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Thaïlande

Le PAD, un mouvement hétéroclite et anti-démocratique

Article publié le 27/08/2008 Dernière mise à jour le 27/08/2008 à 14:49 TU

Depuis trois mois, des dizaines de milliers de manifestants, regroupés sous l’égide de l’Alliance du peuple pour la démocratie (PAD), réclament la démission du gouvernement dirigé par Samak Sundaravej, un proche de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra. Mardi, à l'appel de la PAD, quelque 35 000 manifestants nationalistes et royalistes ont encerclé plusieurs ministères et pris d'assaut le siège du gouvernement, ainsi qu'une chaîne de télévision publique. Un certain mystère entoure cette organisation hétéroclite, créée en février 2006 et dirigée par cinq personnes actuellement menacées d’arrestation par le gouvernement.

Chamlong Srimuang ( à gauche ) observe Sondhi Limthongkul ( à droite ) lors d'une manisfestation du PAD à  Bangkok, le 27 août 2008. ( Photo : AFP )

Chamlong Srimuang ( à gauche ) observe Sondhi Limthongkul ( à droite ) lors d'une manisfestation du PAD à Bangkok, le 27 août 2008.
( Photo : AFP )

De notre correspondant à Bangkok, Arnaud Dubus

En 2006, les objectifs de l’Alliance du peuple pour la démocratie étaient clairs. Au début de la montée du mouvement d’opposition populaire au Premier ministre d’alors, Thaksin Shinawatra, le nouveau mouvement s’en prenait au népotisme et à la corruption massive qui prévalait sous le gouvernement de l’ancien homme d’affaires converti à la politique. Construit autour du patron de presse Sondhi Limthongkul, dirigeant du groupe Manager, l’Alliance était très populaire dans les milieux urbains. Elle symbolisait la volonté de beaucoup de Thaïlandais de purger le monde politique des « combines » quasi-mafieuses et d’éradiquer le système clientéliste qui bloque le progrès démocratique du royaume.

Deux ans après, l’image du PAD est devenue plus floue. Certes, malgré l’exil de Thaksin à l’étranger pour fuir les multiples procès pour corruption qui lui sont intentés en Thaïlande, le mouvement vise toujours à démanteler totalement le « régime Thaksin ». « Le peuple sait bien que le gouvernement actuel est truffé d’alliés politiques de Thaksin. Ils ont lancé des mégaprojets qui empestent la corruption. Thaksin a commencé à piller le pays et eux continuent. Ils doivent être condamnés par la justice et restituer les biens qu’ils ont pris », dit Somsak Kosaisuk, l’un des cinq leaders de l’Alliance. Jeune militant gauchiste dans les années 70 devenu ensuite leader syndical, Somsak représente l’aile marxisante de l’Alliance.

L’aile affairiste est représentée par Sondhi Limthongkul, qui peut être considéré comme l’initiateur du mouvement et son leader le plus influent. Journaliste, puis patron de presse aux fortunes diverses, Sondhi a été, autrefois, un partenaire d’affaires et un admirateur de Thaksin, son ennemi juré aujourd’hui. Les deux hommes, qui partagent le goût du risque financier, s’étaient investis dans le domaine des télécommunications dans les années 90. Mais là où Thaksin a réussi à bâtir un impressionnant empire économique – parfois en rachetant à Sondhi des firmes en déliquescence -, Sondhi n’a jamais su concrétiser ses grandioses projets d’empire de presse et de lancement de satellites. Sondhi est d’une certaine manière une « version ratée » de Thaksin. Les deux hommes sont entrés en conflit quand une banque gouvernementale a cessé de soutenir financièrement les entreprises surendettées de Sondhi, alors que Thaksin était Premier ministre (2001-2006). La rancœur personnelle contre l’ancien chef de gouvernement explique donc en grande partie l’engagement politique de Sondhi.

Relents de militarisme

L’ancien général Chamlong Srimuang mène la faction « ascétique » de l’Alliance. Affilié à la secte bouddhiste excommuniée Santi Asoke, cet ancien gouverneur de Bangkok était le mentor politique de Thaksin dans les années 90. Son renversement d’attitude reste mystérieux, mais peut être ce bouddhiste austère et discipliné a-t-il sincèrement était déçu par les pratiques peu morales de son protégé devenu leader du pays ?

Au-delà de la volonté de renverser le gouvernement pro-Thaksin, les leaders de l’Alliance populaire pour la Démocratie veulent réformer le système politique pour le rendre…moins démocratique. Conscients du fait que les élections aboutissent systématiquement à la victoire du parti politique associé à Thaksin, ils souhaitent réduire le poids des électeurs ruraux, majoritaires dans le pays. Sondhi Limthongkul propose ainsi que 30 % des membres du Parlement soient élus et 70 % nommés au sein de diverses associations et corporations « représentatives de la société ». Le patron du groupe Manager ne cache pas son mépris pour « ces paysans ignares qui ne comprennent rien à la politique ».

Il n’est pas facile d’identifier socialement les partisans de l’Alliance. Des entretiens avec les manifestants ces derniers jours indiquent que beaucoup d’entre eux sont des petits employés ou des retraités, mais le mouvement séduit aussi des cadres de grandes sociétés et des universitaires. Le trait dominant est leur enracinement dans l’univers urbain coupé socialement du monde traditionnel et rural thaïlandais. Les membres de l’Alliance paraissent sincèrement offusqués des dérives mafieuses du gouvernement sous Thaksin, mais ils défendent aussi, peut être inconsciemment, l’ordre établi, la stricte hiérarchie de la société thaïlandaise où les gens des campagnes ne sont pas considérés comme des interlocuteurs crédibles dans la vie politique.

Bien organisée, dotée d’un équipement sophistiqué et de fonds importants, l’Alliance du peuple pour la Démocratie exhale aussi des relents de militarisme, comme l’attestent la tenue martiale et le comportement qui tend de plus en plus à la violence des membres du service d’ordre. Le coup d’Etat militaire de septembre 2006, qui a renversé Thaksin, a été applaudi par le mouvement. « Le PAD est un mouvement anti-démocratique, soutenu par d’importants bailleurs de fonds et bénéficiant de protections douteuses, qui exploite les craintes des privilégiés et un sentiment nationaliste délibérément anti-rationnel et qui flirte avec le militarisme et la violence », résume Chang Noi, analyste politique au quotidien The Nation.