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Européennes

Elections européennes : le rendez-vous manqué

par Patrice Biancone

Article publié le 06/06/2009 Dernière mise à jour le 07/06/2009 à 15:06 TU

Les Français qui auraient pu espérer clarifier leurs idées sur l'Europe à l'occasion de la campagne électorale en auront été pour leurs frais. L'exemple du dernier débat télévisé qui a tourné en une séance de cris et d'invectives n'a guère contribué à mobiliser les indécis sur l'utilité de leur vote. Comme ailleurs en Europe, l'abstention pourrait, en France, atteindre des records.  

Une nouvelle fois, les partis politiques français ont fait preuve d’un égocentrisme destructeur. D’une élection qui visait à désigner les femmes et les hommes susceptibles de représenter la France au Parlement européen et de mettre en pratique les intentions proclamées notamment à l’occasion du G20 de Londres, ils ont fait un scrutin à portée nationale et aux objectifs indignes si l’on considère que la réforme du capitalisme est une nécessité absolue, prioritaire et transnationale dans un contexte de crise économique et sociale historique.

Sur le plateau de l'émission de France 2, « A vous de juger », les candidats aux élections européennes : Daniel Cohn-Bendit (g) et François Bayrou (d), le 4 juin 2009.(Photo : France 2 / AFP)

Sur le plateau de l'émission de France 2, « A vous de juger », les candidats aux élections européennes : Daniel Cohn-Bendit (g) et François Bayrou (d), le 4 juin 2009.
(Photo : France 2 / AFP)

Conséquence directe de ce positionnement : la campagne a été terne, ennuyeuse et même surprenante, mais uniquement par la violence des propos échangés dans la dernière ligne droite. La polémique qui a opposé François Bayrou et Daniel Cohn-Bendit en est le plus triste exemple. « Ignoble, minable » sont les mots prononcés par les deux responsables politiques dans un face à face télévisuel dont la médiocrité fut rehaussée par les interpellations tonitruantes de Jean-Luc Mélenchon, de Marine Le Pen ou de Philippe de Villiers qui s’estimaient lésés par le rôle « réducteur » qu’on voulait leur faire jouer.

L’Elysée a jugé l’affaire « lamentable ». Et les Français qui suivaient le débat n’ont pu que se désoler du spectacle. Ils attendaient des propositions pour améliorer le fonctionnement des institutions européennes : ils ont eu des cris, des accusations, des protestations et des insultes ! Voilà qui devrait définitivement alimenter leurs incertitudes quant à l’utilité de leur vote, eux qui avouaient déjà ne rien comprendre et ne rien attendre de la consultation. Ils étaient un peu moins de deux millions et demi devant leur petit écran à suivre cette parodie de démocratie, soit un score dérisoire qui prouve bien qu’ils ont perdu tout intérêt et qu’ils seront nombreux à s’abstenir. Peut-être même encore plus nombreux que le prévoient les sondages qui fixent leurs prévisions entre 60 et 63%, taux record. Les 72 députés qui seront envoyés à Strasbourg risquent donc d’être mal élus parce que les états-majors ont mal fait le job et n’ont pas su mobiliser comme ils auraient dû le faire.

Détournements d'enjeux

Mais, la politique est ainsi faite qu’elle se nourrit des fautes commises sur le terrain et que chacun voit midi à sa porte. Qu’importe en quelque sorte les dérapages pourvu que les objectifs des partis soient atteints. Arriver en tête pour l’UMP de Xavier Bertrand. Dépasser la barre des 20% pour le PS de Martine Aubry. Se maintenir en troisième position pour le MoDem de François Bayrou. Dépasser le Mouvement Démocrate pour Europe-Ecologie de Daniel Cohn-Bendit. Progresser et s’imposer sur les autres formations à gauche de la gauche pour le NPA d’Olivier Besancenot. S’installer dans le paysage politique pour le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Et continuer à exister pour Libertas de Philippe de Villers et le Front national de Marine Le Pen.

Autant de détournements d’enjeux qui favorisent finalement la majorité dont la condamnation cache mal une certaine satisfaction. A défaut d’avoir été le chef de campagne, Nicolas Sarkozy en a été l’inspirateur avec la volonté de prouver qu’on peut exercer le pouvoir et l’emporter dans une élection intermédiaire. Si telle était le cas, si l’UMP arrivait en tête, ce que prévoient les sondages, alors elle pourrait envisager les élections régionales de l’année prochaine avec sérénité ; et même 2012, si d’aventure venait au président de la République l’envie de se représenter.

Cote d'alerte

Par certains aspects, l’ambition consiste à préserver l’avenir, même si arriver premier avec 25 ou 26% ne correspond pas tout à fait aux attentes fixées à 28% par les plus optimistes ; un seuil qui serait décrypté comme un fort soutien à la politique menée depuis l’élection présidentielle de 2007 et qui permettrait un remaniement ministériel rapide et élargi. En dessous, Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, l’a avoué avant de se raviser : « Ce serait la cote d’alerte ». Autrement dit, la nouvelle dynamique programmée par l’Elysée serait contrariée.

L’enjeu réel et non avoué de ces élections européennes tourne donc essentiellement autour de la question d’ordre d’arrivée, même si certains ont fait des efforts pour parler de l’Europe. D’où l’impression de duels, comme l’ont complaisamment souligné certains observateurs dans un élan réducteur bien compréhensible. L’UMP contre le PS. Le MoDem contre Europe-Ecologie. NPA contre le Front de gauche. Le Front national contre Libertas. Un rétrécissement du domaine de la lutte démotivant à souhait. Les souverainistes les plus convaincus y verront sans doute un signe au moment où le Parlement de Strasbourg est appelé à jouer un rôle plus important, ce qui constitue le paradoxe de ce rendez-vous déjà manqué.