L’essentiel d'un livre : Un conteur est né
(MFI) Avec son premier roman, traduit en 25 langues, le britannique Hari Kunzru nous livre une vaste épopée picaresque où se mêlent quête identitaire, interrogations sur le métissage et satire de l’empire britannique.
Peu de premiers romans sont autant fêtés que n’a été L’illusionniste, un premier roman sous la plume d’un écrivain britannique d’origine indienne. Fort de sa virtuosité narrative spectaculaire, ce gros roman de 456 pages qui raconte la quête identitaire d’un métis anglo-indien dans le contexte de l’empire britannique finissant, a fait l’événement lorsqu’il est paru il y a deux ans en Angleterre. Hari Kunzru, son auteur a été célébré comme le nouveau Salman Rushdie par les critiques littéraires. Il a été même sélectionné parmi les meilleurs romanciers de langue anglaise de moins de quarante ans par la prestigieuse revue Granta qui publie tous les dix ans sa liste très attendue des jeunes espoirs littéraires. Ses précédentes nominations avaient révélé quelques-uns des écrivains phares de la littérature anglophone contemporaine: Salman Rushdie, Martin Amis, Ben Okri, Caryl Phillips, Ian McEwan, Hanif Kureishi...
L’illusionniste vient de paraître cet automne en traduction française. C’est le récit picaresque d’une quête identitaire intercontinentale. L’histoire commence en Inde et se poursuit à Londres et à Oxford. Elle se termine quelque part en Afrique occidentale où au contact d’une tribu profondément ancrée dans son ici et maintenant et récalcitrante aux valeurs de la civilisation moderne auxquelles l’administration britannique veut à tout prix les initier, le héros de Hari Kunzru qui a vécu plusieurs métamorphoses, certaines imposées, d’autres choisies de plein gré, tente de se réinventer pour une énième fois, en se libérant de ses dernières illusions concernant « Dieu, l’Angleterre, l’Empire, la Civilisation, le Progrès, l’Elévation des esprits, l’Honneur ». C’est en Afrique où il a vu les colonisateurs à l’œuvre, motivés seulement par les instincts de gain et de domination, qu’il a compris combien ces mots qu’il avait si bien assimilés étaient vides de sens. « Il découvre qu’aucun de ces mots ne lui parle. il ne les sent pas vivre en lui, et cette absence de sentiment constitue le fond carrelé de la piscine. »
Pran Nath est le fruit de la rencontre fortuite d’un fonctionnaire britannique des eaux et des forêts et d’une jeune indienne, fille d’un prêteur sur gages cachemiri. Enfant à la peau très claire comme le sont souvent les Cachemiris, celui-ci grandit dans la maison du mari de sa mère qui le croit être son fils. Mais la vérité finit par éclater et à seize ans, le jeune bâtard sang-mêlé se retrouve à la rue. Il est réduit à vivre d’expédients qui le conduisent d’abord à la cour d’un roitelet fantoche où on l’oblige à s’habiller en femme et à satisfaire les penchants pédophiles d’un major dépravé, puis à Bombay où il est recueilli par un couple de missionnaires. Londres sera la prochaine étape de ce parcours initiatique où Pran débarque, usurpant l’identité d’un jeune anglais, rencontré au hasard de ses errances. Aventurier dans l’âme, Pran qui s’appelle désormais Jonathan Bridgeman, n’a aucun mal à se glisser dans sa nouvelle identité anglaise, son teint blanc lui permettant de se faire passer pour un Anglais sans susciter la moindre suspicion. Aux yeux des autres, il apparaît même plus anglais que les Anglais et, paradoxalement, c’est à cause de son « anglicité » qu’il va perdre sa fiancée qui lui préférera un chanteur de jazz noir. « Tu es le plus anglais des gens que je connais », lui dit-elle en guise d’adieu. Dénouement loufoque d’une vie entièrement dédiée à réprimer son identité profonde pour mieux se glisser dans celle d’en face, celle que le code moral et social apprend à valoriser. Il serait tragique si le récit se terminait sur cette répudiation. Mais heureusement il y a l’Afrique où échoue le protagoniste au terme de son long parcours et que Hari Kunzru, imagine comme un lieu de restauration de soi, s’écartant ainsi de la tradition fâcheuse de la fiction anglaise de voir le continent noir comme le « cœur des ténèbres ».
