électorat que constituent les auditeurs de Radio Maryja, une station catholique extrémiste. Le débat parlementaire sur la ratification du Traité de Lisbonne lui donne une occasion rêvée de montrer ses muscles et de se présenter en unique vrai défenseur des thèses qui sont particulièrement chères à ces électorats : les thèses nationalistes, anti-européennes, basées sur la défense de valeurs chrétiennes contre un prétendu complot des libéraux et des homosexuels.
Vers un référendum ?
Un compromis de dernière minute, qui permettrait de voter le préambule proposé par le PiS en forme d’une résolution et non pas d’une loi, est encore possible. S’il est atteint, le vote en faveur du Traité de Lisbonne pourrait avoir lieu dès mardi. Si non – ce qui semble pour l’instant plus probable – le gouvernement polonais devrait soit essayer de prolonger encore les négociations jusqu’après Pâques, soit procéder mardi, avant tout vote, au remplacement de la voie parlementaire de la ratification par la voie référendaire. Les derniers sondages prévoient 75% de « oui » dans un tel référendum. La Plateforme civique (PO) au pouvoir ne verrait pas d’un mauvais œil d’infliger un tel camouflet aux frères Kaczynski et envisagerait même de procéder, à l’occasion, aux législatives anticipées pour mieux neutraliser et humilier leur parti.
Cette voie n’est toutefois pas dépourvue de risques. Pour être valable, un référendum en Pologne exige une majorité d’au moins 50% d’inscrits – et cela, c’est loin d’être garanti. On parle d’ores et déjà de changer rapidement la loi électorale pour qu’elle n’exige qu’une majorité de 50% de votants. En outre, il est difficile de prévoir l’attitude de la très influente Eglise catholique polonaise. Si, par exemple, la gauche arrive – comme elle l’annonce – à ajouter des questions sur la Charte des droits fondamentaux et sur le droit à la fécondation in vitro au référendum, l’Eglise pourrait considérer cela comme un casus belli. Cela risquerait de rendre l’issue de vote moins certaine qu’elle ne le semble aujourd’hui.
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