par Georges Abou
Article publié le 08/05/2008 Dernière mise à jour le 08/05/2008 à 14:47 TU
Six jours après le passage du cyclone Nargis, les organisations internationales et les donateurs d’aide sont aux prises avec une junte toujours réticente à accorder le droit de travailler aux professionnels des situations d’urgence. En dépit des autorisations annoncées, la délivrance parcimonieuse des visas et les obstacles administratifs divers freinent la mise en œuvre des secours aux victimes. Les derniers bilans font état de plusieurs dizaines de milliers de morts et disparus.

Des marins birmans (en bleu foncé) réceptionnent l'aide apportée par l'Inde aux côtés de marins indiens à Rangoon, le 7 mai 2008.
(Photo : AFP)
La junte va-t-elle véritablement ouvrir sans restrictions les portes du pays aux professionnels de l’aide d’urgence, et quand ? C'est l'une des principales questions qui se posent pour ces prochaines heures, une semaine après le choc et la dévastation du sud du pays par le cyclone Nargis. Chaque jour les bilans sont réévalués et le régime militaire sous pression internationale semble, depuis le début de la crise, à la fois soucieux de donner des gages de bonne volonté, tout en retardant sans cesse la mise en œuvre des décisions. L’entretien de cette ambiguïté pèse comme une nouvelle menace de catastrophe, une sorte de réplique humanitaire différée du choc initial. D’ores et déjà, les équipes sur place anciennement installées (Croix-Rouge, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, Action contre la Faim) ont reconfiguré leurs moyens pour les orienter vers la fourniture de l’aide vitale : nourrir et abriter les gens. Les premiers rapports de retour de mission exploratoire dans les villages du delta d’Irrawaddy sont attendus dans les heures qui viennent. Comme l’ONU il y a deux jours, ACF déclare « craindre le pire ».
En tout cas, selon les derniers bilans en circulation, Nargis a commis un véritable massacre. Les morts se compteraient par dizaines de milliers : 80 000 dans la localité de Labutta et les 63 villages environnants, au cœur du delta, selon un responsable local ; 100 000 selon la chargée d’affaires américaine, citant les chiffres transmis par une organisation non gouvernementale. Mercredi, la télévision d’Etat annonçait les chiffres provisoires de 22 980 morts et 42 119 disparus. Selon l’ONU, un million de rescapés ont besoin d’être secourus et 5 000 km² sont toujours sous les eaux. Les télévisions du monde entier commencent à diffuser les images qui attestent d’une catastrophe d’une ampleur considérable. C’est aussi une terre de rizières, poumon agricole du pays, qui vient d’être lessivée par la tempête, à quelques semaines d’une récolte.
« Diplomatie humanitaire »
Depuis le début de la semaine, chaque organisation a constitué une équipe d’experts, prête à décoller pour Rangoon, n’attendant plus que la délivrance des visas. Mission : évaluer les besoins, coordonner la distribution de l’assistance. Jeudi, c’est la mission de l’ONU qui a obtenu le feu vert de la junte. Jeudi, également, l’ambassade des Etats-Unis en Thaïlande annonçait que la Birmanie acceptait l’aide américaine. En réalité la junte accepte l’atterrissage à Rangoon d’un C-130, soit quelques tonnes de soulagement dans un océan de malheur.
Devant l’ampleur du désastre, incapable de mobiliser les moyens à la hauteur des circonstances, la junte birmane fait face à une pression internationale d’une densité qu’elle n’avait jamais éprouvée. Dans ce contexte si particulier, en dépit d’un isolationnisme farouche du régime, elle peut difficilement rejeter purement et simplement la sollicitude internationale à son égard sans afficher un cynisme préjudiciable pour ses dirigeants soucieux de conserver leur mainmise sur la vie politique du pays et l’essentiel de ses ressources. Dans ce contexte, on imagine que la « diplomatie de l’humanitaire » aujourd’hui à l’œuvre est une source d’embarras considérable pour ce régime dont les intentions à l’égard de son propre peuple, à mesure que le temps passe et que l’essentiel n’est pas fait, apparaissent comme cyniques. Ce type d’événement bouscule quelque peu les usages internationaux traditionnels et la souveraineté des Etats les plus fermés peut être malmenée. C’est cette menace, propice à sa propre déstabilisation, que la junte semble redouter aujourd’hui.
Un pays livré aux humanitaires et aux journalistes
De façon parfaitement symétrique, « la communauté internationale » se montre très impliquée. Entre les exhortations à l’ouverture des frontières et les annonces de contribution, agences humanitaires et autorités gouvernementales confondues tentent de coincer leur pied dans la porte entrebâillée de la maison Birmanie. Les propositions d’aide affluent de tous les continents. La junte résiste, négocie chaque proposition et tente manifestement d’écarter les importuns. En effet, la perspective d’un pays livré aux humanitaires et leur cortège de journalistes, en pleine campagne pour le référendum constitutionnel (maintenu) de samedi prochain, est détestable pour les militaires au pouvoir.
Enfin, parmi les bonnes nouvelles de ces dernières heures : l'eau et l'électricité ont pu être rétablies dans plusieurs quartiers de Rangoon, et le prix du carburant et des denrées alimentaires de base, qui flambait aux premiers jours de la crise, a baissé.
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