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Guinée/Exclusif

Un militaire témoigne

par  RFI

Article publié le 01/10/2009 Dernière mise à jour le 07/10/2009 à 16:26 TU

Le capitaine Dadis Camara souligne l'indiscipline et la totale désorganisation de l'armée, qu'il « faut obligatoirement réformer ». Mais il impute la responsabilité du « carnage », aux leaders de l’opposition en les accusant d’avoir poussé des jeunes à la rue. Mais les révélations se font de plus en plus précises venant des organisations des droits de l’homme et même des rangs de l’armée. Nous publions le témoignage d’un militaire, acteur de la répression.

La foule s'échappe du stade à Conakry, le 28 septembre 2009.(Photo : Reuters)

La foule s'échappe du stade à Conakry, le 28 septembre 2009.
(Photo : Reuters)



RFI 
: Monsieur, vous êtes militaire au sein du BATA, le Bataillon autonome des troupes aéroportées, et vous étiez parmi les soldats qui ont réprimé la manifestation du 28 septembre.

Militaire : Effectivement , je fais partie de ceux qui ont réprimé cette manifestation sanglante au niveau du stade du 28 septembre ; oui !

RFI : Je veux d’abord vous demander si, d'après toutes les informations diffusées ces derniers jours, vous avez vu de vos propres yeux les tirs à balles réelles sur les populations et les viols de femmes dont font état tous les témoignages? Vos collègues du BATA ont-ils commis ces actions ?

Militaire : Je confirme, qu’il y a eu des viols, qu’il y a eu des tirs à balles réelles. .

RFI : Le matin, quand on vous a envoyés pour empêcher la manifestation de l’opposition au stade, aviez-vous des ordres précis ?

Militaire : C’est la gendarmerie qui était d’abord concernée, mais comme elle ne s'est pas entendue avec les opposants, nous avons reçu l'ordre d’aller mater cette opposition, que nos chefs ont qualifiée d’indisciplinée. Nous y sommes allés. J'en faisais partie. Nous ne pouvions pas refuser les ordres à savoir, aller mater les opposants, leur faire comprendre qu’il n’y a qu’une seule autorité en Guinée et leur donner une leçon. Il y a eu tellement de morts, qu'on ne pouvait même pas les compter. J'en ai eu des vertiges, franchement, des vertiges. Il y a eu 160, 180 morts...je ne peux même pas vous dire combien de cadavres. Et je sais que dans la nuit du lundi, ils nous ont dit d’aller récupérer les corps. On en a récupéré quarante-sept, qui ont été enfouis, mais je ne peux vraiment pas vous dire où exactement

RFI : Vous-même avez participé à cette opération de récupération des corps dans les morgues ?

Militaire : Je suis fonctionnaire.

RFI : On vous a obligé à aller récupérer les corps ?

Militaire : On ne peut pas refuser. Si on refuse, on est mort.

RFI : Si vous refusez, vous êtes mort ?

Militaire : Effectivement.

RFI : On vous avait donc distribué des armes et des munitions ?

Militaire : On avait des armes et des munitions et depuis près d’une semaine on était déjà aux aguets.

RFI : Depuis une semaine, vous étiez aux aguets ?

Militaire : Oui.

RFI : Quand on vous a dit d’aller mater et donner une leçon à l’opposition, avez-vous reçu l’ordre de tuer des opposants, des leaders politiques ?

Militaire : Non pas l'ordre de donner de tuer des opposants. Mais il fallait donner une leçon. Si je dis « donner une leçon » en termes militaires, vous savez ce que cela veut dire !

RFI : Pouvez-vous être plus précis?

Militaire : Ça veut dire les châtier, normalement, sans les tuer, mais pour bien leur montrer que le pays est commandé. Voilà ce qu'on nous a dit.

RFI : Beaucoup de témoignages que nous avons recueillis font état de viols massifs et collectifs, d’exactions, comme des viols avec des armes sur des femmes. Avez-vous pu identifier les soldats ou les corps auxquels appartenaient ces soldats qui ont commis ces exactions ?

Militaire : Ce sont les gens de la garde présidentielle, puisque les gendarmes étaient un peu en arrière. Il n’y avait pas que des armes, il y avait aussi des bois. On prenait toute sorte de choses. On frappait même avec les  pieds !

