par Georges Abou
Article publié le 23/07/2008 Dernière mise à jour le 24/07/2008 à 05:03 TU
La motion de confiance votée mardi par le Parlement indien est la première étape institutionnelle d’un long parcours qui devrait mener le pays jusqu’au seuil de la communauté atomique internationale. New Delhi, qui n’est pas membre du traité de non-prolifération, en avait été exclue après « l’explosion pacifique » de sa première bombe atomique, en 1974. Les opposants craignent une mise sous tutelle du nucléaire indien et dénoncent un bouleversement diplomatique pour l’ex-chef de file des non-alignés. Les partisans se félicitent d’un projet inédit dans lequel l’Inde ne renonce à rien tout en s’assurant le soutien de la communauté internationale pour réaliser ses ambitions énergétiques.
La presse indienne n’était pas tendre mercredi matin à l’égard de sa classe politique après la pagaille qui a entouré le vote de confiance des députés, la veille, sur l’accord nucléaire américano-indien. Partout, des accusations de corruption, de votes achetés et des déclarations soulignant la gravité des faits pour la démocratie. Le vote est gagné, mais la confiance est perdue, disent en substance les journaux indiens au lendemain de la réunion.
Qu’importe, l’épisode politique est passé. Et équipé de sa victoire douteuse, le parti du Congrès a les mains libres jusqu’aux prochaines législatives, en mai 2009, pour finaliser ses projets. Enfin, doivent se dire les dirigeants indiens, car le dossier, dont les bases ont été jetées en juillet 2005, perturbait profondément la vie politique indienne depuis des mois. Il aura finalement eu raison de la solidité de la coalition, dont l’éclatement mardi lors du vote de confiance ouvre désormais la voie aux prochaines étapes.
Les contraintes du calendrier
Si le coup de poker de Manmohan Singh desserre l’étau des contraintes politiques sur New Dehli pour poursuivre ses réformes, sur le dossier nucléaire les délais restent très courts pour honorer les différents rendez-vous. Un certain nombre sont d’ores et déjà calés et, après le succès du vote de mardi, New Dehli s’apprête à lancer une campagne de lobbying auprès des différentes capitales dont l’avis sera sollicité pour la conclusion de l’accord.
Dans huit jours, le 1er août, le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA) examinera dans le détail les clauses de l’accord pour vérifier sa conformité avec les principes de la communauté internationale atomique. Le pays n’est pas signataire du traité de non-prolifération (TNP) et, s’il est exact qu’il devra consentir à certains abandons de souveraineté nucléaire en soumettant une partie de son parc (ses 14 centrales « civiles ») à l’examen des inspecteurs de l’AIEA, il n’en manifeste pas moins un certains nombre de volontés. New Delhi exige notamment qu’il n’y ait pas d’interruption de livraison du carburant nucléaire (uranium) de ses réacteurs sous contrôle de l’AIEA ; il veut pouvoir constituer des stocks stratégiques ; et, en cas d’interruption des livraisons, il veut pouvoir modifier le dispositif d’encadrement (et se soustraire aux contrôles). En clair, l’équilibre est fragile : réciprocité entre livraisons et contrôles, réévaluation des engagements en cas de défaillance. Et l’Inde ne renonce à rien et conserve intacts et à l’abri des regards indiscrets ses équipements militaires.
« Canard boiteux »
Les initiatives indiennes sont soutenues par la diplomatie américaine qui a dépêché le sous-secrétaire d’Etat au siège de l’AIEA à Vienne le 18 juillet, où il a retrouvé les diplomates indiens chargés d’approcher les membres de l’organisation internationale et d’en convaincre les plus réticents. Si le projet franchit avec succès son examen de passage devant le conseil des gouverneurs, ses promoteurs devront ensuite convaincre le groupe des 45 pays fournisseurs de nucléaire (le « nuclear supplier group », NSG) du caractère non-proliférant de l’accord et apaiser les craintes des plus sceptiques qui observent que l’Inde ne renonce ni à ses ambitions militaires, ni à rester en dehors du TNP.
Mais, d’ici là, les entretiens vont se multiplier. Le sous-secrétaire William Burns est attendu à New Delhi d’ici la fin du mois de juillet pour un dernier tour d’horizon avant de soumettre le projet au Congrès américain, dont l’agenda est extrêmement serré. Au point que l’accord pourrait ne pas avoir lieu pour une simple raison de calendrier ! La session du Congrès américain s’achève dans quelques jours et ne reprendra qu’en septembre… pour quelques semaines seulement avant l’échéance capitale représentée par les élections américaines à l’issue desquelles les Etats-Unis auront non seulement un nouveau président (qui prendra ses fonctions le 19 janvier), mais également une Chambre des représentants entièrement renouvelée, ainsi qu’un tiers du Sénat. Ce qui signifie concrètement que les décisions qui n’auront pas été prises avant novembre ne le seront probablement pas avant fin janvier, au mieux. A moins de légiférer avec un Congrès doté d’une légitimité restreinte et que les Américains eux-mêmes qualifient de « canard boiteux ». Et qui peut assurer que le prochain Parlement américain sera dans les mêmes bonnes dispositions que son prédécesseur à l’égard d’un pays qui, comme le montrent les négociations en cours à l’Organisation mondiale du commerce à Genève, s’avère par ailleurs être un adversaire coriace des subventions que Washington continue de verser à ses agriculteurs ?
Et tout ça pour quoi ?
L’Inde dispose aujourd’hui de 22 sites, dont 14 dédiés à la production d’électricité et qui auront donc vocation à être placés sous le contrôle de l’AIEA, si l’accord est conclu. New Dehli dispose donc de ses propres compétences et des outils nécessaires au développement de son industrie atomique. Mais, avec son énorme population et son taux de croissance exceptionnel, le pays doit assouvir aussitôt que possible d’énormes besoins. Ce qui est recherché dans cette alliance avec Washington, c’est l’élargissement du parc national, son ouverture au commerce international du nucléaire et l’accélération de la production. Aujourd’hui, la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité en Inde est de 2,7%. Si l’accord est conclu, ses premiers effets visibles n’apparaîtront qu’au tournant des années 2010. L’objectif est de parvenir à une production d’électricité d’origine nucléaire de 25% en 2050. En cas d’échec, les autorités indiennes disposent d’une dernière carte : contre l’avis de Washington, elles n’ont pas enterré le projet d’importer du gaz iranien, via le Pakistan.
A écouter
Ancien secrétaire général du ministère indien des Affaires étrangères
Cet accord va permettre à l’Inde de se rapprocher de la communauté internationale pour ses besoins nucléaires et ouvrir la voie à des pays comme la France, la Russie et même les Etats-Unis.
23/07/2008 par Olivier Da Lage
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