Novateur et ironique, L’illusionniste est un premier roman superbe dont les péripéties souvent inattendues, mais jamais invraisemblables, tiennent le lecteur en haleine jusqu’au bout.
L’illusionniste, par Hari Kunzru. Traduit de l’anglais par Claude et Jean Demanuelli. Ed. Plon, 456 p., 23 euros. Tirthankar Chanda
A l’ombre de la gare du Nord
(MFI)Ahmed Benzouak, dit Bartolo, Houari Bendenia, alias Zalamite et Djilali Zergui, connu des deux premiers sous le sobriquet de Bonbon, coulent une retraite discrète à l’ombre de la gare du Nord. Ces trois émigrés algériens passent leurs journées entre le Foyer de l’Espérance, où ils dorment, la Chope Verte, bar d’en face, et la gare du Nord, but immuable de leurs promenades. Bonbon, incorrigible gourmand, cuisine quelquefois pour ses camarades l’un de ces couscous qui les ramènent au pays natal, plus vite qu’un Boeing d’Air Algérie.
Ensemble, les trois chibanis (vieux) évoquent leurs années de travail à l’usine ou sur les chantiers de Marseille, Vénissieux, Noeux-les-Mines et Paris. La vie difficile, les joies simples, autant de souvenirs oscillant entre la joie de gagner sa vie dans un pays « moderne » et la nostalgie du pays laissé. Les trois retraités d’Abdelkader Djemaï, ont connu les combats de catch des années 50 opposant l’Ange Blanc au Bourreau de Béthune, la Piste aux Etoiles à la télévision, et les esquimaux glacés du Louxor, un cinéma du quartier Barbès aujourd’hui disparu. Ces miettes de France pourraient faire d’eux des retraités comme les autres mais les trois petits vieux, dont les cartes d’identités ont un jour porté la mention « Français musulman d’Algérie » ne s’y trompent pas. Bonbon n’a pas oublié le 17 octobre 1961 et ses cortèges d’immigrés partis manifester contre des lois iniques et jamais revenus. Pas étonnant que le vieil homme manifeste un jour le désir de retourner en Algérie… Abdelkader Djemaï, journaliste et écrivain algérien installé en France depuis 1993, livre ici son septième roman, construit comme certains de ses ouvrages précédents, de banalités et de souvenirs doux amers qui vont droit au cœur du lecteur.
Gare du Nord, par Abdelkader Djemaï. Ed. du Seuil, 91 p., 11 euros. Geneviève Fidani
Allah explose sur scène
(MFI) Parce que la vie n’a jamais été drôle pour lui, parce que rien ne lui a vraiment souri, le jeune Kamel Léon Hassani, décide de faire rire les autres en incarnant… un terroriste. Etre Jamel Debbouze ou rien, voilà l’idéal pour ce fils d’un père algérien veilleur de nuit et d’une mère française disparue prématurément. Mais quand on est un jeune d’origine difficile, le chemin vers la gloire est semé d’embûches. La première, et elle est de taille, consiste à faire savoir et à faire savoir qui l’on est. Pas grave si l’on a oublié d’où l’on vient, Kamel Hassani préfèrerait savoir où il va. Mais pour aller quelque part encore faut-il ne pas trop inquiéter l’entourage. Alors, Kamel Léon se choisit un nom de scène qui sonne comme un mauvais calembour et louvoie comme il peut entre l’imam du quartier, les copains de galère, une fiancée capricieuse, un producteur alcoolique et sa charmante nièce. Entre le premier stand-up, filmé au caméscope par les copains dans un studio de banlieue, et le premier Olympia, une suite de gags jalonne le chemin de l’aspirant comique.
Pour son quatrième livre, Y.B, journaliste algérien installé en France depuis 1998, a choisi le ton du One man show, celui de la tchatche et de l’humour noir mais le sujet est infiniment plus grave qu’il n’y paraît. Derrière le ton humoristique de ces pages, se profile le malaise d’une jeunesse de France que la France ne reconnaît pas. L’auteur de cache rien de ses inquiétudes, de sa vulnérabilité, de ses difficultés et annonce, entre deux vannes d’un goût douteux, une issue qui ne pourra être que tragique.