RFI : Vous disiez que vous ne pouviez pas refuser d’aller mater l’opposition. Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

Militaire : Depuis lundi, je ne dors pas. Je n’arrive pas à dormir. Je ne fais que revoir ces images horribles, ces vivants, ces tués à balles réelles à bout portant ..au niveau… je n‘arrive pas à dormir. Je fais des cauchemars. Je n’arrive pas à dormir. (Soupirs)

RFI : Tout le monde a tué ?

Militaire : C’était les ordres, monsieur: tuer ou être tué.

RFI : Vous-même, avez-vous dû tuer ?

Militaire : (silence) C’est très difficile pour moi de répondre à cette question. Je vous l'ai dit. C'était tuer ou être tué.

RFI :  Les ordres venaient donc de la hiérarchie ?

Militaire : Franchement, il n’y a pas de hiérarchie actuellement dans l’armée. Vous pouvez recevoir des ordres de tout le monde. Tout le monde donne des ordres ici, tout le monde donne des ordres. Il n’y a pas une hiérarchie dans l’armée guinéenne. C’est la pagaille. On dirait des milices organisées. Ça fait longtemps que nous sommes dans l’armée et là, franchement, c’est la pagaille. Il faut que la communauté internationale vienne en aide, sinon j’ai vraiment peur pour ce pays.

RFI : On parle beaucoup du désordre qui règne au sein de l’armée. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce désordre. Comment fonctionne aujourd’hui le BATA, auquel vous êtes intégré ? Y a-t-il eu des recrutements ces derniers temps ? Y a-t-il des milices à l’intérieur du BATA ?

Militaire : Oui, je vous confirme qu’il y a des milices à l’intérieur du BATA. Des gens sont venus. Il y a même des miliciens venus du Libéria, qui sont actuellement incorporés au sein de l’armée guinéenne, au sein du BATA, sans aucune éducation militaire, sans aucune formation. Ce sont vraiment là des assassins qu’on est en train de recruter. Franchement, je suis militaire, je suis militaire mais j’ai peur pour ce pays. Ce n’est pas dans cet esprit-là que nous avons pris le pouvoir. Nous l'avons pris pour vraiment garantir l’intégrité de notre pays, pour vraiment faire de notre pays une grande démocratie. Mais ce n’est pas ce qui se passe actuellement dans l’armée guinéenne. C’est vraiment écœurant, nous avons peur, franchement. Même nous les militaires, nous avons peur. Actuellement, il y a plus de 600 personnes incorporées dans l’armée, des éléments venus de la forêt, des éléments venus du Libéria. On craint même des règlements de compte.

RFI : Vous êtes militaire depuis quelle année ?

Militaire : Depuis 2002.

RFI : Et depuis que vous êtes incorporé dans l’armée, depuis que vous êtes au BATA,  avez-vous vu la situation se dégrader ?

Militaire : La situation se dégrade de jour en jour.

RFI : Les nouvelles recrues disposent-elles d'armes? Avez-vous eu des armes neuves ? Arrive-t-il aujourd'hui beaucoup d’armes dans les casernes ?

Militaire : C’est tous les jours que les armes circulent dans nos casernes. Ceux qui sont recrutés aujourd’hui et incorporés ont des armes. On leur donne tout: des grenades, des armes, des munitions. On ne tient pas compte de la date d’intégration. Il suffit seulement de former les gens et de leur montrer le chemin de bataille, c’est tout. Il y a des jeunes volontaires que l’on a recrutés et qui franchement sont là uniquement pour préserver le pouvoir en place, sans aucune éducation militaire. Cette équipe cherche aujourd’hui comment préserver le pouvoir. Elle ne veut pas quitter le pouvoir. Ces gens sont comme le président Conté. C’est maintenant qu’on voit, même nous, le vrai visage de ce chef. Même nous, on est marginalisés dans l’armée. On a peur, on ne peut pas parler. Je vous dis, actuellement dans l’armée, c’est l’anarchie totale, l’anarchie totale, l’anarchie totale ! On ne sait pas qui est qui dans l’armée aujourd’hui. Personne ne sait aujourd’hui qui est le commandant ou le caporal ! Ils ont bastonné le général Toto, ce sont les gens de la garde présidentielle. Des caporaux. Il n’y a pas d’ordre dans l’armée guinéenne. Dans cette armée, s’il n’y a pas de force d’intervention, je vous assure que la Guinée va sombrer un jour très proche dans l’anarchie, ça viendra de ce même camp Alpha Yaya. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’il y ait vraiment un affrontement un jour très proche au sein du camp Alpha Yaya. Franchement, j’ai peur pour ce pays.

Propos recueilli par Olivier Rogez