par Jean-Pierre Boris
Article publié le 13/05/2008 Dernière mise à jour le 13/05/2008 à 17:21 TU
La situation politique haïtienne est d’une extrême confusion. Bon nombre des députés qui ont refusé d’entériner la nomination d’Ericq Pierre sont en effet des membres du parti ESPWA qui soutient officiellement le président René Préval. Le désaveu infligé au président de la République est cinglant. René Préval ne contrôle plus ses troupes. Mais ce n’est pas vraiment une surprise. Les partis politiques haïtiens sont par nature des auberges espagnoles. On y adhère le temps d’une élection et on s’en écarte le moment venu quand l’adhésion à une autre formation sert le destin de l’élu. La nomination d’Ericq Pierre n’a en tout cas pas su fédérer les intérêts en présence alors même que le Sénat avait donné son feu vert le 7 mai dernier.
Trois échecs
C’est la troisième fois qu’Ericq Pierre échoue devant l’obstacle. Par deux fois déjà, en 1998, René Préval, déjà président, avait tenté de l’imposer. Et comme cette fois-ci, les parlementaires avaient prétexté l’incapacité dans laquelle il se trouvait de présenter des documents d’identité complets pour le renvoyer à ses foyers. Certains observateurs ont fait remarquer que, vu l’état du pays et de son registre d’état civil, rares sont les citoyens haïtiens en possession de ces documents.
Cependant, certains parlementaires ont refusé la nomination d’Ericq Pierre pour des raisons nettement plus « politiques ». Les élus de la Coalition des parlementaires progressistes (CPP), un groupe important à la Chambre des députés, ne voulaient pas d’un Premier ministre porteur d’un programme néolibéral. Ericq Pierre est en effet fonctionnaire à la Banque interaméricaine de développement, où il représente Haïti, et est réputé proche des idées libérales défendues par cette institution financière.
Un pays paralysé
Pour Haïti, c’est donc le retour à la case départ. Le pays le plus pauvre du continent américain se retrouve gouverné par un président que le Parlement vient de désavouer deux fois en cinq semaines et par un Premier ministre Jacques-Edouard Alexis qui ne peut qu’expédier les affaires courantes. Pour l’administration des Affaires nationales, c’est évidemment un problème. Depuis le 12 avril dernier, date de la censure contre Jacques-Edouard Alexis, tous les financements locaux sont gelés. Les maires des principales villes du pays sont privés des maigres ressources qui leur sont allouées par le pouvoir central.
Dans les quartiers pauvres, la population verra également dans ce vide de pouvoir comme un affront, comme un refus de la classe politique de prendre ses problèmes à bras le corps. Les groupes de jeunes issus des bidonvilles de Port-au-Prince ou des Cayes, au sud, avaient prévenu qu’ils redescendraient dans la rue si le gouvernement se montrait incapable de remédier à leurs problèmes. C’est déjà ce qui avait provoqué les émeutes qui ont fait cinq morts dans la population entre le 7 et le 10 avril. Comme il n’y a pas de gouvernement, les problèmes de la population vont rester sans solution. Ce pourrait être anecdotique si le niveau de vie en Haïti n’était pas si bas. 80% de la population vit avec moins de deux dollars par jour, c'est-à-dire dans une misère chronique, aux limites de la survie.
Une malnutrition chronique
La malnutrition s’est trouvée aggravée par la hausse des cours des matières premières agricoles ces derniers mois. L’explosion des prix du riz, en particulier, affecte les consommateurs haïtiens. Gros consommateurs de cette céréale, le pays en consomme 400 000 tonnes par an, les Haïtiens n’en produisent que le quart, à peine. Depuis vingt ans, l’agriculture haïtienne a en effet été privée de tout soutien financier. La plaine de l’Artibonite, le grenier à riz du pays, a vu sa production s’effondrer et les paysans migrer vers les villes pour s’entasser dans les bidonvilles. Son système d’irrigation est menacé de ruine. Les neuf millions d’Haïtiens ont donc subi de plein fouet la hausse provoquée par l’augmentation de la demande des pays asiatiques. Une hausse qui n’est d’ailleurs pas prête de s’arrêter. La catastrophe climatique qui s’est abattue sur la Birmanie a dévasté les plaines rizicoles du sud et va réduire les disponibilités mondiales puisque la Birmanie exportait du riz.
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