Allah superstar, par Y.B. Ed. Grasset, 264 p., 17 euros. Geneviève Fidani
De Yaoundé à Biarritz, Serge «fait toujours le soleil » !
(MFI) Serge Betsen doit aimer voyager : le petit Camerounais arrivé à neuf ans à Clichy en banlieue parisienne puis devenu, après s’être installé au pays basque, membre de l’équipe de France de rugby a, à 28 ans, fait le tour du monde. Afrique du sud, Argentine, Australie, ce sportif passionné nous offre aujourd’hui le récit de sa vie de rugbyman à qui les tournois font voir du pays. Hymne au ballon ovale et éloge de l’amitié, colères et bonheurs, la vie de Serge valait la peine d’être racontée.
Elu meilleur international de l’année 2003, 3ème ligne du XV de France, il est aujourd’hui le pilier défensif des Bleus, spécialiste du placage de joueur c’est à dire de « faire le soleil ». Nous le suivons aussi bien aux entraînements, que chez la diététicienne ou, dans son pays natal, lorsqu’il y est retourné, en 2001, après vingt ans d’absence. De nature réservée, le champion a voulu dans ce livre rendre hommage au rugby qui est pour lui « à la fois un jeu et une discipline ». En suivant l’histoire de ce « petit Camerounais que le rugby a comblé au-delà de toute raison », on découvre peu à peu un homme au sommeil difficile, qui, comme un gosse, rêve encore qu’il devient rugbyman. Mais aussi un jeune père que la fragilité de sa fille nouveau-née bouleverse alors qu’il vient de manier sa force redoutable sur le terrain, enfin un fidèle en amitié qui sait réfléchir. Un livre, donc, pour les amoureux de rugby, mais aussi pour tous ceux que la vie d’un homme, fut-elle exceptionnelle, intéresse.
Faire le soleil, une vie de rugby, par Serge Betsen. Ed. Stock, 263 p., 18 euros. Moïra Sauvage
« Ni putes ni soumises » : récit d’un combat non terminé
(MFI) Mars 2003 : des milliers de personnes accueillent à Paris l’arrivée de la Marche des filles de banlieues, « Ni putes ni soumises » qui a sillonné la France en tous sens pour dénoncer les violences dont elles sont souvent victimes. La fondatrice du mouvement, Fadela Amara, trente-neuf ans, kabyle née en Auvergne, raconte aujourd’hui leur aventure. Mais elle fait aussi comprendre, à travers le portrait de son enfance, combien la rébellion, qui semble l’avoir toujours caractérisée, semble de plus en plus nécessaire aujourd’hui.
Fille d’ouvrier, née dans une famille nombreuse de huit enfants, elle a vu l’atmosphère changer peu à peu ces dernières années et les libertés quotidiennes des filles régresser, que ce soit pour sortir librement, parler aux garçons de l’école ou porter des jupes. Musulmane pratiquante mais profondément attachée aux valeurs laïques de la République, Fadela Amara a toujours milité, d’abord à « SOS racisme », puis à la Fédération nationale des maisons des potes. Si la Marche des banlieues a rendu célèbre les revendications de son mouvement, elle souligne, dans une réflexion qui va du port du voile au rôle des jeunes gens en passant par la «ghettoïsation » des banlieues, la nécessité d’une prise de conscience de la société française tout entière. Les marcheuses qui avaient souhaité être entendues par le pouvoir, étaient reçues à Matignon par le premier ministre. Le livre de Fadela Amara vient lui rappeler ses promesses.
Ni putes ni soumises, par Fadela Amara. Ed. La Découverte, 154 p.,12 euros. Moïra Sauvage
Le Petit Larousse met l’histoire de France à la portée de tous
(MFI)Qui n’a pas consulté au moins une fois le fameux Petit Larousse ? Né en 1905 et si populaire qu’il est devenu pour beaucoup synonyme même de dictionnaire ? Forte de ce succès, la maison d’édition du même nom poursuit l’aventure dans d’autres domaines : « Si le Petit Larousse a une histoire, l’Histoire a enfin son petit Larousse ! », proclame-t-elle fièrement pour la sortie de son petit dernier, un dictionnaire, non pas de la langue, mais de l’histoire de France, vaste sujet qui évoque le plus souvent d’ennuyeux manuels scolaires ou bien de lourds ouvrages plus ou moins savants et presque toujours consacrés à une période précise. Ici, vous trouverez tout, des tribus gauloises à la naissance de la nation européenne, des batailles épiques (1515 : Marignan !) aux répressions sanglantes (1871 : Mur des fédérés !), des royaumes aux empires et des empires aux républiques… Bien sûr, le livre n’est pas vraiment un dictionnaire et l’ordre y est chronologique, non pas alphabétique. Chaque grande période fait l’objet d’un chapitre avec une introduction générale et les dates-clés, suivie d’un récit des événements principaux. Des cartes et des encadrés invitent le lecteur à s’arrêter sur des points importants. Chaque chapitre se termine par des « dossiers » qui abordent les aspects politiques, économiques ou culturels de l’époque.
