par Frank Weil-Rabaud
Article publié le 07/05/2008 Dernière mise à jour le 07/05/2008 à 15:18 TU
L’Etat hébreu célébrait ce mercredi le jour du souvenir, à la mémoire des soldats morts aux combats. Une façon de rendre hommage à une armée longtemps creuset d’intégration. Mais aujourd’hui le modèle est contesté par une partie de la jeunesse israélienne, même si cette armée reste l’un des rares éléments de cohésion du pays.
Des militaires israéliens lors des premières cérémonies du jour du souvenir à Jérusalem.
(Photo : Reuters)
Dès sa naissance, l’objectif fixé à l’armée israélienne est contenu dans la traduction de son acronyme. Tsahal signifie en effet littéralement forces de défense d’Israël. Il s’agit pour David Ben-Gourion, qui signe le décret de création de cette armée quinze jours à peine après la naissance officielle de l’Etat juif, de souligner la fragilité de la nouvelle nation et l’absolue nécessité de la protéger par la force.
Mais cette armée, qui jusqu’à aujourd’hui reste fondée très largement sur la conscription, a pu bénéficier de l’expérience militaire d’hommes et de femmes qui dès 1920 avaient constitué la Haganah, le bras armé du mouvement sioniste en Palestine alors sous mandat britannique. A cette ossature sont venus s’ajouter les combattants de deux groupes nationalistes, l’Irgoun de Menahem Begin et le Lehi auquel appartenait un autre futur Premier ministre, Ytzhak Shamir.
Depuis la fondation de l’Etat, l’armée israélienne a été considérée comme le véritable creuset d’intégration pour les juifs qui, du monde entier, avaient fait le choix de venir bâtir un pays en gestation. Au fil des vagues d’immigration, venues d’abord d’Europe puis massivement d’Union soviétique ou encore d’Ethiopie, Tsahal est devenue pour les jeunes Israéliens un moyen de s’intégrer à la société israélienne.
Avec un service militaire fixé à trois ans pour les hommes et à deux ans pour les femmes, suivies par des périodes régulières comme réservistes, l’armée s’est imposée peu à peu comme un passage obligé vers la vie civile. De Ytzak Rabin, le chef d’état major qui préconisait aux soldats de briser les os des Palestiniens pendant la première Intifada à Ariel Sharon en passant par Ehud Barak, la gloire militaire est rapidement devenue un sésame pour accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat. L’accession au poste de Premier ministre d’un novice en la matière d’un homme comme Ehud Olmert a constitué à cet égard une véritable rupture. Rupture renforcée à l’époque par la nomination à la tête du ministère de la défense d’Amir Peretz. Cette tentative d’émancipation d’un modèle né bien avant la naissance d’Israël semble avoir déjà fait long feu. Si Ehud Olmert est toujours à la tête du gouvernement, l’échec de la guerre de l’été 2006 contre le Hezbollah a conduit au retour au ministère de la défense d’Ehud Barak, le militaire le plus décoré de l’Etat hébreu.
Lassitude de la jeunesse israélienne
Aujourd’hui l’existence même d’une armée de conscription est remise en cause. La jeunesse israélienne a de plus en plus de mal à accepter l’idée de consacrer trois ans de sa vie à une armée qui avant la guerre du Liban a été confinée dans des activités de police dans les Territoires palestiniens. L’idée d’une réduction de ce service militaire obligatoire est toujours à l’étude mais n’a jamais été décidée à l’échelon politique. Parallèlement, l’armée israélienne a connu une mutation sans précédent avec l’arrivée en son sein de juifs religieux. Encore aujourd’hui, les étudiants dans les écoles talmudiques sont dispensés d’effectuer leur service militaire.
Mais ces dernières années, une frange non négligeable de cette population a jugé que la défense de leurs idées nationalistes leur imposaient de participer à l’effort de défense. Il existe désormais au sein de l’armée des unités de combats composées uniquement de juifs orthodoxes. Pour autant l’état major reste convaincu que cette modification profonde n’a pas eu d’influence sur le fonctionnement de l’armée. Durant l’évacuation des colonies de Gaza à l’été 2005, le gouvernement avait toutefois pris ses précautions. Craignant une proximité idéologique avec les habitants juifs de Gaza, il avait renoncé à mobiliser les unités religieuses pour cette opération jugée à hauts risques.
Le choc libanais
C’est surtout l’opération militaire contre le Hezbollah à l’été 2006 qui devrait laisser durablement des traces quant à l’image de l’armée en Israël. Dotée d’un équipement technologique sans équivalent dans la région, Tsahal a été incapable de vaincre un mouvement de guérilla qui a su exploiter au mieux sa connaissance du terrain libanais. La société israélienne n’a pu que constater l’impréparation des troupes et en particulier des réservistes et surtout le peu d’attention porté au front intérieur, c'est-à-dire la protection de la population civile.
Pour autant, l’armée reste le seul élément, même écorné, de cohésion d’un pays miné par les divisions internes. A la cassure originelle entre juifs ashkénazes, originaires d’Europe, et sépharades venus d’Afrique du Nord est venu s’ajouter celle entre laïcs et religieux ou encore entre nouveaux immigrants et sabras, ces juifs nés en Israël depuis 1948. Conscients de cette société divisée, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de rappeler les menaces réelles ou supposées qui pèsent sur l’Etat hébreu.
Une manière de conserver à l’armée un rôle de premier plan au moment où elle semble de plus en plus contestée. Même si, soixante ans après sa création, l’Etat hébreu continue de vivre avec la mémoire des heures les plus glorieuses d’une force militaire qui lui a permis de transformer le rêve sioniste en une réalité géopolitique, fut-ce aux dépens des Palestiniens, dépossédés jusqu’à aujourd’hui d’une terre sur laquelle ils espèrent aussi construire à terme un Etat indépendant.
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