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Egypte

Les municipales verrouillées, la fronde sociale réprimée

par Monique Mas

Article publié le 07/04/2008 Dernière mise à jour le 07/04/2008 à 21:37 TU

Le Parti national démocrate (PND) du président Moubarak aura les coudées libres aux municipales, ce mardi, face à une opposition réduite à la portion congrue. Le pouvoir n’a pas lésiné sur la répression pour mater la contestation sociale et surtout écarter les Frères musulmans qui appellent au boycott.
Des manifestants piétiennent le portrait du président Hosni Moubarak à Mahalla al-Kubra, le 7 avril 2008.(Photo : Reuters)

Des manifestants piétiennent le portrait du président Hosni Moubarak à Mahalla al-Kubra, le 7 avril 2008.
(Photo : Reuters)

Flambée des prix, émeutes du pain, menaces de grève générale, le régime Moubarak n’a pas lésiné sur la répression pour mater une contestation sociale qui manque de relais politique. Mais surtout, depuis la victoire des Frères musulmans aux législatives de 2005, le pouvoir a multiplié les rafles, les arrestations et les limitations électorales pour écarter le mouvement islamiste de la scène politique. Les Frères musulmans appellent au boycott. Mais le Parti national démocrate (PND) du président Hosni Moubarak s’est donné les moyens de les couper de leur terreau local en leur fermant ces municipales du 8 avril qu’il entend dominer face à une opposition réduite à la portion congrue.

Aux législatives de 2005, les Frères musulmans avaient revêtu la casaque d’indépendants, provisoirement admise par le pouvoir, pour entrer au Parlement avec 88 élus, soit 20% des députés. Une irruption sur la scène politique qui avait suscité un tel émoi dans les allées du pouvoir que les municipales prévues en 2006 avaient été reportées, le temps de modifier les textes, de prévoir un système complexe de caution et de parrainage d’élus. Le temps surtout de retirer aux Frères musulmans les moyens de la compétition politique.

Les Frères musulmans dans la ligne de mire du pouvoir

Seulement 700 des 1 700 candidats du parti libéral Wafd ont été validés pour ces municipales, aux côtés de 400 candidats du parti marxiste Tagammou. Dans le camp du pouvoir en revanche, le PND d’Hosni Moubarak est représenté dans chacune des 52 000 municipalités. Quant aux Frères musulmans, partis à 5 754 devant la commission électorale, ils étaient restés 498 candidats retenus après un premier filtrage jusqu’à ce que leur participation soit réduite à 21 candidats, c’est-à-dire à rien aux yeux de la confrérie qui a donc décidé de passer son tour le 8 avril.

 
« Nous avons décidé de boycotter les municipales, de retirer nos candidats et d'appeler le peuple à ne pas voter », annonçait le vice-président du bloc parlementaire des Frères musulmans, Hussein Ibrahim, à la veille des municipales en invoquant notamment les « arrestations de près d'un millier de membres de la confrérie et des entraves administratives aux candidatures ». Interdits comme parti, se réclamant de la religion, tolérés comme indépendants, les Frères musulmans sont régulièrement l’objet de rafles à grande échelle.

Pour sa part, le «Guide suprême», Mohammed Mehdi Akef, assure que la confrérie continuera de se battre sur les seuls terrains politiques et juridiques A chacun, dit-il, « de savoir qui veut réellement un changement dans ce pays et qui est corrompu, qui aide le peuple et qui vole le peuple, qui respecte la Constitution et la loi et qui ne les respecte pas, qui respecte les principes de la démocratie et des droits de l'Homme et qui opprime, viole tous les droits et falsifie les élections ».

Libéralisme et corruption

Selon la réglementation sur mesure concoctée par le pouvoir après la poussée islamiste de 2005, il aurait fallu que les Frères musulmans emportent au moins 140 municipalités pour pouvoir présenter un candidat indépendant à la présidentielle de 2011. Un enjeu crucial pour un Hosni Moubarak octogénaire qui répugne à passer la main et surtout à laisser glisser le pouvoir hors du sérail. Mais laisser des Frères musulmans gérer des municipalités constituait aussi en soi un risque pour un régime jaloux de son omnipotence et soucieux de priver de tout relais politique la fronde sociale engendrée par ses choix économiques.

En Egypte, la confrérie est bien la seule organisation suffisamment structurée pour tenir tête au pouvoir, en particulier dans le domaine social, son terrain de prédilection. « Nous avions décidé de participer aux élections non pas pour préparer la présidentielle mais par souci d'améliorer les services aux citoyens qui se sont considérablement détériorés », assure par exemple un Frère-député. Un discours qui parle aux quelques 45% des 80 millions d’Egyptiens qui survivent sous le seuil de pauvreté mais aussi à tous ceux qui savent qu’ils vont les rejoindre, entraînés par la spirale du libéralisme frappé du coin de la corruption qui fait flamber les prix du pain, une invention pharaonique, rapporte la tradition.

Emeutes du pain

La semaine passée, plusieurs Egyptiens sont morts dans une bataille rangée autour de quelques galettes de pain « baladi », le quotidien de la majorité qui en consomme 400 grammes par jour, un record mondial. Mais le « baladi » ordinaire, subventionné depuis Nasser, est introuvable. A moins de deux euros le kilo, la farine subventionnée s’écoule au marché noir à 26 euros. Dans les boulangeries privées, les prix font la culbute. L’heure égyptienne n’est plus vraiment au service public alimentaire et après le pain, ce sont toutes les denrées de base qui sont promises à la hausse. Libéralisme oblige.

Déjà, en 1977, le Fonds monétaire international (FMI) avait «recommandé» la fin des subventions. Des émeutes du pain avaient fait 70 morts. Aujourd’hui, la pénurie mondiale aggravant la dépendance égyptienne, les subventions des produits alimentaires devraient grossir de 3 milliards de dollars pour représenter quelque 13,7 milliards de dollars, soit près de 9% du PIB. Depuis janvier, le «panier de la ménagère» a renchéri de 50% en moyenne. La flambée des prix est intenable. Les mieux organisés ont tenté de lancer des mots d’ordre de grève générale par internet et par téléphone portable. La réponse a été sans appel.

Retenue occidentale

Magasins, écoles ou agence de voyage incendiée, barricades de pneus enflammés dans une gare, les forces anti-émeutes sont sur le pied de guerre. Le ministère de l'Intérieur est décidé à prendre « des mesures immédiates et fermes » contre ceux qu’il accuse d’être des « professionnels de la provocation et des courants illégaux » coupables de « propager de fausses rumeurs et d’appeler à des mouvements de protestation, des manifestations et à la grève ». Il est finalement parvenu à empêcher la grève que voulaient lancer dimanche les 25 000 employés de l'industrie textile de Mahalla, dans le delta du Nil, pour réclamer des hausses de salaire.

De Washington, l’ami américain a invité l’Egypte à tenir des élections crédibles. Nul besoin pour le pouvoir égyptien de les truquer. Il est seul en lice. Les Frères musulmans n’ont pas de recours à attendre du côté de l’Occident. Pour le reste, terrorisme et conflits régionaux sont plutôt de nature à inciter les Occidentaux à une bienveillante retenue vis-à-vis de l’Egypte d’Hosni Moubarak.

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