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Afrique du Sud

La nation « arc-en-ciel » désemparée

par Valérie Hirsch

Article publié le 20/05/2008 Dernière mise à jour le 21/05/2008 à 10:17 TU

La police sud-africaine ne parvient pas à endiguer la chasse aux étrangers qui gagne, un à un, tous les quartiers pauvres de Johannesburg. Même si on craint que d’autres villes du pays soient emportées par le déchaînement de violences, le gouvernement hésite à faire appel à l’armée. Treize mille personnes ont dû se réfugier dans des églises et des centres sociaux, selon l'Organisation internationale des migrations. Les appels à une intervention de l'armée se sont multipliés. La police a procédé à environ 300 arrestations depuis le début des attaques le 11 mai dans le township d'Alexandra. Cette explosion de violence a principalement touché les Zimbabwéens.
Zimbabwéennes réfugiées à la station de police d'Alexandra depuis une semaine.(Photo : V. Hirsch/RFI)

Zimbabwéennes réfugiées à la station de police d'Alexandra depuis une semaine.
(Photo : V. Hirsch/RFI)

 
« Je pensais qu’on était tous des frères du même continent. Personne ne s’attendait à cela ! ». Coiffé de dreadlocks, Jack, un jeune Mozambicain de 28 ans, a été chassé dimanche de son appartement à Hillbrow, un quartier pauvre et cosmopolite du centre-ville de Johannesburg : « Quand une foule hostile a descendu la rue du quartier, je me suis enfui. Lundi, je suis retourné chercher mes affaires : tout avait été volé ». Jack s’est réfugié au siège de l’Eglise méthodiste à Johannesburg, qui a accueilli 300 rescapés des violences dans le centre-ville. La plupart, Zimbabwéens, n’osent plus sortir du bâtiment, comme James Mpofu, un enseignant de 38 ans qui s’est caché pendant quatre heures dans un conteneur : « Lundi matin, les Zoulous ont attaqué les Zimbabwéens et les Malawites, qui déchargent les marchandises au centre commercial chinois ; ils les accusent de travailler pour des salaires trop bas ». N’osant plus sortir de l’église,  la plupart souhaite rentrer au pays. « Mieux vaut encore mourir chez nous ! » , conclut Jack. 

Beaucoup d’étrangers vivent désormais dans la peur. Mardi matin, des commerçants éthiopiens et pakistanais ont précipitamment fermé leurs rideaux de fer quand des passants se sont mis à courir. Une fausse alerte, mais qui donne une idée de l’atmosphère qui règne dans les quartiers populaires. Les étrangers ne sont pas les seuls à s’inquiéter : des Shangaan et Venda (deux minorités ethniques du nord de l’Afrique du Sud) figurent aussi parmi les victimes des affrontements. « Les Zoulous ont instigué ces attaques, affirme Lydia Makhoba, une Venda qui habite Alexandra, le township où les violences ont commencé. Le régime d’apartheid nous a tous élevés dans l’idée que les autres ethnies représentaient une menace. Chacun devait vivre dans son quartier, dans son bantoustan. C’est très triste de voir que cette mentalité n’a pas disparu ! ».

Personne n'a de réponse

Depuis jeudi, le président Thabo Mbeki – comme tous les leaders politiques - a multiplié les interventions pour condamner les agressions, mais sans résultat. Une enquête va être lancée pour déterminer la cause des attaques. « La xénophobie est un élément secondaire. Les agresseurs sont des éléments criminels qui ont manipulé la population », pense ainsi la ministre de l’Intérieur Nosiviwe Mapisa-Nqakula. Les attaques ont-elles été orchestrées ? Ou s’agit-il d’un mouvement spontané d’agressions racistes et de pillages ? Pour le moment, personne n’a de réponse. Mais beaucoup estiment que le président sud-africain porte une lourde part de responsabilité. Parce qu’il ne voulait pas reconnaître l’ampleur de la crise politique au Zimbabwe, Mbeki n’a rien fait pour accueillir les Zimbabwéens qui ont afflué en masse ces dernières années.

Ils seraient aujourd’hui environ trois millions en Afrique du Sud. « Tant le gouvernement sud-africain que les Nations unies ont refusé de leur accorder un statut de réfugié, déplore Eric Goemaere, qui dirige l’équipe locale de Médecins sans frontières-Belgique. Les Zimbabwéens en sont réduits à vivre comme des clandestins, tout en étant considérés  par les pauvres Sud-Africains comme des profiteurs ».  Beaucoup sont venus gonfler les bidonvilles en bordure des townships, où ils sont directement en compétition avec les chômeurs sud-africains. « Faute de politique d’urbanisation et  d’immigration, la pression sur les infrastructures, les écoles, les centres de santé, l’accès à l’emploi est devenue intolérable dans ces quartiers informels, explique Henri Boshoff, chercheur à l’Institute for the securities studies. Vous ajoutez à cela la hausse des prix depuis le début de l’année et le cocktail devient explosif ».

L’Alliance démocrate, principal parti d’opposition a appelé, ce mardi, le gouvernement à mettre en place des camps de réfugiés, pour accueillir les quelque 11 000 rescapés des violences entassés dans des bâtiments publics et à déployer l’armée pour rétablir l’ordre. Un pas que l’ANC refuse de franchir pour le moment : c’est l’armée qui était chargée de la répression dans les townships sous l’apartheid. Mais déjà bien des images rappellent cette période sombre de l’histoire, telle cette photo d’un homme brûlé vif, publiée ce lundi dans la presse locale. « C’est comme si on revenait aux jours du collier », déplore le Prix Nobel de la paix Desmond Tutu, en faisant allusion au « supplice du pneu enflammé » administré par les freedom fighters des townships aux Noirs soupçonnés de collaborer avec le régime d’apartheid. Cette dernière semaine, le beau rêve de la nation arc-en-ciel, symbole de la réconciliation raciale, a éclaté en morceaux.

A écouter

Reportage dans un camp de réfugiés

« Les criminels se promènent avec des armes pour nous tuer, pour nous voler. La police ne fait rien pour les arrêter... Quel système autorise les gens de se promener avec les armes pour tuer d'autres gens? ».

21/05/2008 par Nicolas Champeaux

Reportage : la peur règne chez les réfugiés qui ont quitté les townships

« Ces dernières années tout allait bien en Afrique du Sud, mais c'est devenu un pays terrible... Si on rentre au Zimbabwe on va aussi se faire tuer ...»

21/05/2008 par Nicolas Champeaux