Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

France / Iran

Roxana Saberi dénonce la répression

par  Véronique Gaymard et Anthony Wolfstyn

Article publié le 24/06/2009 Dernière mise à jour le 25/06/2009 à 09:02 TU

La journaliste irano-américaine était ce mercredi à Paris pour demander la libération de Silva Harotonian, membre d’une ONG américaine et qui partageait la même cellule qu’elle dans la prison d'Evine. La Fédération internationale des droits de l’homme a saisi l’occasion pour réclamer la libération des 33 journalistes iraniens arrêtés.
Roxana Saberi à Paris, le 24 juin 2009. (Photo : Reuters)

Roxana Saberi à Paris, le 24 juin 2009.
(Photo : Reuters)

Roxana Saberi, la journaliste irano-américaine qui avait été emprisonnée pendant cent jours en Iran, était mercredi sur le parvis des droits de l’homme, place du Trocadéro à Paris, pour rappeler le sort de son ancienne co-détenue, Silva Harotonian, incarcérée dans la prison d’Evin depuis le 26 juin 2008.

Condamnée à trois ans de prison, cette femme de 34 ans d’origine arménienne a été accusée par la justice iranienne de fomenter une « révolution douce » alors qu’elle travaillait pour l’ONG Irex sur un programme d’échange entre l’Iran et les Etats-Unis visant à améliorer la santé des mères iraniennes et de leurs enfants. Sa cousine, Klara Moradkhan, qui réside aux Etats-Unis, ainsi que les défenseurs des droits de l’homme Karim Lahidji et Hadi Ghaemi, ont lancé un appel au gouvernement iranien demandant la libération immédiate et sans condition de Silva Harotonian.

Roxana Saberi et Silva Hartonian se sont rencontrées derrière les barreaux de la cellule qu’elles ont partagée pendant plusieurs semaines dans la prison d’Evin. Libérée le 11 mai dernier, la journaliste irano-américaine œuvre désormais pour mettre un terme à la détention de celle qui est devenue son amie. « Silva m’a toujours remonté le moral lorsque j’en ai eu besoin. Elle me disait de ne pas lâcher et de garder espoir. Aujourd’hui je suis libre mais elle, elle est toujours en prison », rappelait, mercredi, Roxana Saberi sur le parvis du Trocadéro.

Selon Reporters Sans Frontières, l’Iran détient désormais le triste record du nombre de journalistes emprisonnés, devant la Chine.

Les journalistes iraniens sont en première ligne. Avant même les élections, une dizaine d’entre eux étaient déjà derrière les barreaux. Mais depuis l’annonce des résultats le 13 juin dernier, la liste s’est rapidement allongée. Selon les dernières informations publiées par Reporters Sans Frontières, vingt-six journalistes auraient été arrêtés, ce qui porte à trente-six le nombre de journalistes emprisonnés.

La situation s’est tendue dès les premières manifestations organisées pour protester contre la fraude électorale supposée et en soutien aux candidats de l’opposition, notamment Mir Hossein Moussavi. Les premiers arrêtés étaient les journalistes et les blogueurs les plus connus. Très vite ce sont les journalistes iraniens travaillant comme correspondants pour des médias étrangers qui ont été la cible des autorités : intimidations, harcèlement, ils étaient accusés d’espionnage pour le compte d’intérêts occidentaux. Puis les visas des envoyés spéciaux des médias étrangers n’ont pas été prolongés. Enfin c’est au tour des correspondants d’être visés, accusés de soutenir les manifestants.  

« Témoins gênants » 

C’est ainsi que l’envoyée spéciale du journal espagnol a expliqué le non renouvellement de son visa, et de celui des journalistes étrangers qui recueillaient des témoignages lors des manifestations réprimées violemment par les services de sécurité et les policiers iraniens, avec l’aide des « Bassidjis », les miliciens islamiques. Avant même le non renouvellement de leur visa, les journalistes étrangers ont été régulièrement intimidés et empêchés de se rendre dans les manifestations, le correspondant de la  BBC a lui-même été expulsé.

