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Liban

La grève tourne aux combats de rue

Article publié le 07/05/2008 Dernière mise à jour le 07/05/2008 à 17:22 TU

Accrochages aux armes automatiques et aux roquettes, réapparition des snipers, rues bloquées avec des remblais de terre, aéroport isolé du reste du monde. La journée d’action syndicale contre la cherté de vie s’est transformée en combats de rue, à Beyrouth, entre des partisans du Courant du futur sunnite, membre de la coalition au pouvoir, et des partisans des formations chiites de l’opposition.

Des soldats libanais regardent des manifestants brûler des pneus, dans une des rues de Beyrouth, le 7 mai 2008, lors de la grève générale qui a tourné aux combats de rue.(Photo : AFP)

Des soldats libanais regardent des manifestants brûler des pneus, dans une des rues de Beyrouth, le 7 mai 2008, lors de la grève générale qui a tourné aux combats de rue.
(Photo : AFP)


De notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh

Une grève générale décrétée par la centrale syndicale (CGTL) pour protester contre la cherté de vie a dégénéré en violents combats de rue, entre des partisans de la coalition du 14 Mars au pouvoir et de l’opposition.

Dès les premières heures de la journée, le mouvement syndical a été dépassé par les événements. Le président de la CGTL, Ghassan Ghosn, a accusé le gouvernement, dirigé par Fouad Siniora, d’avoir refusé d’assurer la protection des protestataires. Des tracts signés par les habitants du fief sunnite de la famille Hariri dans la capitale, Tarik Jédidé, mettant en garde les manifestants de traverser leur quartier, ont été distribués pendant la nuit. Et tôt le matin, une grenade lancée par des inconnus a fait 5 blessés, trois partisans de l’opposition et deux soldats de l’armée.

Dans cette ambiance tendue, la centrale syndicale n’avait d’autre choix que d’annuler une manifestation qui devait se diriger vers la Banque centrale, située dans le secteur ouest de la capitale. Mais il était déjà trop tard. Des groupes de jeunes survoltés ont commencé à se rassembler un peu partout. Très vite, les principales artères de la capitale sont coupées à l’aide de pneus enflammés, de blocs de pierres et de bennes à ordures. De vieilles voitures placées en travers de la chaussée sont incendiées.

Sur les routes menant à l’aéroport, ce sont carrément des camions chargés de terre qui viennent déverser leurs cargaisons au milieu de la chaussée. Des remblais de terre de plusieurs mètres de hauts bloquent l’accès au seul aéroport civil du pays. Des vols sont retardés, d’autres annulés. Des dizaines de voyageurs, dont la célèbre chanteuse libanaise Fayrouz et sa troupe, qui se produisaient à l’étranger, restent bloqués à l’intérieur des bâtiments de l’aéroport.

Combats de rues

En début d’après-midi, la situation se détériore. Le face-à-face entre partisans des deux camps sur le boulevard de Mazraa, qui fait office de ligne de démarcation entre les quartiers sunnites et chiites, dure depuis des heures. Bientôt, les jets de pierres remplacent les insultes. Des blessés tombent, dont des journalistes. L’armée et les troupes anti-émeutes de la police ont de plus en plus de mal à contenir la colère des manifestants.

Tout à coup, de violents accrochages aux armes automatiques et aux roquettes antichars de type RPG7 éclatent dans le quartier mixte de Ras el-Nabeh. Les combats, d’une rare violence, durent plus d’une heure. Ils se soldent par l’occupation et l’incendie d’une permanence du Courant du futur de Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri, et chef de la majorité parlementaire. Des coups de feu éclatent dans d’autres quartiers de la capitale et les rixes se multiplient.

Tout au long de la journée, les dirigeants des deux principales formations chiites, Amal et le Hezbollah, sont injoignables. Un indice prouvant que les deux partis ne veulent pas appeler leurs partisans à la retenue.

Selon les analystes, l’opposition a riposté sur le terrain à la décision du gouvernement, lundi à l’aube, de démanteler le réseau de télécommunication sécurisé du Hezbollah et de limoger le chef du service de sécurité de l’aéroport, le général Wafic Choucair, un chiite qui bénéficiait de la couverture de la plus haute instance religieuse de la communauté. Le Hezbollah accuse le gouvernement de faire le jeu des Israéliens en cherchant à l’affaiblir. « La grève sociale n'est qu'une façade, mais le mouvement est politique et essentiellement mené par le Hezbollah », a affirmé un des chefs du 14 Mars, le ministre des Télécommunications, Marwan Hamadé.

Des négociations difficiles et discrètes

Des sources proches de l’opposition, citées par des agences de presse locales et internationales, commencent d’ailleurs à faire le lien entre l’arrêt des manifestations et l’annulation des décisions du Conseil des ministres. Mais les milieux du Premier ministre Fouad Siniora excluent catégoriquement une telle mesure.

Des négociations difficiles et discrètes ont commencé, avec la participation de l’Arabie saoudite, qui appuie le 14 Mars, et l’Iran, qui soutient le Hezbollah. Elles peuvent soit aboutir à une décrispation, soit, au contraire, provoquer une escalade. On évoque déjà l’état d’urgence ou le couvre-feu. Mais le commandement de l’armée craint qu’une telle mesure, si elle n’est pas appuyée par l’ensemble de la classe politique, conduise au démembrement de l’institution militaire. Le pays reste ouvert à toutes les options. On saura laquelle est la plus probable lors de la conférence de presse que doit donner, jeudi, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah.