par Georges Abou
Article publié le 18/08/2008 Dernière mise à jour le 19/08/2008 à 05:54 TU
Le président pakistanais a renoncé lundi à poursuivre le bras-de-fer dans lequel il était engagé avec le nouveau gouvernement. Après plusieurs mois de valse-hésitation, la coalition avait engagé contre lui une procédure de destitution début août. Désormais très isolé sur le plan politique, Pervez Musharraf a finalement abandonné et annoncé sa démission face à des adversaires déterminés à lui faire chèrement payer le coup d’Etat de 1999, les persécutions politiques et les années d’administration militaire. Plusieurs pays, dont
Les partisans de la Ligue musulmane du Pakistan de Nawaz Sharif célèbrent la démission du président Pervez Musharraf, le 18 août 2008.
(Photo : Reuters/Asim Tanveer)
« Tous les journaux s'inquiètent ce matin du départ du président pakistanais. Le Daily Telegraph estime que le pays le plus dangereux du monde n'est pas plus sûr après ce départ. »
« Après avoir considéré la situation et consulté divers conseillers en droit et alliés politiques, sur leurs conseils, j'ai décidé de démissionner ». C’est la fin d’un long épisode de la vie politique pakistanaise, entamé avec le coup d’Etat d’octobre 1999 qui l’avait porté au pouvoir. Pervez Musharraf n’aura pas résisté au retour de son pays à la légalité constitutionnelle, après les élections législatives et provinciales de février. Remportées par une opposition qu’il avait maltraitée, sa position était devenue fragile. Son élection contestée à la présidence de la République islamique du Pakistan, en octobre 2007, quelques mois avant le scrutin général, n’a pas eu raison de la détermination de ses adversaires à le pousser vers la sortie.
Le président pakistanais, Pervez Musharraf annonce sa démission à la nation, le 18 août 2008.
(Photo : Reuters)
Pourtant, depuis son arrivée au pouvoir, il y a six mois, la coalition se hâte lentement et son attitude semble davantage marquée par le poids de ses divisions que par la volonté de tourner radicalement la page de l’épisode Musharraf. Il est vrai que le contentieux entre l’ex-général putschiste et les deux principaux partis de la coalition, s’il est de même nature, n’est pas non plus de même intensité. Si les persécutions politiques ont affecté à la fois le PML-N (Ligue musulmane du Pakistan de Nawaz Sharif) et le PPP (Parti du peuple du Pakistan, dominé par la famille Bhutto), sur lesquels repose aujourd’hui la majorité politique au Pakistan, les deux formations ont donné le sentiment de tergiverser longuement avant d’être en mesure de proposer une solution commune. Et, à mesure que les semaines, puis les mois, s’écoulaient, il apparaissait que la vie politique pakistanaise buttait sans cesse sur cette question non-résolue entre alliés de circonstance.
Tergiversations entre alliés
Nawaz Sharif, le leader du PML-N, n’a jamais fait mystère de sa détermination à écarter définitivement Pervez Musharraf du jeu politique. M. Sharif était lui-même Premier ministre lorsque le général Musharraf suspendit l’ordre constitutionnel en s’emparant du pouvoir (1999). Nawaz Sharif fut emprisonné avant d’être contraint à l’exil en Arabie Saoudite, d’où il ne fut autorisé à revenir qu’à la veille des dernières élections, auxquelles il ne fut pas autorisé à participer. La victoire de son parti, arrivé en seconde position, a conforté sa position de « candidat anti-Musharraf ». Et c’est fort de cette étiquette que son parti, le PML-N, rejoint le PPP au sein de la coalition, soumettant sa participation au préalable de l’élimination du président de l’espace politique pakistanais.
