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Trafic de stupéfiants

La plaque tournante ouest-africaine

par Christophe Champin

Article publié le 25/02/2009 Dernière mise à jour le 28/02/2009 à 09:40 TU

L’arrestation d’Ousmane Conté, fils aîné du défunt président de Guinée, pour implication dans un trafic de drogue permet de faire le point sur le vaste réseau de stockage et de redistribution organisé par les narcotrafiquants en Afrique. Depuis le début des années 2000, les arrestations de passeurs de stupéfiant en provenance de Conakry,  sont légion à Dakar et dans les aéroports européens. Par ailleurs, les saisies se multiplient à la frontière du Mali, alors que dans, le même temps, les experts anti-drogue se rendent compte de l’imbrication étroite entre la Guinée-Conakry et la Guinée Bissau, considérée aussi comme un point de passage clé pour la cocaïne. Mais c’est surtout le rôle de plus en plus important de la Guinée Conakry qui inquiète.

(Carte : RFI)

(Carte : RFI)


La Guinée Bissau a éclipsé pendant un certain temps les rôle et place de la Guinée dans le trafic de drogue en Afrique. Ce pays faisait énormément parler de lui, avec une succession d’affaires rocambolesques de saisies record, dont certaines disparaissaient comme par enchantement, comme d’ailleurs les trafiquants arrêtés, notamment latino-américains. Ils bénéficiaient de complicités évidentes dans l’armée et une partie de la classe politique. Bref, alors que tout le monde parlait de la Guiné Bissau, la Guinée Conakry jouait, en fait, un rôle similaire, mais plus discret, notamment parce que tout était soigneusement verrouillé au sommet de l’Etat.

Un gendarme montre des armes et des munitions saisies près de sacs de cocaïne sur un bateau, dans la zone touristique atlantique de Mbour, au Sénégal, le 2 juillet 2007. (Photo : Reuters)

Un gendarme montre des armes et des munitions saisies près de sacs de cocaïne sur un bateau, dans la zone touristique atlantique de Mbour, au Sénégal, le 2 juillet 2007.
(Photo : Reuters)

Toute l’Afrique de l’ouest est touchée

C’est en fait toute l’Afrique de l’Ouest qui est concernée. La semaine dernière, au Sénégal, cinq latino-américains ont été condamnés à 8 et 10 ans de prison ferme, pour une affaire spectaculaire de saisie de 2, 4 tonnes de cocaïne dans une station balnéaire, au sud de Dakar, réalisée en 2007. Quelques mois plus tôt, toujours en 2007, des saisies avaient été effectuées en Mauritanie. A la fin de l’année dernière, toute une série d’arrestations a été menée au Togo, d’où un latino-américain a même été extradé vers les Etats-Unis.

Le Mali est également concerné, même si c’est un pays enclavé. Les experts anti-drogue pensent qu’une partie de la cocaïne, qui arrive sur les côtes ouest-africaines repart, par le nord du pays vers la zone sahélo-saharienne. De cette zone, la marchandise est acheminée vers les pays d’Afrique du Nord pour atteindre la Méditerranée et l’Europe.

Mais on pourrait parler aussi du Libéria, de la Sierra Leone, où d’énormes saisies ont été faites l’année dernière, ou encore du Bénin, du Ghana et bien sûr du Nigeria. Dans ce pays,  depuis déjà 20 ans des groupes criminels ont émergés qui sont actuellement parmi les principaux sous-traitants des cartels latino-américains et ont des ramifications dans le monde entier.

L’Afrique intéresse les latino-américains 

Pour comprendre, ce rôle de l’Afrique, il faut d’abord savoir que le trafic de la cocaïne - produite essentiellement en Colombie, au Pérou et en Bolivie - connaît une mutation, depuis le début des années 2000.  Jusque-là, les Etats-Unis étaient le principal marché pour la coke. Mais il y a une dizaine d’années, la consommation a commencé à stagner, en raison du renforcement de la lutte anti-drogue. Et même si ce pays absorbe toujours la majorité des exportations de cocaïne, les cartels ont réorienté une partie de leur marchandise vers l’Europe, devenue leur « nouvelle frontière ».

En gros, entre 200 et 300 tonnes de cocaïne, sur une production estimée à près de 1 000 tonnes par an, partent vers le vieux continent. Du coup, en quelques années, la consommation qui se limitait à des cercles privilégiés ou aux milieux du showbiz, s’est en quelque sorte « démocratisée ». Son prix a baissé et elle a atteint de nouveaux consommateurs, de plus en plus jeunes.

Saisie record de cocaïne sur les côtes sénégalaises.(Photo : DEA)

Saisie record de cocaïne sur les côtes sénégalaises.
(Photo : DEA)

Or, pour fournir le marché, les cartels doivent trouver le moyen de déjouer les contrôles de plus en plus serrés des zones d’acheminement traditionnelles que sont les Caraïbes. Et c’est là que le continent africain entre en jeu, parce que les trafiquants estiment qu’il offre une voie alternative. La cocaïne peut y être stockée, avant d’être redistribuée, soit par voie aérienne – ce sont les fameuses, mules, ces passeurs qui transportent de quelques grammes à quelques kilos de cocaïne, par route ou par bateau.

Comment la lutte s’organise-t-elle ?

En 2007, plusieurs membres de l’Union européenne ont mis en place le Centre d’analyse et d’opération contre le trafic maritime de stupéfiant (MAOC), basé à Lisbonne qui vise à coordonner la lutte anti-drogue et à partager les informations, y compris avec les Etats-Unis, qui ont une longue expérience et une grande expertise en la matière.

Cette coopération a permis une série de saisies record. En janvier 2008, par exemple, la marine française a, sur demande du MAOC, intercepté, au large du Liberia, le Blue Atlantic, un navire transportant plus de deux tonnes de cocaïne. Quelques semaines plus tard, le même type d’opération sera mené contre un bateau avec plus de trois tonnes à bord, à 300 km au large de Conakry. Bref, la guerre est clairement déclarée côté européen.

La CEDEAO et l'ONUDC/UNODC ont organisé une conférence régionale sur les menaces du trafic de drogue, à Praia, Cap-Vert, les 28 et 29 octobre 2008.

La CEDEAO et l'ONUDC/UNODC ont organisé une conférence régionale sur les menaces du trafic de drogue, à Praia, Cap-Vert, les 28 et 29 octobre 2008.

Côté africain, en octobre 2008, les ministres de la Sécurité et de la Justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) ont tenu un sommet sur la question, au Cap-Vert, durant lequel ils se sont engagés à renforcer la lutte contre le trafic. Certains pays renforcent leur législation et il y a plus de procès sur le sol africain.

Tout le problème est que la force financière des cartels est énorme. Il faut savoir qu’en région parisienne, un simple gramme de cocaïne coupée, se vend en moyenne à 40 euros dans la rue. On imagine aisément ce que peut valoir une tonne de cocaïne pure. Du coup, dans des pays où les forces de sécurité manquent de moyens et où la corruption est très présente, la lutte contre le trafic peine à porter ses fruits. Il suffit pour cela de prendre l’exemple de la Guinée : jusqu’à cette arrestation du fils aîné du président Conté, rien ne semblait pouvoir stopper le trafic. On sait que cela continue aussi dans beaucoup d’autres pays, à commencer par la Guinée Bissau.