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Proche-Orient

Gaza : un an après, ni vainqueur ni vaincu

par Frédérique Misslin

Article publié le 06/06/2008 Dernière mise à jour le 06/06/2008 à 17:43 TU

Le 14 juin 2007, le Hamas prenait par les armes le contrôle de la bande de Gaza en chassant les partisans du président Mahmoud Abbas. Un an après ce coup de force, les Palestiniens n’ont jamais été aussi divisés, le Hamas continue de lancer ses roquettes sur l’Etat hébreu, les islamistes restent des parias aux yeux de la communauté internationale, le processus de paix entamé à Annapolis est dans l’impasse et les Gazaouis sont toujours soumis à un sévère blocus israélien.

Dans une échoppe de Gaza, un poster représentant le leader du Hamas Ismaïl Haniyeh (G) et le président palestinien Mahmoud Abbas.
(Photo : AFP)

Dans une échoppe de Gaza, un poster représentant le leader du Hamas Ismaïl Haniyeh (G) et le président palestinien Mahmoud Abbas.
(Photo : AFP)

Il y a un an, le Hamas remportait une victoire militaire décisive à Gaza sur le Fatah de Mahmoud Abbas. En réaction, le président palestinien prenait la décision de dissoudre le gouvernement d’union nationale et de décréter l’état d’urgence dans un territoire sur lequel il n’avait plus aucun contrôle. L’ambiance était plus que tendue puisque les dirigeants du Hamas affirmaient : « C’est la deuxième libération de la bande de Gaza », faisant référence au retrait israélien de 2005. 

Dans un premier temps, ce coup de force a surtout entériné la division géographique des territoires palestiniens, il a aussi rendu les conditions de vie particulièrement difficile pour les Gazaouis soumis à un terrible blocus. La communauté international espérait que l’isolement du Hamas, la paupérisation de la population conduiraient à la chute des islamistes. Un an plus tard, force est de constater qu’il n’en est rien. Certes, les privations économiques ont engendré un certain mécontentement dans la rue mais la population n’en est que plus sensible aux actions de charité du Mouvement de la résistance islamique. Aujourd’hui, le territoire où vivent un million et demi de personnes est soumis par exemple à de graves pénuries de carburant, les transports sont paralysés et le Hamas propose depuis quelques semaines de transporter les habitants dans des voitures de police pour remédier à la crise. Des véhicules bleus portent des autocollants orange sur lesquels on peut lire : « Nous sommes prêts à vous véhiculer gratuitement ». Une initiative qui prouve d’une part que le Hamas soigne son image et d’autre part qu’il dispose de réserves d’essence.

Une main de fer

Certes, les méthodes un peu rudes du Hamas ont suscité des critiques mais les intégristes ont aussi pris des mesures qui leur ont valu l’approbation des Gazaouis. Immédiatement après sa prise de pouvoir, le mouvement islamiste s’est concentré sur la restauration de l’ordre public, il a interdit les barrages routiers, le port des armes et des masques. Le Hamas, depuis un an, utilise la manière forte à Gaza sans que son pouvoir soit remis en question. En novembre l’année dernière, au moment du troisième anniversaire de la mort de Yasser Arafat, les miliciens du Hamas ont ouvert le feu sur des membres du Fatah faisant plusieurs morts et des centaines de blessés. Cette lutte fratricide s’est soldée par l’arrestation à Gaza de plusieurs partisans du président Mahmoud Abbas et par une interdiction de manifester. Le Hamas a tenté quelques semaines plus tard, et avec succès, de reconquérir l’opinion publique palestinienne en faisant sauter la frontière avec l’Egypte, à Rafah.