Dans cette affaire, l’attitude du PPP a été sensiblement différente. Une fois passé le scrutin de février, la résolution du problème a été longuement retardée. Contrairement à Nawaz Sharif, la défunte dirigeante du parti Benazir Bhutto a décroché son ticket pour le scrutin en obtenant d’une Cour suprême redessinée par la présidence pakistanaise le certificat d’éligibilité qui lui aurait assuré le fauteuil de Premier ministre. En échange de quoi, estime-t-on à Islamabad, le cas de l’ex-général putschiste aurait pu être examiné avec bienveillance. Les événements en ont décidé autrement : Benazir Bhutto a péri le 27 décembre lors d’un meeting électoral à Rawalpindi, victime de la vague d’attentats-suicide qui a parcouru le Pakistan tout au long des mois tragiques des années 2007 et 2008.
Avant d’entamer la procédure formelle de destitution du président, le 8 août, les deux partis viennent donc de passer six mois à en discuter. La négociation a notamment porté sur la question de savoir s’il fallait tout d’abord se débarrasser du président ou, auparavant, réhabiliter les anciens juges de la Cour suprême limogés et remplacés en toute hâte, au mois de novembre 2007. Pervez Musharraf qui, à l’approche du scrutin sent pointer le vent mauvais de la disgrâce, ne pardonne pas aux juges de douter de la légitimité de son élection à la fonction de président le mois précédent. Leur réhabilitation au lendemain de la restauration de l’ordre constitutionnel, après les élections de février, aurait eu pour effet, mécaniquement, de provoquer un réexamen critique de l’élection contestée de Pervez Musharraf et, vraisemblablement, son invalidation. Mais elle aurait également pu menacer la légalité de l’élection des notables du PPP lavés des accusations de corruption par les nouveaux membres d’une Cour suprême redessinée sur mesure, et tardivement, par Pervez Musharraf.
L’avenir incertain
La principale surprise vient de l’accélération soudaine du mouvement au cours de ces dernières semaines. Certes la situation du Pakistan se dégrade. Sur le plan économique, l’inflation est galopante, les prix flambent et les tensions sociales sont vives. La sécurité intérieure est un front quasi-incontrôlable et les forces armées ont essuyé au cours de ces deux derniers mois une série de revers après l’échec de la tentative de négociations avec les islamistes radicaux des provinces de l’Ouest et du Nord-Ouest. Au chapitre des relations régionales et internationales, la politique d’Islamabad devient illisible aux yeux de ses amis et voisins qui commencent à douter sérieusement de sa loyauté et dont certains se demandent qui, du pouvoir politique ou des services secrets, dirige le pays. Dans cette atmosphère de dégradation générale accélérée, on s’interroge sur le rôle de l’armée. L’institution la mieux structurée du Pakistan donnerait des signes de démoralisation. Le chef d’état-major a recentré ses priorités sur sa fonction première : assurer la sécurité du pays et l’écarter de la politique. Mais jusqu’à quel point ? Et que faire de Pervez Musharraf ?
Lundi, le Times of India spéculait sur les différentes hypothèses et les destinations d’exil envisagées pour le général déchu. Le quotidien de New Delhi indique que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont en tête de liste des destinations, tandis que la Turquie et l’Arabie Saoudite restent des options secondaires. « Où qu’il aille, du point de vue de sa sécurité, c’est une ‘patate chaude’ vu le nombre de personnes qui en veulent à sa vie », souligne le Times of India.
A écouter
« Maintenant que le président Musharraf a démissionné, les deux grandes forces politiques du pays vont être obligées de dialoguer dans un véritable face-à-face ».
18/08/2008 par Nadia Bletry
« Les Américains perdent celui qu’ils considéraient, en dépit des critiques, comme un allié précieux dans la lutte contre les Talibans et contre al-Qaïda ».
18/08/2008 par Donaig Ledu
Chercheur au Centre d’Etudes et de recherches internationales
« L’armée a préféré laisser tomber Pervez Musharraf car la politique qu’il a menée était une impasse et que cette politique là était aussi celle de l’armée accusée ouvertement par les Américains de soutenir en douce les talibans en Afghanistan… ».
18/08/2008 par Charlotte Idrac
Avocat au Barreau d'Islamabad
« La communauté des avocats n’aime pas Musharraf à cause de ce qu’il a fait à la justice. Je pense que la principale raison de son déclin c’est qu’il ait cassé les institutions judiciaires ».
18/08/2008 par Nadia Bletry
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