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Pakistan

La charia en progression dans la vallée de Swat

Article publié le 12/08/2008 Dernière mise à jour le 12/08/2008 à 08:16 TU

Des femmes et des enfants ayant quitté les zones affectées par les combats pour venir se refugier chez des proches.(Photo : N. Blétry/RFI)

Des femmes et des enfants ayant quitté les zones affectées par les combats pour venir se refugier chez des proches.
(Photo : N. Blétry/RFI)

En 2007, les talibans pakistanais se sont emparés de la vallée de Swat avec une idée très précise : instaurer la charia. A l’automne de cette même année, l’armée lançait une opération contre les bases les talibans. Puis le 21 mai dernier des accords de paix ont été passés entre les talibans et le gouvernement. Mais la trêve a été de courte durée. Deux mois après la signature des accords, les combats ont repris. Depuis la fin juillet, les nouvelles interventions militaires effraient la population plus qu’elles ne la rassurent. Les habitants de la région se sentent pris entre deux feux : les talibans d’un côté, l’Armée de l’autre. Parallèlement, la charia, la loi islamique, progresse.  

De notre envoyée spéciale dans la vallée de Swat, Nadia Blétry

Depuis l’opération lancée fin juillet par l’Armée, les talibans de la vallée de Swat ont multiplié leurs attaques. Des attaques dirigées principalement contre des cibles militaires mais aussi contre ce que les militants considèrent comme « non conforme » à l’Islam. Plus de 100 écoles pour filles ont été incendiées et la peur a gagné toute la vallée. Même à Mingora, la ville principale pourtant relativement préservée, un bâtiment vient d’être brûlé. Devant une salle de classe réduite en cendres, le gardien est dépité : « Moi je suis vraiment très inquiet. Pas seulement pour mes propres enfants, mais pour toute la région. Maintenant on interdit aux filles d’étudier. Mais c’est très grave car on hypothèque notre avenir. Si ça continue comme ça, il n’y aura même plus de femmes médecins, même plus d’infirmières. Qui pourra soigner nos femmes ? »

Depuis plus d’un an, la stratégie des talibans de la vallée de Swat est la même. Lors de la brève accalmie consacrée il y a deux mois par des accords de paix, leur ligne de conduite était restée identique. C’est ce qu’expliquait Muslim Khan, le porte-parole des talibans : « Ce que nous voulons pour cette région du monde est très simple : l’application de la charia. On veut qu’il y ait une séparation entre les hommes et les femmes et que la société respecte des principes moraux. C’est notre combat. On ne se permet pas d’intervenir dans d’autres pays, alors pourquoi des pays étrangers se permettent-ils de nous expliquer comment nous devons vivre ? ». Ce principe de non ingérence a minutieusement été respecté par le gouvernement tant que ses intérêts n’ont pas été touchés. Mais lorsque fin juillet des militants ont tué trois membres des services de renseignements pakistanais, l’armée a décidé de lancer un nouvel assaut contre les talibans de la région de Swat. Des opérations qui, loin de rassurer la population, l’inquiètent.

(Photo : N. Blétry/RFI)

(Photo : N. Blétry/RFI)

Les familles fuient les zones de combats

Walida vient du Nord de la vallée. Elle a été accueillie par des proches mais elle est encore traumatisée par les affrontements : « On n’était pas en sécurité, entre les bombardements militaires et les balles des talibans ». Moussa a lui aussi quitté son village dans la région de Kabal, situé à 10 kilomètres à l’Ouest de Mingora. « Les talibans menacent aussi la population des villages comme nous. Ils exigent qu’on fasse la prière cinq fois par jour, qu’on garde nos femmes à l’intérieur des maisons. Et ils disent que ceux qui n’obéiront pas à leurs ordres en subiront les conséquences. On dit qu’ici aussi il y a des talibans mais au moins on sait qu’il ne va pas y avoir d’opérations de l’Armée ». Pour les femmes, la présence des talibans dans les villages est une véritable menace. Surtout lorsque, comme Nesrine, elles travaillent. A Rehmanabad, en pleine journée, rien ne permet de déceler la présence des militants. Si ce n’est la tension évidente de la population et la récente fermeture de l’usine de savon. Derrière une grande porte en fer, un vieil homme garde un bâtiment désert depuis une semaine. Et pour cause, le directeur de l’usine a reçu des menaces des talibans et a renvoyé les 50 femmes qui y travaillaient. Nesrine est l’une d’elle. Malgré la loi du silence qui règne dans la vallée de Swat, elle prend le risque de parler : « Mon frère est au chômage, mon père est au chômage. Je suis pauvre. Si je ne travaille pas, comment on va survivre ? Les talibans ne veulent pas qu’on travaille, nous les femmes ? Très bien alors qu’ils nous donnent de l’argent, qu’ils nous donnent de quoi vivre ».

 Aujourd’hui une véritable loi du silence règne sur la vallée et toute la population redoute les représailles des extrémistes religieux. Souvent, on n’ose pas même prononcer le mot « taliban ». Le bazar de Mingora s’est lui aussi transformé. Les magasins de CD et de DVD sont devenus des boutiques de téléphones portables. Et là encore la plupart des vendeurs ne veulent pas s’étendre sur la question. Salim est  tétanisé. Il a abandonné son ancien commerce de DVD et assure que c’est de son plein gré : « Non, non ce ne sont pas les… les talibans qui n’aiment pas les DVD, c’est l’Islam. C’est notre religion qui dit que nous ne devons pas avoir de magasin de DVD mais qu’on doit ouvrir des boutiques de téléphones. C’est mal d’avoir des DVD. Moi, je me suis débarrassé de mes DVD et j’ai aussi jeté ma télévision à la maison. Et maintenant je ne fais rien de mal, j’ai seulement ouvert un magasin de téléphones ». L’activité apparente de la journée est trompeuse. Tous les soirs, après le couvre-feu, les rues sont désertées. Et seuls résonnent dans la vallée les échanges de tirs entre les militants et l’Armée. C’est aussi le moment choisi par les militants pour brûler les écoles. Ici, l’application de la charia progresse indéniablement.