Le Hamas à l’épreuve du pouvoir et du blocus

A l’automne dernier, Israël tente l’offensive militaire accompagnée d’un blocus quasi-total. Le Hamas subit de lourdes pertes mais apparaît finalement comme vainqueur du bras de fer, notamment lorsqu’il fait sauter la frontière avec l’Egypte. Pendant 11 jours, les habitants de Gaza vont pouvoir sortir de leur prison à ciel ouvert. Le mouvement islamique, de son côté, aurait profité de la brèche pour s’approvisionner en armes et acquérir notamment des missiles Katioucha. La stratégie d’isolement mise au point par les Américains et les Européens n’a donc donné aucun résultat. Dès la victoire électorale du Hamas en janvier 2006, les Etats-Unis et l’Europe annoncent clairement qu’ils n’accepteront pas le résultat des urnes sans préalable : le Hamas est appelé à respecter les anciens traités signés par l’OLP, il doit renoncer à la violence et reconnaître l’état d’Israël. La communauté internationale mise alors sur l’effondrement du mouvement islamique espérant que sans moyens financiers, sans soutiens internationaux, le Hamas finira par perdre son assise populaire. Cette stratégie a fonctionné jusqu’à un certain point puisque le blocus a surtout touché la population mais le Hamas n’a rien cédé. Il s’est au contraire posé en victime tout en multipliant les tirs de roquettes sur la ville israélienne de Sdérot. Là où les partisans du Hamas voient une bataille légitime contre l’occupation israélienne, la communauté internationale considère qu’il s’agit d’actes terroristes.

Le Fatah coincé entre l’enclume et le marteau

L’isolement de Gaza et des islamistes n’a pas aidé non plus à renforcer le statut du président palestinien. Si la défaite militaire du Fatah, il y a un an, a valu à Mahmoud Abbas le soutien des chancelleries occidentales, son image de partenaire prêt à tous les sacrifices le dessert sur le plan intérieur. Le successeur de Yasser Arafat tend aujourd’hui la main aux islamistes. Mahmoud Abbas propose une reprise du dialogue national sur la base de l’initiative yéménite signée en mars dernier à Sanaa. Le président palestinien souhaite « un retour à la situation qui prévalait dans la bande de Gaza avant la prise de pouvoir du Hamas », il y a un an. L’initiative de Sanaa est restée jusqu’à présent lettre morte puisqu’elle est interprétée différemment par les frères ennemis palestiniens. Malgré tout, la légitimité de Mahmoud Abbas n’est pas remise en question par les islamistes. Un ancien diplomate en visite à gaza récemment notait : « Dans tous les bureaux où je suis allé le portrait du président palestinien était collé à ceux des responsables du Hamas ». 

L’appel de Mahmoud Abbas intervient au moment où les négociations de paix avec Israël s’enlisent, la perspective d’un accord de paix avant la fin 2008 paraît irréalisable. Le Hamas le sait et son porte-parole Sami Abou Zouhri précise même : « Il ne fait pas de doute que l’appel du président Abbas est lié à l’échec des négociations (…) il se rend compte que l’unité nationale est essentielle pour faire face à Israël ».

Faut-il parler avec le Hamas ?

Les Israéliens de leur côté n’approuvent pas. Au moment des négociations inter-palestiniennes à Sanaa en mars dernier, l’Etat hébreu s’était montré très clair : « Mahmoud Abbas doit décider s’il veut poursuivre les négociations avec Israël ou s’il veut renouer une alliance avec le Hamas car il ne peut pas avoir les deux à la fois ». Pourtant, d’après de récents sondages, une majorité d’Israéliens seraient favorables au dialogue avec les intégristes palestiniens, ne serait-ce que pour obtenir la libération du caporal Gilad Shalit.

La communauté internationale revient elle aussi à des positions plus pragmatiques : en un an, les chancelleries occidentales ont réalisé que la stratégie d’isolement était inopérante et qu’il sera compliqué de signer la paix avec la moitié seulement des Palestiniens. Au mois d’avril, le prix Nobel de la paix, Jimmy Carter, a brisé un tabou lors d’une tournée au Proche-Orient. L’ancien président américain a rencontré certains dirigeants du Hamas et refuse de les diaboliser. Au mois de mai, c’est Paris qui a confirmé du bout des lèvres que des contacts non officiels avaient été renoués avec le mouvement islamiste. Les Britanniques mèneraient eux aussi une diplomatie parallèle en direction de Gaza. Le Hamas n’a rien cédé et s’est imposé en un an comme un acteur politique incontournable. 

A écouter

Fawzi Barhum

Porte-parole du Hamas

« Nous, au Hamas, nous attendons beaucoup de la solidarité et de l’unité parce que la situation à Gaza est catastrophique à cause du blocus israélien ».

06/06/2008 par Monique Mas