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Chine / Tibet

Cinquante ans d'exil

par Georges Abou

Article publié le 09/03/2009 Dernière mise à jour le 11/03/2009 à 08:56 TU

Le 10 mars 1959, Lhassa va connaître le dernier acte d’une cohabitation impossible entre la Chine et sa province, annexée neuf ans plus tôt au terme d’une campagne militaire. Quelques jours plus tard, le quatorzième Dalaï Lama, Tenzin Gyatso, s’enfuit vers l’Inde où son exil se poursuit. Cette date du 10 mars 1959 célébrée tous les ans, symbolise l’anniversaire du soulèvement national tibétain.

A Lhassa, à la veille des célébrations du 50e anniversaire du soulèvement tibétain, le matériel anti-émeutes des soldats chinois est prêt.(Photo : Martin Liu/EyePress News)

A Lhassa, à la veille des célébrations du 50e anniversaire du soulèvement tibétain, le matériel anti-émeutes des soldats chinois est prêt.
(Photo : Martin Liu/EyePress News)


1959 : depuis trois mois, le Tibet est agité et au cours des jours précédant la date du 10 mars,  il règne une vive tension dans la capitale de la province. Les manifestations exigeant « le Tibet aux Tibétains » se sont multipliées. L’armée chinoise a acheminé des renforts à Lhassa et posté hommes et matériels. Ce jour-là, une foule de plusieurs centaines de milliers de personnes se pressent autour du palais d’été du Dalaï Lama. La foule veut l’empêcher de se rendre à une invitation officielle chinoise à assister à une représentation théâtrale, lancée quelques jours plus tôt. Les Chinois ont exigé du Dalaï Lama qu’il s’y rende sans escorte. Après des années de tensions et de brutalités, les fidèles se méfient des intentions des Chinois et redoutent l’enlèvement du Dalaï Lama et sa déportation à Pékin. Dans ces conditions, il doit décliner l’invitation. Le lendemain, l’accord en 17 points signé en 1951 et approuvant la souveraineté chinoise sur le Tibet, est abrogé par le gouvernement tibétain. La « libération pacifique du Tibet » est proclamée. L’illusion d’une possibilité d’entente s’effondre.

Le 17 mars, des obus de mortiers tombent à proximité de la résidence d’été du chef spirituel tibétain. Sa sécurité n’est plus assurée. La décision est prise. Le soir même, à la faveur de la nuit et déguisé en soldat, le quatorzième Dalaï Lama quitte son palais pour l’exil. Tenzin Gyatso a 24 ans. Le 3 avril 1959, il est officiellement reçu en Inde. Des témoignages indiquent qu’à l’annonce de la nouvelle, Mao déclare : « Dans ce cas, nous avons perdu la bataille ». Quelques jours plus tard, une répression chinoise impitoyable s’abat sur Lhassa et le Tibet. La plupart des bilans (invérifiables) indiquent qu’elle fera plus de 80 000 morts tibétains. Le 23 mars, le drapeau rouge est hissé sur le Potala. Le 28 mars, Pékin proclame la « libération des serfs » tibétains.

Victime de la guerre froide

Tout au long du demi-siècle écoulé, dans le contexte de tensions internes persistantes et de profondes rivalités internationales, le destin de la province chinoise apparaît à la fois comme un avatar tragique de la guerre froide et un épisode de la construction nationale de la République populaire de Chine.

En 1951, lorsque Lhassa est investie par les troupes chinoises, le Tiers-Monde émerge avec ses mouvements de libération. La guerre fait rage au Vietnam, où les Français seront bientôt défaits, et en Corée notamment, où les Américains élaborent l’endiguement ( containment ) du communisme et la « théorie des dominos ». Le monde redessine ses cartes à la lumière d’un puissant mouvement de décolonisation en cours, et dans lequel la Chine s’apprête à prendre toute sa part.

