par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 29/06/2008 Dernière mise à jour le 29/06/2008 à 16:40 TU
Le ministre serbe pour le Kosovo, Slobodan Samardzic, lors de la session constitutive de l'Assemblée serbe à Mitrovica, le 28 juin 2008.
(Photo : AFP)
Samedi matin, plusieurs milliers de Serbes ont afflué au prestigieux monastère de Gracanica, situé dans une enclave, à quelques kilomètres de Pristina, pour assister à la liturgie, célébrée par Mgr Artemije, l’évêque du Kosovo, en l’honneur du prince Lazare et de tous les chevaliers tombés lors de la bataille de Kosovo Polje. Ensuite, des autobus ont conduit la foule jusqu’au mémorial de Gazimestan, à quelques kilomètres de Gracanica, là-même où fut disputée la fameuse bataille du 28 juin 1389.
Le Vidovdan – ou jour de saint Guy – est une date majeure dans le calendrier liturgique de l’orthodoxie serbe. Des liturgies sont célébrées dans toutes les églises du pays. C’est aussi une date lourdement chargée de signification dans l’histoire serbe. Ce dimanche matin, le quotidien belgradois évoquait d’ailleurs à sa une tous les Vidovdan qui ont marqué l’histoire : 1389, bien sûr, mais aussi 1914, avec l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche à Sarajevo, 1948, avec la rupture entre Tito et Staline, et 1989, avec le fameux meeting de Slobodan Milosevic à Gazimestan, considéré comme un moment charnière dans la résurrection du nationalisme serbe contemporain et l’éclatement de la Yougoslavie. On pourrait d’ailleurs ajouter à cette liste le 28 juin 2001, date du transfert de ce même Milosevic à La Haye.
Pour le 28 juin 2008, quatre mois après la proclamation d’indépendance du Kosovo, les Serbes avaient décidé de convoquer la session constitutive de leur Assemblée. Dans l’après-midi, 45 délégués venus de toutes les enclaves serbes du Kosovo se sont donc réunis dans la partie nord de la ville divisée de Mitrovica. La séance a été ouverte par l’évêque Artemije et par le ministre du Kosovo et Metohija du gouvernement serbe sortant, Slobodan Samardzic.
Large majorité aux forces nationalistes
Les délégués ont été désignés sur la base des résultats des élections municipales, organisées le 11 mai par Belgrade, malgré l’opposition des Nations unies. Les Serbes résidant encore au Kosovo, ainsi que ceux déplacés en Serbie, avaient participé à ce scrutin, accordant une large majorité aux forces nationalistes, notamment au Parti radical serbe (SRS) et au Parti démocratique de Serbie (DSS) de Vojislav Kostunica, qui dominent donc l’Assemblée. Deux sièges sont également réservés à des représentants des communautés rom et gorani (Slaves musulmans du sud du Kosovo).
L’Assemblée serbe se réfère au cadre de droit de la province autonome du Kosovo et Metohija, telle qu’elle existait jusqu’en 1999 dans le cadre de la République de Serbie. L’Assemblée se donne ainsi pour mission de coordonner publiquement l’activité des communes serbes, constituées parallèlement aux structures municipales albanaises dans toutes les villes du Kosovo. Sans prétendre à aucun pouvoir exécutif, elle se propose aussi de rédiger des projets de lois concernant le Kosovo, qui seront soumis pour approbation au Parlement de Belgrade.
Un double système
La première résolution adoptée par l’Assemblée rappelle bien évidemment que l’indépendance proclamée par le Kosovo le 17 février est « illégale ». La formation de cette Assemblée est donc un pas de plus vers la consolidation d’un double système et d’une double légitimité politique au Kosovo, même si l’on ne peut pas parler de partition territoriale, puisque les enclaves situées dans le sud du territoire sont représentées dans l’Assemblée.
La constitution de cette Assemblée ne fait pourtant pas l’unanimité parmi les Serbes du Kosovo. Les militants locaux du Parti démocratique (DS) et du G17+, deux formations pro-européennes, contestent le mode de désignation des délégués et, surtout, auraient préféré attendre la formation du gouvernement serbe avant de tenir cette réunion. En effet, alors que ce gouvernement doit être formé dans la semaine, on ignore encore quelle sera sa politique envers le Kosovo. Les autorités de Belgrade vont-elles continuer à financer les « structures parallèles » serbes du Kosovo, en les encourageant dans une ligne radicale ? Le sujet risque fort de devenir un point de tension entre les pro-européens et les socialistes, associés dans le futur cabinet serbe.
Un geste symbolique, sans conséquences pratiques
Il est en tout cas certain que l’actuel homme fort de la communauté serbe du Kosovo, le docteur Marko Jaksic, qui s’est contenté d’un modeste poste de vice-président du nouveau Parlement, militant chevronné du DSS, aura du mal à s’entendre avec les nouveaux dirigeants de Belgrade.
La constitution du Parlement a été fortement condamnée par les autorités du Kosovo indépendant, qui ne semblent pourtant pas décidées à prendre de mesures concrètes contre la mise en place de ce « système parallèle serbe ». La semaine dernière, le président du Parlement du Kosovo, Jakup Krasniqi, reconnaissait encore publiquement que le pouvoir des autorités de Pristina ne s’exerçait pas également sur tout le territoire du Kosovo. Pour sa part, le nouveau chef de la Mission des Nations unies au Kosovo (MINUK), l’Italien Lamberto Zannier, a essayé de relativiser la portée de l’événement, en présentant la création de l’Assemblée serbe comme un « geste symbolique », et sans conséquences pratiques.
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