Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Colombie

Des militaires aux arrêts pour exécutions extrajudiciaires

par Michèle Gayral

Article publié le 28/01/2009 Dernière mise à jour le 29/01/2009 à 13:38 TU

Quatorze soldats colombiens ont fait l'objet d'un ordre de détention mardi. La justice a demandé leur arrestation, car ils sont accusés d’avoir assassiné trois jeunes gens et affirmé, à tort, qu'il s'agissait de membres de la guérilla tués au combat. Ce n'est que la dernière affaire en date d'une vaste enquête sur les effroyables pratiques de certaines unités de l'armée colombienne.
Le général de l'armée colombienne Mario Montoya, ici le 8 janvier 2008, a démissionné à la suite du scandale lié à la disparition de jeunes colombiens.(Photo : AFP)

Le général de l'armée colombienne Mario Montoya, ici le 8 janvier 2008, a démissionné à la suite du scandale lié à la disparition de jeunes colombiens.
(Photo : AFP)

Les faits se sont produits le 30 mars 2007. Ce jour-là, une unité anti-enlèvements opérant dans le département oriental de Casanares, la brigade n° 16, interpelle dans un restaurant deux frères, de 15 et 20 ans ; l'un d'eux a le temps d'appeler sa famille sur son téléphone portable. Puis un troisième jeune âgé de 16 ans est sorti manu militari d'un autocar. Les trois cadavres, munis d'armes et portant des bottes et des uniformes trop grands pour eux, comme l'ont précisé dans leur rapport les services du procureur, seront plus tard présentés comme ceux de rebelles tués dans une fusillade, de présumés combattants de l'ELN, l'autre guérilla d'extrême gauche aux côtés des FARC.

Ce n'est pas la première fois que cette unité militaire implantée dans le Casanares a maille à partir avec la justice. Elle est impliquée dans d'autres affaires : d'abord, ses soldats ont abattu, en août de cette même année 2007, deux ouvriers, deux dangereux « narcos » aux dires des militaires ; mais les armes qu'ils portaient, et qu'ils auraient utilisées contre la force publique justifiant une riposte fatale, étaient hors d'usage, comme l'a encore démontré l'instruction. Enfin, ces militaires ont tenté de faire passer un journalier, qui a connu le même sort, pour un membre des FARC. La brigade n° 16 de Casanares semblait distribuer dans la plus grande diversité les étiquettes infamantes à ses victimes.

L'alerte des organisations de défense des droits de l'homme

La justice colombienne a déjà engagé des poursuites contre un millier de soldats, en relation avec la mort de 1 375 personnes dans des circonstances analogues, d'après un rapport rendu public fin décembre par le ministère public. Ces exécutions extrajudiciaires sont pour la plupart postérieures à l'année 2004, avec un pic en 2007. Elles s'expliqueraient pas les primes et autres avantages promis à l'armée, en échange des résultats que les militaires étaient incités à afficher dans le cadre du combat contre la subversion cher au président Alvaro Uribe.

L'alarme a été donnée il y a quatre mois par des organisations de défense des droits de l'homme, inquiètes de la disparition de jeunes gens qui avaient quitté une banlieue pauvre de Bogota avec la promesse d'un emploi lointain, mais exhibés peu après comme des guérilleros morts au combat. Le détonateur d'un énorme scandale, car des plaintes ont alors été déposées dans d'autres régions, révélant l'ampleur de ce phénomène de meurtres reconvertis en faits d'armes militaires.

Les « falsos positivos » 

L'ensemble de ces affaires est connu sous le nom de « falsos positivos », littéralement « faux positifs », les militaires colombiens utilisant le mot « positif » pour désigner un objectif atteint. Depuis, la hiérarchie militaire a dû faire le ménage dans ses rangs en limogeant 27 officiers, dont trois généraux. Même si, précise le ministre de la Défense, Juan Manuel Santos, cette purge ne signifie pas forcément que les responsables sanctionnés sont personnellement coupables de crimes, mais plutôt qu'ils ont pêché par omission ou que leur commandement a été défaillant.

L'armée s'est aussi résolue à dissoudre une brigade mobile qui opérait dans le nord-est du pays, dans le département Nord de Santander, frontalier avec le Venezuela : des soldats de cette unité ont été mis en cause dans les disparitions de Bogota. Surtout, le scandale a provoqué la démission du commandant de l'armée colombienne, le général Mario Montoya, un proche du président Uribe. Pour un gouvernement qui, précisément, tentait de rétablir sa crédibilité en matière de droits de l'homme après une ère de violations dont ont particulièrement pâti les syndicalistes et autres militants de gauche, cette nouvelle série d'exactions militaires tombe très mal.

L'impact sur les relations américano-colombiennes

Les relations avec Washington, au beau fixe durant la présidence de George Bush, ont commencé à se dégrader lorsque les démocrates ont conquis en 2006 la majorité parlementaire : le Congrès américain refuse depuis de ratifier le traité de libre-échange signé entre les administrations Bush et Uribe. Il demande au préalable à Bogota de se transformer en un partenaire respectueux des droits de la personne humaine et de l'environnement. L'énorme contribution financière et technique des Etats-Unis à la lutte que mènent les autorités colombiennes contre le trafic de drogue et le terrorisme souffre déjà des révélations des derniers mois : début novembre, le gouvernement américain a décidé de suspendre son aide militaire à trois bases impliquées dans la disparition de civils.

Et ce n'est peut-être qu'un début : aujourd'hui, Barack Obama est à la Maison Blanche, et il peut légitimement se méfier d'un allié certes inconditionnel sur la scène internationale, mais qui accumule les travers au regard des nouvelles exigences éthiques en vigueur à Washington.