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Entretien

Shirin Ebadi : « Je ne quitterai jamais l'Iran »

Article publié le 06/02/2009 Dernière mise à jour le 09/02/2009 à 08:26 TU

Shirin Ebadi, prix nobel de la Paix 2003.(Photo : Behrouz Mehri/AFP)

Shirin Ebadi, prix nobel de la Paix 2003.
(Photo : Behrouz Mehri/AFP)

En Iran, 30 ans après la révolution islamique - que les autorités célèbrent jusqu'au 10 février - la situation des droits de l'homme ne cesse de se dégrader. C'est ce que dénonce régulièrement l'avocate Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix 2003, dans des rapports repris par différents organes des Nations unies.  Depuis mi-décembre, l'avocate subit de multiples harcèlements de la part du gouvernement. Le 21 décembre dernier, le centre des défenseurs des droits de l'Homme qu'elle a contribué à fonder a été fermé, une semaine plus tard, son cabinet a été perquisitionné, la façade de son immeuble vandalisée. De nombreux autres défenseurs ont été arrêtés. Malgré ces attaques et ces menaces, Shirin Ebadi continue ses actions en Iran comme elle l'expliqué au micro de RFI.

RFI : En Iran, vous avez subi une série d'attaques, comment interprétez-vous cette pression accrue des autorités iraniennes à votre égard ?

Shirin EBADI : Le gouvernement iranien voit nos actions d'un très mauvais oeil et commence à réagir violemment parce que nous publions un rapport trimestriel sur l'état des droits de l'homme dans ce pays. Le gouvernement fait comme bon lui semble sans que personne ne réagisse.

Evidemment si nous options pour le silence, tous ces déboires cesseraient mais nous n'avons nullement cette intention : nous poursuivons nos activités et ce n'est pas parce que notre bureau est fermé que nos activités s’arrêtent.

RFI : Pourquoi les pressions sont-elles aussi fortes ? De quoi le gouvernement iranien aurait-il peur ?

S.EBADI : En 1974, le gouvernement iranien a signé les pactes sur les droits civils et politiques et sur les droits sociaux économiques et culturels. Tout ce que nous demandons aux autorités iraniennes, c'est de se tenir aux conventions qu'il a signées.

Pourquoi le gouvernement a peur ? Il faut poser cette question à ceux qui se mettent hors la loi en nous infligeant de tels traitements, en ce qui nous concerne, ce nous faisons reste dans la légalité la plus complète de notre pays.

RFI : En ce 30e anniversaire de la révolution iranienne, quel est votre constat ?

S.EBADI : La devise de cette révolution était « indépendance et liberté ». Et la promesse qui avait été faite au peuple iranien, c'était que grâce à la République islamique, le pays allait accéder à cette indépendance et à cette liberté. C'est dans cet esprit-là et selon cette promesse que je me suis moi-même vivement engagée pour cette révolution et que je me suis battue pour qu'elle soit menée à bien.

Or, 30 ans après la révolution, nous n'avons toujours pas accédé à la liberté. A titre d'exemple, les élections présidentielles se tiennent bientôt en Iran, mais vous savez que pour être candidat à ces élections, il faut avoir l'approbation et la légitimation du gouvernement lui-même, donc cela n'a pas de sens ! Aujourd'hui encore, nous ne pouvons pas dire que nous avons des élections libres.

RFI : Et à propos des élections qui auront lieu le 12 juin prochain, quelles sont vos attentes Shirin Ebadi ?

S.EBADI : Plutôt que de m'exprimer sur les individus, je préfère m'exprimer sur les principes. Ce que je demande avant tout, c'est que le gouvernement laisse la population choisir elle-même les personnes qu'elle souhaite désigner comme candidats au pouvoir et non pas que ce soit ce « Conseil des Gardiens » qui décide  de la légitimité ou non des candidats à la présidentielle. 

RFI : Vous insistez également sur l'importance de la mise en place d'un système judiciaire véritablement indépendant

S.EBADI : La première chose qui doit être faite dans ce sens, c'est tout d'abord de réformer notre législation. La législation en vigueur doit être conforme aux engagements que l'Iran a pris pour le respect des droits de l'homme. Une fois que ces modifications seront faites et que la législation sera conforme à ces engagements, il s'agira de veiller à l'application de ces nouvelles lois.

RFI : Comment compter sur la jeunesse aujourd'hui dans vos combats ?

