Article publié le 10/04/2008 Dernière mise à jour le 10/04/2008 à 14:10 TU
Les forces de sécurité palestiniennes fidèles au président Mahmoud Abbas harcèlent les militants du Hamas, notamment à Hébron, en vue d’éviter la répétition en Cisjordanie du coup de force des islamistes à Gaza.
Une manifestation du Hamas. « L’Autorité palestinienne contrôle peut-être la police, mais ici les cœurs et les esprits sont acquis au Hamas », résume un bon connaisseur de Hébron.
(Photo : Karim Lebhour)
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens, Karim Lebhour
Abou Tayyeb fait un peu la moue, puis finit par concéder : « Disons que je suis un sympathisant du Hamas ». Collier de barbe règlementaire autour du visage, ce quinquagénaire aux allures de notable, instituteur dans un village près de Hébron, hésite à afficher ses liens avec le parti islamiste. « De toute façon, si j’appartenais au Hamas, je ne le dirais pas », poursuit-il. Trop risqué. Appartenir au Mouvement de la résistance islamique n’est plus seulement passible de 18 mois d’emprisonnement en Israël, les militants islamistes de Cisjordanie doivent désormais craindre aussi la traque de la police palestinienne, fidèle au président Mahmoud Abbas.
Vainqueur des élections législatives en janvier 2006, le Mouvement de la résistance islamique est revenu en Cisjordanie à une situation de quasi clandestinité et ses membres n’hésitent pas à parler d’une « inquisition » contre leur parti. « Se faire emprisonner par les Israéliens est une chose. Ce sont nos ennemis. Mais être arrêté et maltraité par des Palestiniens est très douloureux. Après tout, le Hamas a gagné et il est supposé être au pouvoir. Au lieu de ça, j’ai été arrêté par ceux qui ont perdu les élections », peste Abou Tayyeb, détenu pendant 21 jours par la Sécurité préventive suite à un prêche qu’il a donné à la mosquée locale. « J’avais cité Ismaël Haniyeh [chef du Hamas à Gaza]. Ils l’ont pris comme une offense et m’ont dit que je critiquais l’Autorité palestinienne ». Les policiers lui ont fermement recommandé de ne plus se risquer à donner des sermons.
Depuis le coup de force du Hamas dans la bande de Gaza, en juin 2007, l’Autorité palestinienne a lancé une répression sévère contre le militants islamistes en Cisjordanie. Au moins deux mille islamistes présumés sont passés dans les geôles palestiniennes depuis juin. « Les ordres de la présidence sont clairs. Nous devons faire en sorte que ce qui s’est passé à Gaza, ne se répète pas en Cisjordanie », résume Hussein al-Arj, le gouverneur d’Hébron. Dans la seule région de Hébron, ses services ont procédé à plusieurs centaines d’arrestations. « Notre cible n’est pas le Hamas en tant que parti, mais les membres de la ‘Force exécutive’ [milice formée par le Hamas à Gaza] qui stockent des armes en vue d’un potentiel coup d’Etat », assure le fonctionnaire.
« Tant que l’armée israélienne est là… »
Le gouvernement palestinien s’attaque aussi au réseau d’associations de charité qui ont largement contribué à la popularité du Hamas. Une centaine d’ONG ont ainsi été fermées en Cisjordanie sur ordre du Premier ministre Salam Fayyad. En vertu de l’état d’urgence, en vigueur depuis le coup de force de Gaza, les autorités peuvent agir sans avoir à donner de justification. Au risque de dérapages. Car les méthodes brutales des services de sécurité palestiniens n’ont à envier à la violence dont font usage les forces du Hamas à Gaza contre leurs rivaux du Fatah. Le 27 novembre dernier, à Hébron, les forces de sécurité ont tiré sur des manifestants islamistes qui protestaient contre la conférence d’Annapolis, tuant l’entre eux. « Ils n’avaient pas d’autorisation de manifester » répond, embarrassé, le gouverneur Hussein al-Arj.
« L’Autorité palestinienne croit peut-être qu’elle peut éradiquer le Hamas, mais c’est une idiotie. Personne ne peut le faire. Cette campagne ne fait que rendre le Hamas plus puissant », tempête Samira al-Halayka, l’une des rares parlementaires du Hamas qui n’a pas été arrêtée par l’armée israélienne. Lors des élections législatives de janvier 2006, le Mouvement de la résistance islamique y avait remporté douze des quatorze sièges de la circonscription. Les graffitis et les affiches pro-Hamas sur les murs de Hébron témoignent que la ville demeure un bastion des islamistes. « L’Autorité palestinienne contrôle peut-être la police, mais ici les cœurs et les esprits sont acquis au Hamas », résume un bon connaisseur de Hébron.
Un sentiment confirmé par un récent sondage conduit par le Centre palestinien de recherche et d’études, un organisme indépendant, dans lequel le Hamas dépasse le Fatah pour la première fois depuis les élections. « L’écart entre le Fatah et le Hamas s’est considérablement réduit et pour la première fois, une majorité de Palestiniens pensent que le gouvernement d’Ismaël Haniyeh à Gaza est plus légitime que le gouvernement de Salam Fayyad. C’est un développement à prendre au très au sérieux », observe Khalil Shikaki, l’auteur du sondage, pour qui ce résultat marque « un vote de défiance total à la politique de Mahmoud Abbas et au processus de paix qui est en cours ». Le Hamas peut-il pour autant prendre le contrôle de la Cisjordanie par les armes, comme il l’a fait dans la bande de Gaza ? « Impossible !, répond un officiel israélien. Tant que l’armée israélienne est là, aucun groupe organisé ne peut renverser l’Autorité palestinienne », laissant entendre qu’Israël ne permettra pas une répétition du scénario de Gaza., formant ainsi la meilleure garantie du maintien de Mahmoud Abbas au pouvoir.