par Monique Mas
Article publié le 12/05/2009 Dernière mise à jour le 14/05/2009 à 17:51 TU
La journaliste irano-américaine, Roxana Saberi en compagnie de son père à sa sortie de prison le 12 mai 2009.
(Photo : Morteza Nikoubazl/Reuters)
Libre, Roxana Saberi revendique son appartenance iranienne sans vraiment trancher sur ses choix à venir. Rentrer définitivement aux Etats-Unis, la terre natale qui l’a vu grandir ? Quitter provisoirement l’Iran pour mieux revenir dans ce pays de ses ancêtres où elle s’était installée comme journaliste en 2003 jusqu’à ce que sa carte de presse lui soit retirée en 2006 ? L’Irano-Américaine ne dit pas encore si elle veut recommencer le combat pour récupérer l'accréditation de journaliste qui lui a été retirée en janvier dernier. Selon son avocat, la mesure reste encore en vigueur pour cinq ans. Et il est clair que ce que Roxana Saberi vient de vivre dépasse de très loin sa personne et ses activités professionnelles.
Un affaire en forme de message
Nul ne doute non plus que les motifs qui ont précipité Roxana Saberi en prison en janvier dernier n’avaient pas grand-chose à voir avec les faits et gestes de la jeune femme. De l’avis des observateurs indépendants, sa principale originalité tient en effet à sa double nationalité. Et pas n’importe laquelle : iranienne et américaine. Une caractéristique qui aura suffit à faire en quelque sorte un « medium » de Roxana Saberi, un personnage brossé par les autorités iraniennes pour délivrer un message qu’elles viennent finalement de revoir et de corriger.
Comme le souligne son avocat, Salahe Nikbakht, le 13 avril dernier, Roxana Saberi n’a pas été condamnée à huit ans de prison ferme pour un quelconque espionnage au profit des Etats-Unis. Maître Nikbacht a bien évidemment épluché avec soin le dossier de sa cliente. Et d'après lui, il ne fait nullement mention d’une telle accusation, ce qui n’a pas empêché les amis comme les adversaires de la « journaliste-espionne-agent des Américains » de s’empoigner sur le sujet, au nom de la liberté de la presse pour les uns ou de la défense de la Révolution islamique pour d’autres.
avocat de la journaliste irano-américaine Roxana Saberi
« Non, le dossier d'accusation ne comportait pas le mot espionnage. Elle n'avait donc pas été condamnée à huit ans de prison pour espionnage. Elle était accusée de collaboration avec une puissance ennemie. »
L'Iran et les Etats-Unis ne sont pas des ennemis déclarés
Dimanche dernier, lors de l’audience d’appel, Salahe Nikbacht a « fait un plaidoyer de 15 pages pour expliquer que les deux pays, l'Iran et les Etats-Unis, ne sont pas des ennemis déclarés. Ils ne sont pas en guerre. Si c'était le cas, le Guide suprême, l'ayatollah Khamenei aurait dû explicitement déclarer les Etats-Unis d'Amérique comme un pays avec lequel on est en guerre. Ce n'est pas le cas. Le juge a donc réduit la peine à deux ans de prison avec sursis pour collaboration avec un pays étranger avec lequel l'Iran n'est pas en guerre ».
A Washington, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a exprimé sa satisfaction sitôt connu le verdict clément de la cour d’appel iranienne. Le dossier n’est pas indifférent à la diplomatie américaine. Hillary Clinton avait d’ailleurs à plusieurs reprises appelé publiquement à la libération de Roxana Saberi. Aujourd’hui, elle se déclare « très encouragée » par la décision iranienne. Un « encouragement » à poursuivre sans doute dans la nouvelle voie diplomatique tracée par le président Barack Obama qui envisage de reprendre langue avec Téhéran après trente ans de gel des relations.
«Nous voulons continuer à mettre l'accent sur le fait qu'elle a été accusée à tort, mais nous nous réjouissons de ce geste humanitaire », déclare le porte-parole de la Maison Blanche en ajoutant que le président américain « a hâte de l'accueillir aux Etats-Unis ». « Nous sommes très heureux que Mlle Saberi ait été libérée mais nous continuons à faire pression pour le retour sains et saufs de tous les Américains détenus en Iran », indiquent de leur côté les services d’Hillary Clinton en citant notamment Robert Levinson, un ex-agent du FBI disparu en mars 2007 sur l'île iranienne de Kish et Echa Momeni, une étudiante irano-américaine détenue pendant un mois fin 2008 sur des accusations d’atteinte à la sécurité nationale et qui reste privée de droit de sortie.
Une présidentielle en Iran et des discussions nucléaires à l'horizon
Portée très haut par Téhéran et en retour très médiatisée aux Etats-Unis et en Occident, l’affaire Saberi jetait une ombre sur les nouvelles perspectives ouvertes par l’administration Obama. Et cela dans toute la région moyen-orientale où Téhéran occupe un rang à la hauteur de ses capacités de nuisances nucléaires aux yeux d’Israël et des Occidentaux. Or pour les intéressés, ce dossier aussi pourrait évoluer.
Début mai, dans le cadre d’une réunion préparatoire à la conférence mondiale sur le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) prévue en mai 2010 à New-York, la représentante des Etats-Unis, Rose Gottemoeller a fixé comme objectif américain une « adhésion universelle au TNP, y compris par l’Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du Nord ». En citant Israël parmi d’autres puissances nucléaires non- signataires du TNP, l’administration Obama a rompu un tabou fondateur de la politique américaine au Moyen-Orient. De l’avis des observateurs avertis, il s’agirait notamment de priver l’Iran de son argument du « deux poids, deux mesures » nucléaires, pour le convaincre de suspendre ses inquiétantes activités enrichissements d’uranium.
Une élection présidentielle se profile en Iran à l’horizon du mois de juin. Le président Mahmoud Ahmadinejad est candidat à sa propre succession. Depuis son avènement en 2005, il a incarné aux yeux du monde le danger nucléaire islamiste. Il ne s’est pas privé d’en jouer lui-même dans une surenchère populiste qui ne lui a pas si mal réussi. Mais en même temps, il s’est fait aussi des adversaires dans les allées du pouvoir iranien.
Certains concurrents d'Ahmadinejad à la présidentielle font valoir que provoquer l’Occident est risqué pour l’Iran. Or en Iran, ce sont les Etats-Unis qui incarnent le chef de file de l’Occident. Et en l’occurrence, l’affaire Saberi était une manière de duel entre Téhéran et Washington.
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« Reza Saberi estime que le cas de sa fille a été soigneusement examiné par la cour d'appel, alors que le premier procès avait eu lieu dans la précipitation. »
12/05/2009