S.EBADI : Avant même que notre centre - qui est le « centre des défenseurs des droits de l'homme en Iran » - ne soit fermé, ce qui s'est produit assez récemment, les journaux iraniens, la presse officielle, n'avait pas le moindre droit de s'exprimer sur moi, ou de diffuser des informations me concernant, si ce n'était pour me dénigrer. Or, nous avons bien vu que la population iranienne, notamment les jeunes Iraniens ont été très sensibles à mes combats et à mes messages, auxquels ils avaient accès par des sites internet ou par d'autres médias, notamment des radios qui sont diffusées en langue persane depuis l'extérieur de l'Iran.

Heureusement, dans le monde d'aujourd'hui, plus aucun gouvernement malgré toute sa répression, ne peut être plus fort que ces moyens technologiques, et les possibilités de la technologie font disparaître toutes les frontières.

RFI : L’appui de la jeunesse, de la société civile, est important en Iran ?

S.EBADI : Oui en effet la société civile iranienne aujourd'hui est extrêmement puissante, très dynamique et vivante. Nous avons des groupes de femmes qui sont très actifs. Les étudiants également, des syndicats d’ouvriers, nous avons des syndicats d'enseignants, tous ces groupements au sein de la société civile sont très dynamiques, très volontaires : ils fondent véritablement notre espoir aujourd'hui.

RFI : Comment continuer votre combat, Shirin Ebadi, malgré la fermeture de votre centre, des attaques contre votre cabinet, contre vous-même et votre famille ?

S.EBADI : Ecoutez, encore aujourd'hui, mon cabinet reste ouvert. Les cabinets de tous mes collègues qui collaborent au centre des défenseurs des droits de l'homme restent eux aussi ouverts. Nous continuons à travailler, nous continuons à recevoir nos clients, nous continuons à les défendre et à mener nos actions à bien. Pour ce qui est de la mission principale de ce centre, qui est de rendre compte de façon détaillée et constante de la violation des droits de l'homme par le gouvernement iranien, même cette activité-là perdure, malgré la fermeture du centre. Evidemment c’est plus difficile, toute cette situation ne nous aide pas dans le combat qui est le nôtre, mais ce n'est pas pour autant qu'il est remis en question. Nous avons tenu bon jusque-là et nous continuerons à mener à bien notre activité et nos combats.

RFI : Quelles sont les violations les plus importantes qui continuent à être commises en Iran et que vous dénoncez ?

S.EBADI : C'est très simple, il suffit de regarder nos lois. Je pense que beaucoup d'entre elles sont incompatibles avec les droits de l'homme : c'est notre loi qui permet la lapidation, c'est notre loi qui permet l'amputation de mains en cas de vol, c'est notre loi qui permet la crucifixion, c'est notre loi qui permet la discrimination sexuelle et religieuse. A partir du moment où tout cela est inscrit dans nos textes de loi, il suffit de les respecter pour violer les principes des droits de l'homme.

J'ai le regret de devoir reconnaître que ces lois sont appliquées en Iran! Très récemment il y a eu deux cas de lapidation, et le gouvernement lui-même a reconnu qu'au cours des 40 derniers jours, il y a eu 30 exécutions dans les prisons iraniennes ! Ca, ce sont les chiffres officiels, et en plus, nous avons encore des exécutions de mineurs en Iran. Selon Amnesty International, l'Iran a remporté le triste record du monde l'année dernière du nombre de mineurs exécutés.

RFI : Et sur les femmes en particulier ?

S.EBADI : Il existe des lois particulièrement discriminatoires à l'égard des femmes. Je vous donne quelques exemples : si un homme et une femme sont dans la rue, et qu'ils sont victimes d'un attentat terroriste, l'indemnité qui sera versée à la famille de la femme sera deux fois inférieure à celle qui sera versé à la famille de l'homme. A travers cet exemple, on voit que la vie d'une femme a deux fois moins de valeur que celle d'un homme. Il en est de même pour ce qui concerne leur témoignage : dans un procès, il faut deux femmes pour que leur témoignage équivaille à celui d'un homme. Donc les femmes comptent deux fois moins que les hommes dans la société iranienne.

RFI : L'administration Obama aux Etats-Unis semble montrer une volonté d’ouverture et de dialogue, qu'est-ce que vous en attendez ?

S.EBADI : Bien sûr j'attends que les différends entre les deux pays soit petit à petit résolus à travers la reprise de négociations constructives. Parce que je crois que la poursuite de ce différend n'est bénéfique ni à notre peuple, ni au peuple américain.

RFI : Vous-même Shirin Ebadi, malgré toutes les menaces dont vous faites l’objet, vous comptez rester en Iran ?

S.EBADI : Bien sûr, je ne quitterai jamais mon pays, je suis iranienne, je suis née en Iran, je travaille en Iran et je mourrai en Iran.

Entretien réalisé par Véronique Gaymard de RFI

Traduction de Massoumeh Lahidji