Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Afrique du Sud

Les féministes ne veulent pas de Zuma

Article publié le 07/02/2009 Dernière mise à jour le 08/02/2009 à 22:12 TU

Certains journaux s’inquiètent du « mauvais exemple » donné par la vie sentimentale des présidents actuel et futur de l’Afrique du Sud. L’ANC dénonce une atteinte à leur vie privée.
Affiche de la campagne électorale de Jacob Zuma, candidat du Congrès national africain (ANC) à l'élection présidentielle après les législatives prévues au second trimestre 2009 en Afrique du Sud, à Kwamhlanga, au nord est de Pretoria.(Photo : Valerie Hirsch/ RFI)

Affiche de la campagne électorale de Jacob Zuma, candidat du Congrès national africain (ANC) à l'élection présidentielle après les législatives prévues au second trimestre 2009 en Afrique du Sud, à Kwamhlanga, au nord est de Pretoria.
(Photo : Valerie Hirsch/ RFI)


De notre correspondante à Johannesburg, Valérie Hirsch

Chaque année, le président sud-africain, accompagné de la first lady, se rend à pied au Parlement du Cap pour prononcer son « discours à la nation ». Mais vendredi, Kgalema Montlanthe y est allé tout seul. Le mois dernier, un journal réputé pour son sérieux, The Sunday Independent, avait révélé que cet homme de 59 ans, tout juste divorcé, avait deux petites amies. La plus jeune (24 ans) serait enceinte. Dimanche, cette dernière est toutefois revenue sur ses déclarations : elle n’aurait jamais eu de liaison avec Monthlante…

Cela devrait un peu apaiser la polémique lancée dans les tribunes des journaux, qui avaient jusqu’à présent l’habitude de respecter la vie privée des hommes politiques.

En Afrique du Sud, la presse respecte la vie privée des leaders politiques. Si elle a dérogé à la règle, c’est que les féministes s’inquiètent du « mauvais exemple » donné par Montlanthe et surtout par Jacob Zuma. Le prochain chef d’Etat (dans quelques mois) affiche sans complexe sa polygamie. Age de 67 ans, Zuma est l’heureux père de 18 enfants (ses deux derniers nés n’ont pas un an). Il a célébré en 2008 son 4e mariage (l’une de ses épouses est décédée, l’autre divorcée) et deux autres sont dans le collimateur. Bref, les candidates pour la prochaine first lady ne manqueront pas ! 

Peut-on lui reprocher sa polygamie, une tradition africaine, inscrite dans la Constitution ? Oui, selon Colleen Lowe Morna, de l’ONG Gender links à Johannesburg, qui estime qu’« un leader qui ne respecte pas l’égalité des hommes et des femmes ne devrait pas diriger le pays ». Et de rappeler les déclarations de Zuma lors de son procès pour viol en 2006 (terminé par un acquittement) : après avoir  reconnu qu’il avait eu des rapports non protégés avec une jeune femme séropositive, il avait expliqué que la plaignante l'avait provoqué, notamment en s’habillant de manière légère : « Dans la culture zouloue dans laquelle j’ai été éduqué, vous ne laissez pas une femme dans cette situation parce que, si vous le faites, elle peut vous faire arrêter et vous accuser de viol ». Quelques mois après le procès, une femme avait été attaquée par des chauffeurs de taxis de Johannesburg parce qu’elle portait une mini-jupe…

Les féministes reprochent aussi à Zuma d’avoir soutenu les tests de virginité des jeunes filles (une coutume zouloue, récemment interdite) et recommandé que les écolières enceintes soient envoyées loin de chez elles, dans des internats. Opposé au mariage des homosexuels (légalisé en 2007), le très croyant Zuma estime que les lois ne devraient pas « être en contradiction avec l’enseignement de Dieu ».

Chaque année : 50 000 plaintes pour viol et 53 000 pour violences conjugales

L’ANC a toujours été à l’avant-garde du combat pour les droits des femmes. Mais le restera-t-il ?  « Nous avons fait des avances énormes dans les domaines politique et économique, constate Sheila Meintjes, professeur à l’université de Johannesburg. Mais dans la sphère privée, ce n’est pas le cas. Si l'on définit la violence sur un plan psychologique, économique et physique, 60% des relations intimes sont violentes ». Chaque année, 50 000 plaintes pour viol et 53 000 pour violences conjugales sont déposées.

La multiplicité des relations sexuelles – associée à un usage irrégulier des préservatifs – explique le taux élevé de sida en Afrique du Sud (6 millions de personnes infectées, 300 000 morts par an). « Pour l’homme marié, avoir un « trophée » sur le côté renforce son statut social, confie la directrice noire d’une agence de communications, qui préfère garder l’anonymat. Nos époux veulent des femmes jeunes, jolies et soumises. Et comme ils ont de l’argent, ils peuvent s’en offrir plusieurs ». On les appelle les sugar daddies et ils seraient de plus en plus nombreux.

La série télévisée à succès Soul City – un programme d’éducation à la santé – s’efforce de changer les mentalités : cette année (coïncidence ?), elle est justement consacrée aux partenaires multiples. « On a voulu ouvrir le débat, explique le Dr Sue Goldstein, directrice du programme. La polygamie est souvent utilisée comme une excuse par l’homme. Mais dans la tradition, un polygame devait rester fidèle à ses épouses. C’est dommage que nos leaders ne montrent pas l’exemple ».

L’ANC a réagi en dénonçant l’invasion de la vie privée des dirigeants politiques : « Invoquer la menace du sida comme plateforme pour faire des déclarations ex cathedra pour prescrire le comportement des autres est d’une suffisance extrême », écrit le ministre de la Culture, Pallo Jordan, qui dénonce le puritanisme des médias. Pour Zuma, « la vie privée du président n’a rien à voir avec la façon dont il dirige le pays. Une fois que nous enlevons toutes les barrières, nous commençons à saper le droit à la dignité de l’homme, pour laquelle nous avons tant combattu ».