Tandis que les relations internationales s’embourbent dans l’antagonisme bipolaire entre Moscou et Washington, en 1955, Zhou Enlaï va participer à la conférence de Bandoeng où il deviendra, aux côtés des Nasser, Nehru, Tito, Nkrumah, et Soekarno (hôte de la réunion) l’un des membres-fondateurs du mouvement des non-alignés. Il ne faudra pas attendre qu’ils s’inquiètent du sort des Tibétains. Et, au-delà de ce cercle restreint des « nations progressistes », jamais le Tibet n’a constitué le moindre obstacle à la normalisation de la Chine avec les pays occidentaux dans sa marche vers le siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, finalement acquis en 1971.

Sur le plan régional, dans ce contexte international turbulent, Pékin est en recherche de sécurité. Deux géants veillent aux portes de la Chine : l’Union soviétique et l’Inde. Et indépendamment des menaces qui pourraient survenir, le Tibet constitue une profondeur stratégique indispensable pour une direction chinoise soucieuse de protéger son territoire, sa population et son régime en cas de conflit.

Au niveau national, Pékin ne manque pas d’arguments pour justifier sa domination sur le Tibet. Le caractère historique et avéré des liens entre Pékin et Lhassa est sujet à des interprétations divergentes. IL n'est  donc pas de nature à trancher le débat de l’appartenance du Tibet à la Chine. En revanche, la question du potentiel économique (hydraulique et minier) est certainement un élément important dans ce débat. Mais, ce qui apparaît comme déterminant, au-delà de toute autre considération, c’est le risque inacceptable de contagion à d’autres provinces et d’éclatement de l’empire, si Pékin consentait à satisfaire les revendications tibétaines d’autonomie véritable, voire d’indépendance. Les Ouïgours du Xinjiang ou les Mongols de Gobi regardent avec intérêt l’évolution de la situation à Lhassa.

« Frapper fort »

A l’évidence, l’actuelle direction chinoise, sous la conduite du président Hu Jintao, manifeste un souci particulier à ne pas se laisser entraîner vers des positions qui pourraient être interprétées comme des signaux encourageants pour l’exercice de la liberté politique et culturelle au Tibet. Les incidents qui ont émaillé l’année 2008 n’ont fait que renforcer la détermination de Pékin à se détourner de la voie du dialogue. Les informations en provenance de la province indiquent une volonté clairement affichée de fermeté dans la répression de l’autonomie tibétaine. En cette année 2009, chargée de symboles en raison du cinquantième anniversaire, Pékin investit des moyens d’informations considérables pour convaincre l’opinion internationale du bien-fondé de son action*. Cette période est certainement appréhendée à Pékin comme un cap difficile à franchir. Mais la direction chinoise n’en démord pas. Au mois de janvier dernier, l’Assemblée nationale populaire a décrété le 28 mars « journée de commémoration de l’abolition du servage ».

Enfin, de son côté, l’actuel président chinois dispose à sa manière d’une expertise tibétaine reconnue. En 1989, lors du printemps chinois réprimé dans le sang sur la place Tiananmen, Hu Jintao, dirigeait le Parti communiste du Tibet. Après avoir maté d’une main de fer la rébellion à Lhassa, M. Hu avait préparé une campagne visant à mettre un terme aux protestations démocratiques et qu’il avait appelée « Frapper fort ».

*A l’occasion du 50e anniversaire les autorités chinoises éditent un site internet d’une très grande richesse (en mandarin, anglais, français et allemand) évoquant les principaux éléments du dossier :(http://fr.tibet328.cn/)

Chronologie

Tibet

Des soldats chinois patrouillent dans les rues de Lhasa, au Tibet, le 1er février 2009.(Photo : Reuters)

Mars 1959 : le choc des symboles

10/03/2009 à 08:34 TU

A écouter

Le discours du Dalaï-lama à Dharamsala

« Dans un discours virulent, le leader spirituel s’en est pris au gouvernement chinois, responsable, selon lui, de la mort de centaines de milliers de Tibétains depuis 50 ans ».

10/03/2009

Le témoignage de Reting Tenpa Tsering

« Pendant deux ans, j'ai vécu les chevilles enchaînées avec des barres de fer. On n'avait pas de vêtements, pas assez à manger, on mangeait du cuir. »

10/03/2009

Retour sur les manifestations de 2008

(Photo : Reuters)