Mais les journalistes étrangers ne sont plus simplement expulsés : un journaliste grec correspondant du Washington Times a lui été arrêté ainsi que l’irano-canadien travaillant pour Newsweek, la chaîne Al Arabiya a été interdite d’émission, et la liste ne cesse de s’allonger, sans oublier les blocages d’internet. Mais ce sont surtout les journalistes iraniens, dont les familles sont sans nouvelles, détenues dans des lieux tenus secrets, qui préoccupent les organisations de défense de la liberté de la presse. Lundi, quelque 25 collaborateurs du quotidien de l’opposant Mir Hossein Moussavi, des journalistes pour la plupart, ont été arrêtés. La police aurait affirmé que le lieu des arrestations serait « devenu le centre de commandement de la guerre psychologique contre la sécurité du pays ».  

« L’Iran est en état de siège » 

Pour Karim Lahidji, président de la ligue iranienne des droits de l’homme et vice président de la FIDH, «  l’Iran est en état de siège ».  C’est avec ces mots qu’il a qualifié la situation actuelle et la vague d’arrestations qui s’est abattue non seulement sur les manifestants, les simples citoyens mais également sur les journalistes.

Karim Lahidji a fustigé les méthodes de la répression, qui vont à l’encontre de toutes les règles  de la démocratie. « Au moins 33 journalistes sont en prison, les journalistes étrangers sont renvoyés, les télévisions étrangères sont brouillées, les SMS coupés, les portables coupés, grâce à des moyens techniques vendus par Siemens, le régime iranien est en mesure de contrôler et même de supprimer les e-mails. Dans ces conditions des milliers de personnes, journalistes, défenseurs des droits de l’Homme, activistes politiques, responsables politiques et des femmes et des hommes qui n’ont commis aucun crime que de participer à des manifestations pacifiques contre des fraudes électorales sont en prison sans qu’on ne donne la moindre information concernant leur lieu de détention, ou les conditions dans lesquelles ils sont incarcérés, parmi lesquels un journaliste handicapé, Saïd Hajarian, il a été arrêté sur sa chaise roulante, et sa famille n’a aucune information sur son sort ». Certains ont été arrêtés pour le simple fait d’avoir osé regarder la BBC ou écouté Voice of America nous dit Karim Lahidji, dénonçant une justice à caractère exclusif et arbitraire. 

« Une atmosphère de peur » 

Roxana Saberi pour sa part témoigne de son expérience en tant que journaliste en Iran avant d’être arrêtée. Elle avait également couvert en 2003 certaines manifestations durement réprimées. Selon elle, les conditions des journalistes mais également des universitaires, des étudiants et des simples citoyens se sont durcies d’année en année. « Les tenants de la ligne dure exploitent ce qu’ils appellent « les menaces légères » à la sécurité de l’Etat pour resserrer leur emprise sur la société. Ils ont créé une atmosphère de peur qui a pour conséquence que toute personne qui a un contact avec une personne étrangère, spécialement des pays occidentaux, peut être accusée d’agir à l’encontre de la sécurité nationale. C’est très probable que des personnes qui ont été arrêtées face l’objet de ce genre d’accusation. Cette approche a blessé les Iraniens et les a isolés du reste du monde. »

Roxana Saberi craint que les personnes arrêtées, y compris les journalistes, ne soient bien plus maltraitées qu’elle en prison, que les autorités ne leur fasse avouer des faits qu’ils n’ont pas commis comme elle avait dû le faire, et qu’ils ne soient torturés. 

Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a pourtant appelé l’Iran à mettre fin aux arrestations et à l’usage de la force et à respecter les droits civils et politiques, la liberté d’expression et d’information et le droit de se rassembler librement. Une intervention critiquée par le ministre des Affaires étrangères iranien qui a l’a accusé d’ « ingérence ».

De son côté, l’Institut international de la presse (IPI) a demandé aux autorités de cesser d’arrêter des journalistes.  

« Demander des visas » 

Face à la répression qui s’est accrue, aux difficultés de plus en plus importantes d’être informés sur ce qui se passe vraiment en Iran, Reporters Sans Frontières appelle les journalistes étrangers à continuer à demander des visas pour se rendre en Iran. « Si la presse étrangère ne peut pas aller là-bas, si la presse iranienne est réduite au silence, on ne saura plus ce qui se passe en Iran, on ne pourra pas défendre Silva Harotonian ou d’autres personnes qui sont détenues ».