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Guinée-Bissau

Une victoire pour la démocratie ?

Article publié le 19/11/2008 Dernière mise à jour le 19/11/2008 à 02:21 TU

Les Bissau-Guinéens viennent d’aller aux urnes pour renouveler leur Assemblée nationale. Un scrutin important, dans un pays frappé ces derniers temps par une paralysie du travail gouvernemental. L’élection s’est déroulée dans le calme, la participation s’annonce très élevée. Beaucoup espèrent que les chefs de partis ne déraperont pas dans la dernière ligne droite.

De notre envoyé spécial à Bissau, Laurent Correau

Devant les bureaux de vote, les files d'attente étaient longues.(Photo : Laurent Correau/RFI)

Devant les bureaux de vote, les files d'attente étaient longues.
(Photo : Laurent Correau/RFI)

Le dimanche 16 novembre, à 7h00 (ou presque), 95% des bureaux de vote étaient ouverts en Guinée-Bissau. Comme ce bureau de la capitale, près de l’ancienne boulangerie Cacheu, devant une maison individuelle. Il n’aura fallu qu’une demi-heure pour installer la table devant le mur de jardin, accrocher la banderole, planter l’isoloir dans une section défoncée du trottoir et placer l’urne bien en évidence sur une chaise. Les premiers électeurs, une vingtaine, s’étaient déjà rangés en file d’attente, sous le regard des observateurs des partis politiques.

Les Bissau-Guinéens ont voté à l’heure et le jour convenu. Dans une région qui vient d’assister au report de deux scrutins, les élections de Guinée et de Côte d’Ivoire, le fait mérite d’être signalé.

La course n’était pourtant pas gagnée d’avance. « Les autorités ont longtemps retardé leur décision sur l’utilisation de technologies biométriques pour le recensement électoral. Ce n’est que le 6 juin qu’elles ont décidé de procéder à un recensement ‘manuel’. Il a du coup fallu organiser les opérations en trois semaines », explique un expert du PNUD, le Programme des Nations unies pour le développement qui a accompagné le processus. Autre nid-de-poule qui aurait pu provoquer une sortie de route du processus électoral : les arriérés de paiement de salaires de la Commission nationale des élections et des Commissions régionales. Les personnels ont lancé des menaces de grèves. La crise a pu être éteinte à temps.

Les Bissau-Guinéens ont voté à l’heure, ils ont aussi voté nombreux. Aucun chiffre officiel de participation n’a pour l’instant été annoncé, mais tous les observateurs internationaux saluent la mobilisation m

assive des électeurs bissau-guinéens. Beaucoup notent que les femmes et les jeunes sont allés en grand nombre aux urnes.

L’élection n’a certes pas été parfaite. Dans sa déclaration préliminaire sur le scrutin, la mission d’observation de l’Union européenne indique que « les cadeaux et autres achats de vote ont été une pratique courante dans tout le pays ainsi que la participation directe de fonctionnaires d’Etat à la campagne politique ». Mais selon le chef de la mission, Johan Van Hecke, ces problèmes n’entachent pas véritablement la validité du scrutin. Dès le lendemain du scrutin, le représentant du secrétaire général de l’ONU à Bissau, Shola Omoregie, s’est pour sa part empressé de parler de « Victoire pour la démocratie ».

Rêve de changement

Pourquoi les Bissau-Guinéens sont-ils allés nombreux aux urnes ? L’analyste politique Carlos Vamain rappelle que les forts taux de participation sont une habitude dans le pays. « L’électorat bissau-guinéen vote massivement, explique-t-il. C’est ce qu’on a déjà pu voir en 1994 et 1999… » Selon Carlos Vamain, les Bissau-Guinéens sont aussi allés voter par « soif de stabilité ». Les déchirements des chefs politiques ont en effet contraint, ces derniers temps, le gouvernement à l’immobilisme.

