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12/09/2003
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Bagdad-Jérusalem, aller simple
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(MFI) Né à Bagdad voici 45 ans, le réalisateur Samir a voulu interroger quelques personnages issus de la communauté juive irakienne. Qu’ils vivent aujourd’hui à New York, à Paris ou à Tel Aviv, tous se revendiquent Juifs et Arabes. Dans Forget Baghdad, leurs témoignages croisés permettent de dessiner un pan de l’histoire contemporaine du Moyen Orient, mais aussi d’interroger le statut des « Juifs Orientaux » dans la société israélienne.
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Oublier Bagdad ? Ce n’est pas seulement faire son deuil d’une ville, mais aussi de toute sa culture, d’un mode de vie : pique-niques sous les palmiers, longues séances à la terrasse des cafés de la ville pour jouer aux cartes ou fumer le narguilé. Et découvrir un nouveau pays, celui de l’exil, qu’il ait les contours de la France, des Etats-Unis ou, comme ce fut le plus souvent le cas, d’Israël.
C’est dire si, pour les quatre personnages interrogés par Samir dans Forget Baghdad, la douleur de l’exil s’est doublée de celle de la découverte d’un territoire inconnu, parfois moins accueillant que prévu. En Israël, les nouveaux arrivants sont ainsi aspergés de DDT à leur arrivée : c’est le lot de tous les candidats à l’entrée dans le nouvel Etat juif, mais le choc est rude. Ce n’est pourtant rien en comparaison des rebuffades qui les attendent dans cette nouvelle société où ils sont considérés au mieux comme des paysans bornés, au pire comme des demi-sauvages. « Comment devient-on l’ennemi de son propre passé ? » : la question que se pose Samir dès les premiers plans de son film prend alors tout son sens.
Racisme ordinaire
Une universitaire américaine, d’origine irakienne mais élevée en Israël, se souvient de sa honte, lorsqu’au jardin d’enfants, un mot d’arabe « glissait » par mégarde de sa bouche, des regards moqueurs des autres enfants lorsqu’elle ouvrait son sac pour en sortir son goûter, des œufs durs préparés par sa mère à la mode irakienne. Bien des années plus tard, la même universitaire écrira un ouvrage sur le cinéma israélien, abordant l’un de ses genres les plus populaires, le cinéma bourekas : des comédies mettant en scène, sur un mode très caricatural, les mœurs des juifs d’Orient (« Mizrahim »). Forget Baghdad diffuse un extrait de son passage sur un plateau télévisé israélien, où elle se fait littéralement agresser par le présentateur, ulcéré que l’on puisse parler du racisme qu’exercent les Ashkénazes sur les Mizrahim.
Les autres anecdotes sont tout aussi parlantes : quand ce vieil homme raconte comment, alors qu’il lisait un journal arabe dans le bus, il se fit dénoncer par son voisin et expulser du bus. Aujourd’hui encore, il lui arrive de faire un cauchemar, toujours le même : « Je marche au bord du Tigre, fouille dans mes poches et n’y trouve que de la monnaie israélienne. Les gens crient “Attrapez l’espion !” Et soudain je suis un ennemi poursuivi par la police et les gens. » On est alors bien loin de la « dolce vita » irakienne : juste dans un nouvel épisode du racisme ordinaire.
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Elisabeth Lequeret
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