par Sylvain Biville
Article publié le 28/04/2008 Dernière mise à jour le 28/04/2008 à 15:01 TU
Après deux semaines de crise politique, le président haïtien René Préval a nommé Ericq Pierre, économiste à la Banque interaméricaine de développement, au poste de Premier ministre. Il doit encore être confirmé par le Parlement. Il aura la lourde tâche de rétablir la stabilité dans le pays, après les émeutes de la faim qui ont conduit, le 12 avril, au renversement de son prédécesseur, Jacques-Edouard Alexis.
La première urgence pour Ericq Pierre consiste à remettre la main sur le certificat de naissance de ses grands-parents. Avant même de solliciter la confiance du Parlement, le tout nouveau Premier ministre doit en effet présenter aux élus des pièces justificatives de sa nationalité. Pour avoir négligé cette formalité, Ericq Pierre a échoué une première fois à devenir Premier ministre. C’était en 1997. René Préval accomplissait son premier mandat présidentiel (1996-2001). Et déjà, il avait choisi cet économiste de la Banque interaméricaine de développement (BID), agronome de formation comme lui, pour diriger le gouvernement. L’absence de certificats de naissance avait à l’époque servi de prétexte au Parlement pour rejeter la nomination.
Onze ans après cette déconvenue, Ericq Pierre espère aujourd’hui, à 63 ans, entamer enfin une carrière politique. Cela fait presque deux décennies qu’il vit à Washington, siège de la BID. C’est précisément son profil de technocrate, qui n’est pas directement affilié à une formation partisane, qui a permis à son nom d’émerger dans les tractations menées pour trouver un successeur à Jacques-Edouard Alexis, renversé par un vote de censure du Sénat le 12 avril. Le Premier ministre sortant a payé pour les émeutes de la faim qui ont secoué le pays au début du mois. Le mouvement de colère de la population face à l’augmentation du coût de la vie a débuté le 3 avril aux Cayes, la troisième plus grande ville du pays, avant de prendre de l’ampleur pour finalement atteindre la capitale, Port-au-Prince, le 7 avril.
Un pays sous perfusion
« Nous préférons mourir par balles que de faim », clamaient les manifestants, qui ont tenté de forcer la grille du Palais présidentiel, protégé par les blindés de la Mission de stabilisation des Nations unies en Haïti (MINUSTAH), forte de 9000 casques bleus. Bilan d’une semaine de manifestions et de pillages : 7 morts, dont un policier de l’ONU nigérian. Après un long silence, le président René Préval a fini par annoncer, le 12 avril, une diminution du prix du sac de 23 kg de riz, qui est passé de 51 à 43 dollars, grâce à un effort conjoint des importateurs et du gouvernement. Mais selon l’envoyé spécial de RFI en Haïti, Jean-Pierre Boris, cette mesure, limitée à 30 jours, n’a eu qu’un impact limité sur une population qui, dans sa grande majorité, tente de survivre avec deux dollars par jour.
Haïti traverse aujourd’hui sa plus grave crise économique et sociale depuis l’élection de René Préval pour un second mandat en février 2006. Le chef de la MINUSTAH, le Tunisien Hédi Annabi, a déploré sur RFI des tentatives d’ « instrumentalisation politique » des émeutes et il a estimé que cette flambée de violence faisait faire un pas en arrière au pays, après les timides progrès enregistrés ces dernières années dans le domaine de la sécurité. Dans ce contexte très instable, l’ensemble de la communauté internationale s’est inquiétée du vide politique, depuis le renversement du gouvernement. Ces derniers jours, les émissaires se sont se sont succédés auprès du chef de l’Etat pour le presser de nommer au plus vite un nouveau Premier ministre (le Secrétaire général de l’Organisation des Etats américains, le secrétaire d’Etat français à la Coopération, le chef de la diplomatie espagnole).
Dans son choix, René Préval a dû tenir compte aussi bien des bailleurs de fonds, qui tiennent le pays sous perfusion, que de la classe politique particulièrement émiettée. En l’absence de majorité claire au Parlement, Ericq Pierre devra convaincre une coalition suffisamment large pour obtenir l’investiture. Il devra surtout donner des gages à une population de plus en plus impatiente. S’il est confirmé, une des ses premières tâches sera d’organiser au plus vite la conférence des donateurs, qui était prévue le 25 avril à Port-au-Prince et a été reportée sine die en raison de la crise politique. Sans aide extérieure massive pour faire face à la crise alimentaire, les manifestations peuvent reprendre d’un jour à l’autre.
De notre envoyé spécial à Haïti