Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Attentats de Bombay

Le Pakistan en accusation

par Nicolas Vescovacci ( Avec AFP et Reuters)

Article publié le 28/11/2008 Dernière mise à jour le 28/11/2008 à 20:43 TU

Quels que soient les démentis apportés par le Pakistan, l’Inde accuse indirectement son voisin d’être impliqué dans le carnage de Bombay. Depuis les années 1990, les attentats perpétrés en Inde par des militants islamistes attisent les soupçons de New Delhi envers Islamabad. Et le territoire pakistanais est souvent décrit par les forces indiennes de sécurité comme un sanctuaire pour les terroristes qui opèrent en Inde. A Bombay, le recours à des hommes fortement armés et très bien organisés évoque la tactique de groupes d’activistes basés au Cachemire, une région que l’Inde et le Pakistan se disputent depuis 1947.
Le président pakistanais Asif Ali Zardari (à gauche) et son Premier ministre Yousuf Raza, le 28 novembre 2008.( Photo : AFP )

Le président pakistanais Asif Ali Zardari (à gauche) et son Premier ministre Yousuf Raza, le 28 novembre 2008.
( Photo : AFP )

Après les attaques spectaculaires de Bombay, les responsables pakistanais ont senti le danger. Comme à chaque attentat perpétré sur son territoire, l’Inde a une nouvelle fois accusé son « frère ennemi » de soutenir, sinon de manipuler les groupes fondamentalistes musulmans qui agissent de part et d’autre de la frontière. Le président, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères du Pakistan ont très vite condamné les attaques qui ont ensanglanté la capitale économique de l’Inde, répétant à l’envi que le terrorisme était un fléau régional.

Dans un communiqué, la présidence pakistanaise insiste sur la nécessité de « prendre des mesures sévères pour éradiquer le terrorisme et l’extrémisme dans la région ». Shah Mehmood Qureshi, le ministre pakistanais des Affaires étrangères, en visite en Inde depuis mercredi, offre même la « coopération complète du Pakistan pour faire face à cette menace. »

Lashkar-e-Tayeba, coupable !

Cette attitude conciliante des autorités pakistanaises ne suffit pas à calmer la colère indienne. A Bombay, l’émotion, toujours très forte, pousse à désigner des coupables. Les médias relaient la communication officielle, selon laquelle les terroristes appartiendraient au Lashkar-e-Tayeba, le principal groupe islamiste armé basé au Pakistan qui lutte contre la présence indienne au Cachemire. Les services de sécurité de l’Etat du Maharashtra affirment avoir arrêté trois militants, désignés comme des fedayin bien armés, membres de ce groupe pakistanais interdit en 2001.

Interrogé par l’Agence France-Presse, un porte-parole du Lashkar-e-Tayeba a démenti toute implication dans les attaques coordonnées de Bombay.

Pranab Mukherjee, le ministre indien des Affaires étrangères, a réitéré ce vendredi les accusations de son gouvernement : « les informations préliminaires indiquent que des éléments ayant des liens avec le Pakistan sont impliqués. »

La rhétorique n’a rien de surprenant : le lien présumé des terroristes avec le Pakistan rendrait Islamabad a priori complice d’une éventuelle manipulation.

A ce stade, aucun élément d’information ne permet pourtant d’accréditer la thèse défendue par le gouvernement de New Delhi. Et si les autorités indiennes ont des preuves, elles refusent pour le moment de les rendre publiques.

Accusé de plus en plus ouvertement par l’Inde, le Pakistan a ce vendredi exceptionnellement dépêché en Inde le patron de l’ISI, le plus puissant service de renseignement militaire pour aider à l’enquête.

L’Inde face au fondamentalisme musulman

Certes, par le passé, des groupes de terroristes musulmans indiens ont reçu le soutien de mouvements installés au Bangladesh ou au Pakistan. C’est le cas par exemple du SIMI, le Mouvement des étudiants islamiques de l’Inde.

Créée en 1977 dans l’Uttar Pradesh, cette organisation étudiante, interdite elle aussi depuis 2001, s’est fixée pour objectif la libération de l’Inde par l’Islam. Ces extrémistes du SIMI sont accusés par les autorités indiennes d'être responsables de la plupart des attentats qui ont frappé le pays ces dernières années, y compris les explosions qui avaient fait plus de 180 morts dans des trains de banlieue de Bombay en 2006.

Mais, selon certains observateurs, le SIMI aurait acquis au fil du temps une certaine autonomie, voire une certaine expertise qui lui aurait permis de s’affranchir du parrainage pakistanais ou bangladais. A partir de 2005, certains cadres du SIMI auraient ainsi participé à la formation d’un autre groupe terroriste, les « Moudjahidines indiens » qui ont récemment revendiqué des attentats dans l’Etat d’Assam : treize explosions quasi simultanées qui ont fait 77 victimes. La simultanéité des explosions en Assam, la coordination des attaques à Bombay en 2006 et 2008 semblent dessiner un mode opératoire spécifique aux groupes indiens que les accusations contre le Pakistan enterrent prématurément. Dans l’urgence, en réponse à l’émotion et à l’horreur, le bouc émissaire pakistanais s’impose comme une évidence.

Climat anti musulman

Cette « politisation du tragique » repose sur des réflexes historiques qui font du Pakistan une cible facile. Par ailleurs, pour les autorités fédérales, admettre que des Indiens puissent être responsables du carnage semble insupportable. En désignant des connivences pakistanaises, le gouvernement indien a donc deux objectifs. Il veut désamorcer toute critique sur les graves lacunes de ses services de renseignement.

D’autre part, il souhaite s’exonérer d’un examen de conscience à l’égard des musulmans qui sont restés en Inde après la partition de 1947. Forte de 143 millions de personnes (sur plus d’un milliard d’habitants), la minorité musulmane continue de payer le prix d’un climat anti-pakistanais très prononcé. Depuis les années 1980, les musulmans indiens sont victimes d’une politique fédérale qui affiche l’hindouisme comme principal ciment de l’unité nationale. En 2002, un incendie dans un train bondé de pèlerins et d’activistes hindous avaient déclenché des pogroms contre les musulmans. Ces violences téléguidées par les extrémistes hindous avaient fait plus de deux mille morts.

Aujourd’hui, les problèmes communautaires sont toujours aussi importants et le gouvernement indien ne semble pas disposé à lutter contre les tensions politiques, religieuses ou territoriales autrement que par la répression. Ce climat explique la montée en puissance de groupes terroristes islamistes indiens que le gouvernement fédéral n’a jamais pu contrecarrer. La thèse du « parti de l’étranger » apporte des arguments à ceux qui, en Inde, sont familiers des amalgames. A vouloir se donner le beau rôle dans la guerre contre le terrorisme, le gouvernement indien risque de compromettre le « dialogue global » avec le Pakistan relancé en janvier 2004.

A écouter

Pakistan/Inde : coopération

« Les autorités pakistanaises, tout en condamnant ces attaques meurtrières, affirment qu’elles souhaitent collaborer pleinement avec l’Inde dans la lutte contre l’extrémisme ».

28/11/2008