par Christophe Boisbouvier
Article publié le 17/04/2009 Dernière mise à jour le 18/04/2009 à 07:08 TU
Chez les enfants de Gnassingbé Eyadema, le président défunt du Togo, les frères « même père, même mère » sont rares. En revanche, les demi-frères et les demi-sœurs sont légion. Pas loin d’une centaine, s’il faut en croire les sources les plus généreuses. Bien entendu, le plus connu est Faure, le chef de l’Etat togolais depuis 2005. Mais du vivant de Gnassingbé Eyadema, Faure n’était pas assuré de lui succéder.
A l’origine, c’est Ernest, un aîné de Faure, qui semblait être le dauphin désigné. Militaire de carrière, Ernest était l’homme de confiance de Gnassingbé Eyadema dans les années 90. Face à une opposition requinquée par la chute du mur de Berlin (1989) et le sommet de La Baule (1990), Ernest aidait son père à garder le pouvoir par tous les moyens, y compris par la violence (répression des manifestations de l’opposition en 1991 et 1993, attentat contre Gilchrist Olympio en 1992).
Mais Ernest Gnassingbé a été victime d’une attaque cérébrale qui l’a laissé hémiplégique. Depuis les années 2000, Faure est donc devenu le fils le plus en vue de la famille. Né en 1966, Faure a fait des études d’économie en France (Paris-Dauphine) et aux Etats-Unis (George Washington University), où il a décroché un MBA. Elu député dès 1999, il a été nommé en 2003 ministre des Mines, de l’Equipement et des Télécommunications – le poste le plus « juteux » du gouvernement. Il s’est imposé alors comme le conseiller financier de son père. Faure est-il devenu pour autant le dauphin naturel ? Pas si simple.
Un autre fils du « vieux » a gravi assez vite les échelons du pouvoir. C’est Kpatcha. Né en 1968, il a fait des études moins longues que Faure, mais a tout de même obtenu un diplôme à la Southeastern University de Londres. Moins technocrate que Faure, il s’est lancé dans les affaires. En 1999, il a tiré le gros lot avec la direction de la Société d’administration des zones franches (Sazof), l’une des meilleures « rentes » financières du Togo. Surtout, ce civil de formation a su gagner la confiance des militaires. Il est devenu le fils Gnassingbé le plus proche des principaux officiers du régime.
A la mort du père, c’est donc le tandem Faure-Kpatcha qui a verrouillé la succession en faveur du clan Gnassingbé. Le 5 février 2005, à la résidence de Lomé 2, c’est devant Faure que les officiers du haut état-major ont prêté serment. Mais lors de cette cérémonie d’allégeance, Kpatcha figurait à la droite du nouveau président. Deux mois et demi plus tard, à la fin-avril, c’est Faure qui a été proclamé officiellement vainqueur de la présidentielle. Mais Kpatcha a protégé son frère en coordonnant la terrible répression qui s’est abattue sur les manifestants de l’opposition. Bilan : au moins quatre cents morts selon l’Onu.
Logiquement, le tandem Faure-Kpatcha s’est alors partagé le pouvoir : Faure président, Kpatcha super-ministre de la Défense. A la question : « Pourquoi avez-vous nommé votre frère à la défense ? », Faure a répondu : « Parce qu’il est compétent et parce que l’armée togolaise ne lui est pas inconnue. Il a fréquenté un collège militaire et il s’intéresse depuis longtemps à ce secteur ». (Jeune Afrique, n° 2398, 24 décembre 2006). Ce n’est qu’à partir de 2007 que les choses se sont gâtées entre les deux frères. En décembre 2007, deux mois après les législatives gagnées par le régime, Faure a limogé Kpatcha de la défense. Sans doute le président voulait-il voler de ses propres ailes…
Dans la fratrie Gnassingbé, un troisième homme a pris progressivement de l’importance. C’est Rock, un demi-frère qui cultive sa différence. Rock est connu du grand public pour avoir présidé la fédération togolaise de football au moment de la Coupe du monde 2006 en Allemagne. Querelles de primes, menaces de grève de la part des joueurs… Rock a laissé à l’époque un très mauvais souvenir. Il a été éjecté de la fédération peu de temps après le Mondial. Mais il en a repris la tête début 2009.
En fait, l’essentiel n’est pas là. A la différence de Faure et de Kpatcha, Rock Gnassingbé est un militaire de carrière. Le seul militaire en activité dans la famille. Depuis 2005, il commande une unité de blindés à Lomé, et cette position lui donne une certaine liberté au sein du clan Gnassingbé. En avril 2005, malgré les demandes de Faure et de Kpatcha, il a refusé de faire sortir les blindés contre les manifestants de l’opposition. Le 12 avril dernier, il s’est déplacé personnellement chez Kpatcha pour faire cesser les tirs contre le domicile de son demi-frère. Peut-être lui a-t-il sauvé la vie…. En tout cas, par ce geste, il a signifié à son autre demi-frère, le chef de l’Etat, qu’il y avait des limites à ne pas franchir au sein de la famille.
Dans la grande fratrie des Gnassingbé, il faut encore retenir trois noms. 1 - Toyi, le frère jumeau de Kpatcha. Plus réservé que ce dernier, il se consacre aux affaires et a été nommé à la vice-présidence des Grands moulins du Togo. 2- Essolizam, l’homme de confiance de Kpatcha. Homme d’affaires comme lui, il a été arrêté le 16 avril, 24 heures après son frère. 3 – Mey, l’un des plus jeunes de la famille. Il a moins de trente ans et est chargé de mission auprès de Faure à la présidence de la République.
Bien entendu, le clan s’est renforcé grâce à de nombreux mariages. Une sœur « même père, même mère » de Faure a épousé le colonel Félix Abalo Kadanga. Or cet officier commande la FIR (Force d’intervention rapide) et a mené l’assaut du 12 avril dernier contre le domicile… de son beau-frère Kpatcha.
Extrait de l'intervention télévisée du président Gnassingbé
« Profondément attaché aux vertus familiales, vous pouvez imaginer combien la révélation [de la tentative de coup d'Etat] m'a touchée. »
18/04/2009
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