Une vendeuse de légumes du marché Bandim, le grand marché de la capitale.(Photo : Laurent Correau/RFI)

Une vendeuse de légumes du marché Bandim, le grand marché de la capitale.
(Photo : Laurent Correau/RFI)

Pour toucher du doigt les attentes de la population, il suffit d’aller à la rencontre des commerçants du marché Bandim, le grand marché de la capitale. Il faut d’abord suivre des allées étroites qui serpentent entre les boutiques. « On veut le changement, parce qu’on travaille, et on ne voit rien du résultat de notre travail. On vient chaque jour, on ne gagne même pas à manger », se plaint un commerçant. « Dans ce pays-là, l’enseignement est zéro à la base », s’indigne un autre qui ajoute : « il faut aussi lutter contre la drogue. Les enfants ont commencé à consommer cette drogue là, chaque fois il y a des scandales, il y a de la criminalité ».

On finit par arriver dans une sorte de hall où se vend le poisson. Voici la vendeuse : « Il n’y a pas de riz en Guinée, pas d’électricité. Pas d’eau potable, pas de salaire dans la fonction publique. C’est nous les femmes qui travaillons au marché pour donner à manger à la famille ». A ses côtés, une autre commerçante surveille ses légumes : « Nous les femmes, nous voulons qu’il y ait beaucoup de choses à manger, qu’on puisse emmener les enfants à l’école et que tout se passe bien pour le travail. »

Les Bissau-Guinéens rêvent d’un changement. Selon Fafali Koudawo, professeur de science politique et doyen de l’université Collinas de Boe, c’est cette aspiration qui a provoqué leur mobilisation. L’universitaire explique que, depuis la création du PRID (Parti républicain de l’indépendance pour le développement), un parti favorable au chef de l’Etat Nino Vieira, la population craint que le système ne se perpétue : « Les gens ne veulent pas qu’il y ait une accumulation du pouvoir dans un camp, notamment dans le camp présidentiel, en raison de la mauvaise gouvernance, des privations quotidiennes, explique Fafali Koudawo. Il y a un parti qui a été identifié très fortement comme étant le parti présidentiel, je pense qu’il y a eu un phénomène de rejet. Ça a amené les électeurs aux urnes. Ils ont voulu se mobiliser pour faire pencher la balance d’un côté où ils pensent que cette fois-ci ça pourrait marcher… au risque d’être pris de désillusions après. ».  

L’organisation du scrutin a également facilité la mobilisation des électeurs. Un maillage de bureaux de vote plus serré que par le passé a rendu la participation plus facile. Les populations n’avaient plus à parcourir de longues distances pour aller voter.

L’attente des résultats

Portrait d'une habitante de Mansoa, une localité rurale à 40 km de Bissau.(Photo : Laurent Correau/RFI)

Portrait d'une habitante de Mansoa, une localité rurale à 40 km de Bissau.
(Photo : Laurent Correau/RFI)

Tout le pays attend maintenant l’annonce des résultats. Le PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), l’ancien parti unique, est donné grand favori. Reste à savoir dans quelle mesure il sera gêné au Parlement par les députés du PRID, proche du chef de l’Etat. Autre point d’interrogation : quels seront le poids et les choix politiques du PRS (Parti de la rénovation sociale) de l’ancien président Kumba Yala ?

C’est l’émergence d’une majorité parlementaire claire qui est le véritable enjeu politique de ces législatives. Le pays a en effet un besoin pressant de réforme, et attend un gouvernement qui puisse se mettre au travail. Un bon connaisseur de l’Etat bissau-guinéen explique qu’il y a urgence à procéder à un dégraissage de la fonction publique : « La charge salariale est devenue impossible à gérer. Elle s’élève à 110% des recettes fiscales alors que la moyenne dans la région est de 35%. ». L’Etat bissau-guinéen boucle actuellement les fins de mois grâce à l’aide budgétaire que lui apportent des partenaires étrangers. Une réforme de l’armée apparaît également nécessaire.

Les élections se sont déroulées dans le calme et la sérénité. Aucun incident n’a été signalé. Les observateurs de partis politiques concurrents ont cohabité au sein des bureaux de vote et ont travaillé dans la discrétion, sans intervenir dans le processus. Beaucoup espèrent que les leaders politiques bissau-guinéens ne déraperont pas dans la dernière ligne droite au moment de l’annonce des résultats. La population garde le souvenir douloureux des onze mois de guerre civile qui ont déchiré le pays en 98-99.

A écouter

Vote massif en Guinée-Bissau

« Les gens ne veulent pas qu'il y ait une accumulation de pouvoir dans un camp, notamment dans le camp présidentiel ».

18/11/2008