Article publié le 11/06/2009 Dernière mise à jour le 12/06/2009 à 20:05 TU
Mohammed Reza-Djalili est professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève. Armin Arefi est journaliste et écrivain, auteur de Dentelles et tchador (Editions de l’Aube, 2009). Il fut correspondant de plusieurs médias français à Téhéran entre 2005 et 2007. Tous deux soulignent l’effervescence suscitée en Iran par l’élection présidentielle du 12 juin.
Des manisfestants pro-Ahmadinejad ( à gauche ) font face des partisans de Mir Hossein Moussavi à Téhéran, le 10 juin 2009.
( Photo : Reuters )
RFI : Que retenez-vous de la campagne ?
Mohammed Reza Djalili : ce qui m’a le plus frappé c’est la soif de liberté de la jeunesse iranienne qui s’est engouffrée dans la petite brèche ouverte par la campagne et démontrer son désir profond de changement. J’espère que le candidat élu en tiendra compte.
Armin Arefi : La télévision iranienne a cru bon d’organiser des débats pour que Mahmoud Ahmadinejad puisse défendre son bilan… et cela s’est retourné contre lui ! On a entendu le président sortant être traité de « menteur ». A l’inverse, Mahmoud Ahmadinejad s’en est violemment pris à l’ancien président Rafsandjani qui reste aujourd’hui un personnage de premier plan et qui n’avait jamais été critiqué de la sorte en public. Les débats ont été houleux entre des hommes qui sont tous issus de la République islamique, ils ont révélé les luttes de factions… ce qui fait dire à certains que rien ne sera plus jamais comme avant.
RFI : Y a-t-il eu un « effet Obama » sur cette campagne ?
Mohammed Reza Djalili : Difficile de répondre… nous n’avons pas de sondages. Mais on peut noter qu’il y a une « Obamania » dans la société iranienne, surtout chez les jeunes. Et puis Mir Hossein Moussavi, le principal rival de Mahmoud Ahmadinejad, a utilisé les méthodes d’Obama, en choisissant par exemple une couleur (le vert) ou en utilisant un slogan proche du « Oui, nous pouvons le changement » d’Obama. Cela prouve que les Iraniens sont fascinés par les Etats-Unis. Et ils le sont d’autant plus que Bush est parti, qu’il est remplacé par un homme nouveau.
Armin Arefi : Obama est prêt à reconnaître la République islamique et à négocier avec elle. Donc la rhétorique d’Ahmadinejad s’effondre : il n’a plus cet ennemi parfait qu’était Bush. D’ailleurs, je ne pense pas qu’Obama a choisi au hasard la date de ses démarches envers l’Iran : elles servent les intérêts des adversaires d’Ahmadinejad.
RFI : Mahmoud Ahmadinejad a été très critiqué par ses trois adversaires… peut-il rebondir et l’emporter ?
Mohammed Reza Djalili : Il a quelques atouts : l’Iran profond (les petites villes et la campagne), le corps des Gardiens de la Révolution et celui des Bassidjis ou encore toute une clientèle qui vit aux crochets de la Révolution islamique, à travers les structures qui sont liées au pouvoir… Donc, il a une possibilité de rebondir et de rester au pouvoir. Mais cela créerait une division dans la société iranienne, aujourd’hui polarisée entre pro et anti-Ahmadinejad.
Armin Arefi : Ahmadinejad est resté fidèle à ses principes de confrontation avec l’étranger. Il a accusé ses détracteurs de collusion avec l’étranger et de corruption. Il s’est de nouveau présenté comme le candidat du peuple. Un discours qui fait mouche dans certaines provinces reculées de l’Iran que le président a dernièrement arrosé de subventions en tous genres.
RFI : Que pensez-vous de l’émergence de Mir Hossein Moussavi qui avait quasiment disparu de la vie publique ces 20 dernières années ?
Mohammed Reza Djalili : Mir Hossein Moussavi fait partie du sérail. Mais il est comme beaucoup de révolutionnaires de la première heure qui sont aujourd’hui devenus un peu plus libéraux et qui sont revenus sur certains discours un peu simplistes des années 80. Il représente une frange de la société très différente de celle dont est issu Mahmoud Ahmadinejad : c’est un intellectuel, un artiste, un architecte. Il n’a pas beaucoup de charisme mais il est réputé pour son honnêteté. Et il a poussé la question féminine, une question centrale dans la République islamique.
Armin Arefi : Moussavi est plus ferme que ne l’était le président réformateur Khatami (président de 1997 à 2005 et qui soutient aujourd’hui Mir Hossein Moussavi). Il reste fortement attaché aux valeurs de la République islamique, il s’est construit pendant la guerre Iran-Irak… donc, il a des alliés dans les camps conservateur et réformateur. C’est un « conservateur modéré ». Mais le peuple iranien votera « contre Ahmadinejad » plutôt que « pour Moussavi ».
RFI : La participation sera-t-elle déterminante ?
Mohammed Reza Djalili : Oui, elle sera déterminante. C’est ce que cherche la République islamique qui est un régime populiste qui veut donner une image démocratique. Une forte participation témoignera d’une importante mobilisation des supporters de Mir Hossein Moussavi. Mais face à cela, les partisans de Mahmoud Ahmadinejad s’agitent depuis 48 heures. Ils ont beaucoup de moyens : la radio, la télévision, les moyens de transport et de communication… Et il ne faut pas exclure d’éventuelles fraudes électorales.
Armin Arefi : La participation, c’est la seule chose qui peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Ahmadinejad peut recueillir environ 10 millions de voix… ce qui peut suffire si seulement 20 millions d’électeurs votent (sur 46 millions). Le peuple et surtout la jeunesse l’ont bien compris, d’où l’importante mobilisation par SMS et sur internet.
Propos recueillis par Nicolas Falez