Petit Larousse de l’histoire de France, par Pierre Bezbakh. Ed. Larousse, 896 pages (avec 100 illustrations dont 50 pages hors-texte en couleurs), 19,90 euros. Catherine Brousse
L’Europe dans le désordre du monde
(MFI) Un penseur qui réfléchit sur le monde vaut toujours la peine d’être écouté. Tzvetan Todorov, philosophe et membre du CNRS, né et élevé en Bulgarie, ayant vécu aux USA et familier des essais sur l’histoire, la littérature ou la politique, utilise son expérience unique d’intellectuel des deux rives pour éclairer le « nouveau désordre mondial » dans lequel la guerre d’Irak a plongé le monde. A l’occasion de celle-ci, en effet, l’Europe a donné l’impression de ne plus vouloir s’aligner sur les Etats-Unis. Son identité a donc été remise en question, certains états s’étant opposés aux autres dans un clivage entre « vieille » et « nouvelle » Europe.
Face au danger que représentent, dans l’entourage de George Bush, ceux qu’il nomme « les néo-fondamentalistes », Tzvetan Todorov souligne l’importance que pourrait avoir une puissance militaire européenne qui mettrait fin à la dépendance vis à vis des Américains. Mais il revient aussi sur les valeurs traditionnelles de l’Europe : justice, démocratie, liberté, laïcité et tolérance. C’est à partir d’un tel héritage que, selon lui, doivent être transformées des institutions européennes inadaptées. Sa réflexion sur l’élargissement imagine d’effectuer celui-ci selon trois cercles concentriques, allant jusqu’à envisager des liens avec les pays du Maghreb ou la Russie. Un livre clair et concis sur un sujet qui intéresse habituellement peu de gens hors les spécialistes, mais que les événements qui secouent le monde depuis un certain 11 septembre ont fini par mettre à l’ordre du jour.
Le nouveau désordre mondial, réflexions d’un Européen, par Tzvetan Todorov. Ed. Robert Laffont, 111 p., 10 euros. Moïra Sauvage
La nouvelle aventure langagière d’Henriette Walter
(MFI) « De la musaraigne étrusque à la baleine bleue », annonce en sous-titre le quatorzième ouvrage de la linguiste Henriette Walter qui s’est associée pour cette nouvelle aventure langagière avec Pierre Avenas, un polytechnicien fou de mots et d’animaux. Tous deux ont composé un « bestiaire étymologique » qui ne se veut « ni dictionnaire ni encyclopédie », mais un parcours original autour de trente-cinq animaux-vedettes, du plus petit (la musaraigne) au plus gros (la baleine bleue), en passant par le loup, le chien, l’antilope ou le bonobo… On y apprendra que la girafe s’appelait en latin camelopardis « chameau-panthère », que le chameau vient du phénicien gamal, devenu un prénom recherché (celui de l’ancien président égyptien, Gamal Abdel Nasser), que le dromadaire est un bon coureur, du grec dromos « course », qu’une chimère vient du mot chèvre et que la plus ancienne lettre de l’alphabet, aleph, doit sans doute sa forme au bœuf…
Chaque animal est resitué dans son cadre zoologique : ordre, famille, sous-famille, espèce ; son nom est donné dans quatre autres langues, l’italien, l’espagnol, l’anglais et l’allemand, et une illustration permet de s’en faire une idée si on ne l’a jamais vu, tel le chevrotain ou le suricate. Aux informations proprement linguistiques s’ajoutent des éléments scientifiques, ainsi que nombre d’anecdotes, historiques ou culturelles, souvent amusantes, toujours intéressantes. De nombreux encadrés proposent des jeux, des devinettes ou des rébus, d’autres présentent des cartes ou des tableaux, index et sommaires sont exhaustifs : ce qui est remarquable dans cet ouvrage, comme d’ailleurs dans tous ceux d’Henriette Walter, est qu’une très grande érudition nous est servie dans un style et une présentation simples, agréables, faciles à lire et à consulter, propres à séduire un public très large, des plus exigeants aux plus jeunes.
