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Afghanistan/Vallée de Kapisa

Des soldats français dans les pas des Américains

par Sophie Malibeaux

Article publié le 19/07/2008 Dernière mise à jour le 20/07/2008 à 19:35 TU

Avril 2008. Des militaires français à Kapisa.(Source : Ministère de la Défense/Thomas Goisque)

Avril 2008. Des militaires français à Kapisa.
(Source : Ministère de la Défense/Thomas Goisque)

Le déploiement des Français du 8ème régiment parachutiste d’infanterie de marine en Afghanistan devrait arriver à son terme dans le courant du mois d’août 2008. Quelque 700 soldats sont attendus. D'ores et déjà, les renforts ont pris le contrôle d’une base opérationnelle avancée dans la vallée de Kapisa, au nord-est de Kaboul. C’est à cette occasion que le ministre de la Défense, Hervé Morin, effectue son troisième voyage en Afghanistan.

L’envoi de ces renforts a été annoncé en avril, au sommet de l’OTAN à Bucarest. Les Français permettent ainsi aux soldats américains positionnés jusqu’ici dans cette province de Kapisa, non loin de la base de Bagram, de se redéployer sur des théâtres d’affrontements plus intenses, dans le sud et l’est du pays. RFI a interrogé le spécialiste des conflits Gérard Chaliand.

RFI : Quelles sont les difficultés auxquelles les soldats français vont se trouver confrontés sur le sol afghan ?

Gérard Chaliand : La première difficulté, c’est le fait qu’il y a trop peu de troupes, d’une façon générale, pour occuper un terrain extrêmement difficile dans un pays vaste comme une fois un quart, la France.

En d’autres termes, on dispose aujourd’hui au total, côté occidental, d’environ 63 000 hommes. Les Russes en avaient le double et ils ne l’ont pas emporté (NDLR au cours de la première guerre d'Afghanistan 1979-1989). Le problème, c’est qu’on ne peut pas contrôler le terrain. On peut empêcher les talibans de gagner militairement, compte tenu de la supériorité du feu, mais on ne peut pas contrôler le terrain une fois qu’on a dominé l’adversaire, en quelque sorte.

RFI : On entend beaucoup parler des faits d’armes des talibans dans l’Est et le Sud, mais on entend peu parler d’affrontements dans la vallée de Kapisa. Pourquoi les Français ont-ils choisi cette vallée pour se déployer ?

G. Chaliand : Dans la mesure où c’est une province moins exposée aux risques, pour l’instant. Ceci dit, ces choses-là peuvent changer. Mais effectivement, pour l’instant, c’est le Sud le plus dangereux, là où se trouvent les troupes américaines, britanniques et canadiennes. Et puis, l’est est également fort troublé. Mais aujourd’hui, malheureusement, tout ce qui entoure Kaboul devient aussi zone de combats.

RFI : Il y a une semaine, dans l’est, dans la province de Kunar, l’ISAF a dû abandonner une base opérationnelle avancée. Comment analysez-vous ce qui s’est passé ? C’est un revers important ?

G. Chaliand : C’est un revers, car il y a eu neuf soldats américains tués d’un seul coup, chose qui ne s’était probablement pas produite depuis le début de cette guerre.

Cela montre aussi que dans cette province qui jouxte le Nouristan –zone la plus difficile du point de vue alpestre- tenir une position n’est possible que si l’on a suffisamment d’hommes. Si par contre on est pris par surprise par un adversaire qui a concentré des troupes, on est dans une situation difficile. C’est ce qui leur est arrivé.

Ce que l’on peut noter depuis un an, c’est une détérioration régulière de la situation militaire, d’où la nécessité d’augmenter le nombre des troupes européennes et surtout, de former davantage de troupes afghanes.

Finalement, il n’y a que 58 000 hommes dans l’armée afghane alors qu’en Irak, les Américains ont réussi à former 170 000 hommes pour une population équivalente.

RFI : Quel est l’état d’esprit de ces troupes afghanes, vous qui les avez fréquentées et qui revenez tout juste d’Afghanistan ?

G. Chaliand : Je viens de passer cinq semaines sur place dont une semaine entière à Kandahar. D’une façon générale, le moral de ces troupes est loin d’être mauvais. Contrairement à ce que l’on a l’habitude d’entendre, les troupes afghanes combattent de façon tout à fait honorable, elles sont beaucoup moins bien équipées que les troupes de l’OTAN qui, elles-mêmes, sont moins bien équipées que les troupes américaines.

Donc il faudrait vraiment que l’on fasse un effort, surtout du côté américain mais aussi du côté des Occidentaux en général, pour former rapidement et le mieux possible une armée faisant beaucoup plus en nombre des 80 000 prévus. En fait, il faudrait 150 000 hommes du côté afghan pour arriver à peser sur la situation.  

RFI : Comment jugez-vous l’efficacité du dispositif français qui envoie des mentors pour entraîner des Afghans au cours d’opérations dans le cadre de ce que l’on appelle des OMLT ?

G. Chaliand : Je crois que c’est excellent, c’est exactement ce qu’il faut faire, seulement il faudrait le faire à une échelle autrement plus vaste que ce que nous faisons, nous, ou les Américains aussi d’ailleurs.

L’ensemble de l’aide occidentale militaire ou autre a été extrêmement modeste entre 2002 et 2004 à cause de la guerre d’Irak. Maintenant, depuis 2005, l’Occident paie ce retard causé par l’expédition en Irak.

RFI : Aujourd’hui, l’équipement des Français est-il de nature à faire face à la situation ?

G. Chaliand : Oui, tant que l’on dispose des moyens d’observation américains.

RFI : Nous n’avons pas nos propres moyens d’observation ?

 G. Chaliand : On n’a pas de moyens d’observation du niveau de ceux des Américains, c’est indiscutable. De la même façon qu’en projection de force –même si en Afghanistan, on n’a pas besoin de les projeter très loin- nous sommes en dessous de ce qu’il faudrait. C’est d’ailleurs le cas de tous les Européens. Nous avons tous, par rapport aux Etats-Unis, un retard considérable dans ces deux domaines : observation et projection de force.   

RFI : Pour l’appui aérien les soldats français déployés dans la vallée de Kapisa, dépendent-ils des Américains ?

G. Chaliand : En hélicoptère, effectivement, je pense que si nous avions à faire face à un engagement sérieux, nous serions obligés de faire appel aux Américains. C’est ce qui est arrivé déjà aux Britanniques et aux Canadiens.

RFI : Est-ce que cela peut poser problème ?

G. Chaliand : Non, à condition de coopérer. Evidemment, c’est toujours mieux de disposer de son propre matériel. Cela se fait, en fin de compte, à la sympathie, au niveau des états-majors. Disons qu’en général, les Américains et les Canadiens s’entendent bien. Les Britanniques, avec eux, c’était très bien au début. Depuis, il y a eu des frictions sur la façon de travailler dans la province d’Helmand, sur la façon de traiter directement avec les talibans par-dessus la tête du gouvernement afghan, comme par-dessus la tête des Américains. En ce qui concerne les Français, on va voir comment cela va se passer. Nous n’en sommes qu’au début.  

A écouter

Gérard Chaliand

Spécialiste des conflits à propos des renforts français en Afghanistan

«Ce que l’on peut noter depuis un an, c’est une détérioration régulière de la situation militaire, d’où la nécessité d’augmenter le nombre des troupes européennes et surtout de former davantage de troupes afghanes».

21/07/2008 par Sophie Malibeaux