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Chine

Le scandale du lait toxique a été étouffé durant des mois

par Alain Renon

Article publié le 23/09/2008 Dernière mise à jour le 23/09/2008 à 17:37 TU

Ce sont les médias officiels chinois qui l’ont progressivement annoncé dans la nuit du lundi 22 au mardi 23 septembre : l’une des grandes compagnies de produits laitiers du pays, Sanlu, a dissimulé des informations sur les méfaits pour la santé de son lait maternisé en poudre, contaminé à la mélamine. Le groupe a caché la vérité « pendant plusieurs mois », selon l’agence Chine Nouvelle (Xinhua).

Des familles chinoises viennent retourner le lait frelaté, à Zhengzhou, dans le centre de la Chine, le 23 septembre 2008. (Photo : AFP)

Des familles chinoises viennent retourner le lait frelaté, à Zhengzhou, dans le centre de la Chine, le 23 septembre 2008.
(Photo : AFP)


Le groupe Sanlu, l’un des géants chinois de l’agroalimentaire laitier, a menti. Au moins par omission, selon des éléments de l’enquête, lancée le 12 septembre, sur le lait maternisé en poudre commercialisé par la marque. Sanlu a en effet été alerté par des consommateurs dès le mois de décembre 2007, ont indiqué Chine Nouvelle et la télévision nationale, CCTV, sans plus de précision sur le nombre ou le contenu de ces doléances. L’entreprise, basée à Shijiazhuang, capitale de la province septentrionale du Hebei (à 200 kilomètres au sud-ouest de Pékin), n’a en tout cas pas jugé nécessaire d’y répondre avant le mois de juin, en procédant alors à des tests qui ont révélé la présence de mélamine dans la poudre de lait. Toujours selon les enquêteurs, Sanlu a encore attendu plus d’un mois, avant d’alerter les autorités provinciales, le 2 août, sur la contamination de son produit par ce solvant, utilisé dans la fabrication de colles et de plastiques.

Chaîne du silence

La dissimulation du scandale n’a pas pris fin pour autant. Car, après le fabricant, ce sont les responsables régionaux de l’administration et du Parti communiste qui ont tardé à avertir les autorités centrales. Si l’on s’en réfère, là encore, à l’enquête, Pékin n’a été informée que le 9 septembre. Soit deux jours avant l’annonce d’un premier décès de nourrisson, victime de la mélamine, et l’aveu public de Sanlu sur la dangerosité de son lait maternisé.

En d’autres termes, la chaîne du silence aura tenu pendant près de 9 mois. Silence de l’industriel, visiblement  plus soucieux de continuer à écouler ses produits, même toxiques, que de santé publique ; silence des responsables locaux, réputés faciles à acheter en Chine, mais connus aussi pour leur peur d’être mal vus de leurs supérieurs en transmettant des informations « désagréables » et « sensibles ».

Ce mélange de corruption et d’irresponsabilité politique peut expliquer que Pékin n’ait pas pris la mesure du scandale avant ces deux dernières semaines. Il aura en effet fallu attendre le 11 septembre pour mettre à l’index le lait maternisé Sanlu et le 18 septembre pour déclencher l’alerte générale à la mélamine, des inspections d’urgence dans les entreprises laitières du pays ayant révélé la contamination de lait liquide et de dérivés laitiers, yaourts, glaces, mais aussi chocolats, bonbons, biscuits, et même café en poudre, fabriqués et commercialisés par d’autres grandes marques, telles Yili, Mengniu ou encore Guangming, principaux exportateurs chinois de produits laitiers.

Alerte internationale

L’affaire a dès lors pris la dimension d’une crise majeure, comme en témoignent les dernières statistiques du ministère chinois de la Santé, publiées lundi 22 septembre : quelque 53 000 enfants avaient dû recevoir des soins ; près de 13 000 étaient encore hospitalisés, dont 104 dans un état grave ; 4 bébés étant décédés de calculs rénaux. L’enquête sanitaire nationale a également  pris de l’ampleur. Vingt-deux entreprises du secteur sont désormais épinglées à des degrés divers pour avoir utilisé du lait contaminé à la mélanine.

Parmi elles, figurent donc les grandes firmes exportatrices. D’où les préoccupations d’un grand nombre de pays, en Asie et Afrique principalement. En une semaine, une quinzaine de gouvernements ont pris des mesures de précaution, qui vont de la suspension des vente de certaines marques (Bangladesh, Brunei, Vietnam, Burundi, Côte d’Ivoire…) à l’interdiction, jusqu’à nouvel ordre, de toutes les importations de produits laitiers chinois (Taiwan, Malaisie, Singapour, Philippines, Indonésie, Cambodge, Tanzanie, Gabon…). Principal partenaire commercial de la Chine, le Japon hésite encore à fermer ses frontières, malgré la demande pressante des élus locaux. Par ailleurs, des produits fabriqués en Chine pour des multinationales, comme Nestlé, sont sur la sellette, à Hong Kong notamment, où de très nombreux produits laitiers « made in China » ont été retirés des circuits de distribution.   

Enquête jusqu’où ?

La réputation commerciale de la Chine continentale risque donc de pâtir de cette crise du lait (le secteur pèse à lui seul quelque 19 milliards de dollars. D’autant que la liste des scandales dus, ces dernières années, à des produits frelatés commence à être longue : yoyos contenant un liquide contaminé par des bactéries fécales en 2004, à Madagascar ; dentifrice contenant un solvant, potentiellement mortel, découvert en 2007 ; jouets Mattel à la peinture de plomb, retirés du marché par millions, la même année ; raviolis contenant des pesticides, au Japon en janvier dernier… Consciente de l’impact négatif de toutes ces affaires, Pékin s’affiche résolue à sévir dans la dernière en date. La présidente du groupe Sanlu a perdu sa place et a été arrêtée, de même que le secrétaire du Parti à Shijianzhuang et plusieurs autres responsables politiques locaux du Hebei. Le patron de l’administration nationale en charge du contrôle de la qualité des produits alimentaires a, quant à lui, été contraint à la démission, le 22 septembre.

C’est à ce jour le plus haut responsable chinois sanctionné. D’autres têtes économiques ou politiques pourraient tomber, si l’enquête se poursuit. Mais on peut en douter. D’abord parce qu’à en croire quelques médias chinois, dont le très sérieux Asia Times, l’usage de la mélamine par les industriels est un secret de polichinelle depuis trois ans, au moins, en Chine. Elle leur permet principalement de camoufler l’adjonction d’eau dans le lait, en donnant l’impression d’une teneur garantie en protéines. C’est ce qui explique que 22 compagnies soient épinglées et sans doute aussi que des cas d’intoxication aient été signalés mais minimisés bien avant la fin de l’année dernière. Aller au bout de l’investigation, c’est prendre le risque de devoir reconnaître des années de passivité en matière de santé publique. L’autre frein vraisemblable tient en un seul mot : Yili. Le géant laitier, pris dans la tourmente, faisait partie des sponsors officiels des Jeux Olympiques de Pékin.