L’étonnante histoire des noms des mammifères, par Henriette Walter et Pierre Avenas. Illustrations de François Boisrond. Ed. Robert Laffont, 486 p., 24 euros. Catherine Brousse
(Re) Découverte d'un auteur : Relisons Mongo Beti
(MFI) L’écrivain camerounais Mongo Beti nous a quitté il y a deux ans. Conscients de la place importante que l’auteur de Ville cruelle continue d’occuper dans le champs littéraire africain, ses éditeurs ont republié un certain nombre de ses ouvrages, nous permettant de redécouvrir cette œuvre exigeante et profondément engagée. Les trois livres de Mongo Beti qui ont été réédités au cours de ces deux dernières années sont : Le Pauvre Christ de Bomba à nouveau disponible en format de poche chez Présence Africaine, Perpétue ou l’habitude du malheur que republient les éditions Buchet Chastel et La Ruine presque cocasse d’un polichinelle qui paraît chez Le Serpent à Plumes dans sa belle collection « Motifs ».
Aux côtés de Ville cruelle (publié sous un autre pseudonyme, Eza Boto), la réédition du Pauvre Christ de Bomba, premier roman signé du nom de Mongo Beti et publié en 1956, permet de retrouver les mésaventures du Révérend Père Drumond dont les efforts prosélytes se solderont bientôt par un échec et un constat de mutuelle incompréhension entre cet homme d’église occidental et ses « drôles de paroissiens » africains.
Ces deux premiers romans de Mongo Beti appartiennent à la « période coloniale » de son oeuvre, qui se poursuivra avec Mission terminée et Le roi miraculé, publiés en 1957 et 1958. Suivra un long silence romanesque, entrecoupé par le virulent pamphlet longtemps interdit, Main basse sur le Cameroun, en 1972. Ce n’est qu’en 1974 que Mongo Beti, alors enseignant à Rouen, renouera avec la fiction en composant une trilogie romanesque illustrant les propos politiques de son pamphlet. Il publiera successivement Remember Ruben, bientôt suivi par Perpétue et La ruine presque cocasse d’un polichinelle. Trois romans, tous largement redevables à l’actualité politique immédiate de son pays, évoquant avec distance la destinée tragique de Ruben um Nyobé, leader syndicaliste, militant de l’indépendance, assassiné en 1958.
Perpétue ou l’habitude du malheur conte le retour au pays d’un jeune militant, libéré d’un camp où il vient de passer six années, qui enquête sur la mort de sa sœur, victime expiatoire et symbole des maux et des oppressions dont est victime la population du continent. La ruine presque cocasse d¹un polichinelle qui porte en sous-titre, Remember Ruben 2, s’inscrit dans la suite de ce roman et reprend la trace de son héros, Mor Zamba qui, au lendemain de l’indépendance, poursuit clandestinement la lutte commencée aux côtés du leader disparu. Entre évocations historiques et projections romanesques, l’ombre du militant plane sur ces trois romans, parfaitement autonomes, tout en offrant à la fiction une distance par rapport aux faits historiques.
Une proximité distante qui est en quelque sorte l’une des caractéristiques de l’écrivain camerounais dont l’œuvre peut certes être scindée en périodes mais dont l’unité politique demeure comme une sorte de déterminisme premier. Mongo Béti a su, en effet, sa vie durant, donner une indéniable cohérence et une absolue sincérité à son oeuvre littéraire comme à ses autres activités militantes.
Le Pauvre Christ de Bomba, (rééd.) Présence Africaine poche, 352 p., 8,90 euros.
Perpétue ou l’habitude du malheur, ( rééd.) Buchet Chastel, 308 p., 15 euros.
La Ruine presque cocasse d’un polichinelle, (rééd.) Le Serpent à plumes, coll. Motifs, 496 p., 50 euros. Bernard Magnier
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