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Afrique du Sud

Révolution de palais en Afrique du Sud

Article publié le 21/09/2008 Dernière mise à jour le 21/09/2008 à 20:42 TU

Thabo Mbeki a démissionné à la demande de l’ANC ! Une humiliation incroyable pour le chef de l’Etat. Le président sud-africain s’est adressé à la télévision, dimanche soir, pour expliquer pourquoi il venait d’envoyer sa lettre de démission à la présidente du Parlement. Une démission qui deviendra effective dans les prochains jours.
Le président sud-africain Thabo Mbeki s'est adressé à la nation sur la chaîne nationale SABC, à Johannesburg, le 21 septembre 2008.(Photo : Reuters)

Le président sud-africain Thabo Mbeki s'est adressé à la nation sur la chaîne nationale SABC, à Johannesburg, le 21 septembre 2008.
(Photo : Reuters)


De notre correspondante à Johannesburg, Valérie Hirsch

« Je respecte la décision de l’ANCen tant que membre loyal du parti », a expliqué Thabo Mbeki dimanche soir à la télévision. Le président a nié être intervenu dans les poursuites judicaires contre son rival Jacob Zuma et avoir violé la Constitution : « C’est très regrettable que certains aient critiqué notre intégrité ». Avec émotion, il a terminé le discours en remerciant ceux qui l’ont soutenu : « Dans les moments d’adversité, il faut du courage et de persévérance. Pour l’Afrique du sud, il y a encore du travail à faire et nous continuerons à agir », a-t-il conclu, sans en dire plus.

Extrait de l'allocution de Thabo Mbeki

Sur l'indépendance de la justice

« Nous n'avons jamais porté atteinte aux droits des services du procureur général d'engager des poursuites ou de ne pas en engager. »

21/09/2008 par Nicolas Champeaux


Mbeki a subi le sort de Tony Blair, qui l’a tant inspiré : rejeté par son propre parti, Thabo Mbeki a dû jeter l’éponge. Samedi, après huit heures de débats tendus, les 86 membres de la direction de l’ANC lui ont ordonné de quitter son fauteuil. En Afrique du sud, le chef d’Etat  (Nelson Mandela en 1994, puis Mbeki à partir de 1999) est élu par les députés du parti qui a remporté les élections législatives, en l’occurrence l’ANC. 

L’arrêt « Nicholson » a été du pain béni pour les alliés de Zuma

C’est un simple jugement qui a abouti au départ forcé du président. Le 12 septembre, le juge Chris Nicholson a affirmé que Mbeki avait orchestré les poursuites judicaires contre Zuma, dans une affaire de corruption impliquant la société française Thales. Depuis sept ans, les deux hommes sont à couteaux tirés : Mbeki ne veut pas du leader populiste zoulou pour lui succéder à la fin de son mandat au printemps 2009. En décembre dernier, le chef de l’Etat avait subi une première défaite retentissante au congrès de l’ANC, quand il avait perdu la présidence de l’ANC, emportée par Zuma.  

L’arrêt « Nicholson » a été du pain béni pour les alliés de Zuma, qui ont aussitôt réclamé la démission de Mbeki. « Nous allons enterrer ce serpent ce week-end. Il a manipulé la Constitution pour son usage personnel, c’est un dictateur », a clamé mercredi, le président de la Ligue des jeunes de l’ANC Julius Malema, le plus véhément des pourfendeurs du chef de l’Etat. Les leaders du syndicat Cosatu et du Parti communiste ont également réclamé la tête du président. La « gauche » de l’ANC, marginalisée par la politique économique de Mbeki, lui a toujours reproché son arrogance, son intolérance et son exercice  peu consensuel du pouvoir politique. D’autres mécontents se sont joints à la curée, comme les hommes d’affaires Cyril Ramaphosa et Tokyo Sekwale, qui ont eu maille à partir avec le président.

Il y a  une semaine, Zuma avait pourtant déclaré que « le serpent mort » (Mbeki) resterait en poste jusqu’à la fin de son mandat. Mais la décision, mercredi, du procureur de faire appel contre l’arrêt « Nicholson » a précipité les choses. Si « l’affaire Zuma » avait été poursuivie en justice, a expliqué samedi Gwede Mantashe, le secrétaire-général de l’ANC, elle « aurait continué à être un facteur de division au sein de l’ANC. Notre priorité est de rétablir la stabilité du pays, l’unité et la cohésion de l’ANC ». Selon Matheus Phosa, le trésorier général de l’ANC, « ce fut une décision difficile à prendre : nous ne voulons pas crucifier Mbeki en public mais nous nous n’étions pas d’accord sur la façon dont il gérait le parti et son style de leadership ».

La démission de Mbeki deviendra effective lors d’une séance solennelle au Parlement, sans doute la semaine prochaine. La vice-présidente Phumzile Mlambo-Ngcuka devrait également quitter ses fonctions ainsi que certains ministres. Le Parlement élira un nouveau chef d’Etat, probablement la présidente du Parlement, Baleka Mbete, une fidèle de Zuma. N’étant  pas député, ce dernier ne peut pas être élu. Il devra donc attendre la fin des élections législatives (en avril prochain, en principe) pour accéder au pouvoir.

Réactions

Pour l’opposition, le renvoi de Mbeki crée toutefois un dangereux précédent. « Zuma n’a pas été acquitté par le jugement de Nicholson et il va échapper à la justice », regrette Helen Zille, la présidente du parti démocratique (opposition). C'est un acte de pure revanche ». Zuma avait lui-même été limogé de la vice-présidence du pays par Mbeki, avant même d'être inculpé. Pour Bantu Holomisa, de l’Union des démocrates indépendants, « ce n’est pas à une faction d’un parti d’interpréter un arrêt judiciaire et de  limoger le président. Le Parlement aurait dû être saisi ». Certains s’inquiètent aussi de l’indépendance de la justice : « L’ANC a fait précisément ce que le juge Nicholson a reproché au président : intervenir dans le processus judiciaire, note le politologue Steven Friedman. On peut aussi se demander si Zuma, qui ne semble pas avoir soutenu la décision de renvoyer Mbeki, contrôle ses troupes ».

Dans la population et les milieux d’affaires, les réactions sont très diverses. Mais beaucoup espèrent que le départ de Mbeki ramène un peu de stabilité dans la vie politique du pays, après des mois d’affrontements au sein de l’ANC, qui ont paralysé toutes les sphères de l’Etat. Mais déjà des rumeurs parlent de la création d’un nouveau parti par les fidèles de Mbeki, qui pourrait se présenter aux prochaines élections. A terme, ce serait une bonne chose pour la démocratie sud-africaine, bien malmenée ces derniers mois.

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