L'essentiel d'un livre
Fatou Diome, romancière de l’émigration
(MFI) La sénégalaise Fatou Diome a puisé dans le drame de l’émigration africaine le matériau pour un premier roman plein d’audace et de sensibilité.
Fatou Diome est une des principales révélations de la rentrée littéraire française 2003. Déjà auteur d’un recueil de nouvelles ( La Préférence nationale, Présence Africaine, 2001), cette jeune sénégalaise de 35 ans qui vit en France depuis une dizaine d’années a créé la sensation en publiant un premier roman magistral et subtilement autobiographique, intitulé Le ventre de l’Atlantique. Le titre donne d’emblée le ton de ce livre qui explore la tragédie de l’émigration africaine en France. L’Atlantique n’est guère ici la passerelle entre les deux rives de l’océan, mais la métaphore de l’abîme qui engloutit les espérances, les rêves et les fantasmes des miséreux et des désespérés qui s’obstinent à le traverser, tentée par l’appel de la Terre Promise européenne.
Pour raconter l’odyssée des siens, Fatou Diome a imaginé une protagoniste à sa propre image. Salie. Née d’un père inconnu dans une société où la bâtardise est vécue comme une honte, celle-ci a très tôt fait de l’exil le corollaire de son existence. A vingt ans, elle a quitté son île natale au large du Sénégal pour venir en France dans les bras d’un coopérant français. « Embarqué avec les masques, les statues, les cotonnades teintes et un chat roux tigré, j’avais débarqué en France dans les bagages de mon mari, tout comme j’aurais pu atterrir avec lui dans la toundra sibérienne. Mais une fois chez lui, ma peau ombragea l’idylle - les siens ne voulant que Blanche-Neige -, les noces furent éphémères et la galère tenace. » Le récit des bourrasques qui vont suivre, obligeant Salie à faire le ménage chez des gens pour subvenir à ses besoins (« ma subsistance dépendait du nombre de serpillières que j’usais ») ne dissuade pourtant pas les autres candidats à l’émigration. Notamment Madické, le frère de Salie, qui a le foot dans le sang et qui rêve de partir pour aller jouer dans un club français. Le rêve du petit frère se nourrit de l’étalage de richesses par les anciens émigrés qui racontent aux jeunes leurs exploits parisiens et taisent les conditions de vie indignes, la précarité et la discrimination qui constituent le quotidien de l’immigré noir en Europe. Seul, l’instituteur marxiste tente de prévenir les jeunes des dangers de l’émigration mal préparée. En vain, car ceux-ci sont « franchement aveuglés par une avidité sans limites. (...) Même pour un poulailler en France ils seraient prêts à gager leur peau. »
Comment on en est arrivé là ? Ce roman est une réflexion sur la dérive migrationnelle qui vide les pays du tiers monde de leurs forces vives. A travers la voix de Salie qui est aussi la sienne, l’auteur tente de remonter à l’origine du mal, en en recherchant les causes dans l’esclavage et la colonisation, mais aussi dans les traditions féodales des sociétés africaines contemporaines. Pour autant le récit ne se transforme pas en une thèse. Tout l’art de Fatou Diome consiste à maintenir un équilibre précaire entre la méditation et la fiction, la transition étant assurée essentiellement par les différentes figures d’émigrés et d’exilés. La figure plus emblématique est sans doute celle de Moussa. Footballeur prometteur, il est recruté par un dénicheur de talents sportifs qui l’envoie se parfaire dans un centre de formation en France. Mais, n’ayant pas réussi à se hisser au niveau des professionnels, il est expulsé vers son pays. Incapable de supporter les moqueries des siens et la honte, Moussa met fin à ses jours en se jetant dans le « ventre de l’Atlantique ». Plus romantique est le personnage de l’instituteur Ndétare, condamné à l’exil à vie en raison de ses idées marxistes. Mais la figure la plus attachante, le fil d’Ariane de ce roman autofictionnel, est certainement celle de Salie-Fatou Diome. Etrangère partout, étrangère à elle-même, elle puise dans l’expérience de l’exil et de l’aliénation le matériau de sa raison d’être qui est la littérature.
Souvent lyrique, surtout lorsque la fiction rejoint le réel et le personnel, Le ventre de l’Atlantique est le premier roman d’un écrivain talentueux et prometteur.
Le ventre de l’Atlantique, par Fatou Diome. Anne Carrière, 296 P., 18 euros.
Tirthankar Chanda
Sortilèges africains
(MFI) Pour son premier roman, François Devenne a choisi l’Afrique et ses mythes. Ce jeune docteur en géographie qui a passé deux ans en poste à Nairobi s’est imprégné des contes et légendes qui se transmettent par la bouche des conteurs kenyans. Résultat : un joli livre qui apprendra au lecteur que le rêve peut parfois contribuer à donner des couleurs plus douces à la triste réalité. Parce que la jeune fille qu’il aime lui reproche ne n’avoir pas entrepris le voyage initiatique au mont Mérou, qu’ont accompli bien des hommes de son clan, l’adolescent Bayu El-Mudi décide de se soumettre à l’épreuve. Naïf et inexpérimenté au début, le jeune sculpteur fera au cours de son voyage l’expérience de la solidarité et de la trahison. Il découvrira également les différentes ethnies qui peuplent le vaste territoire entre Mombasa, sur la côte de l’océan indien, et le mont Mérou , situé non loin du Kilimandjaro en Tanzanie. L’aventure, parfois cocasse, est le prétexte à de somptueuses descriptions de paysages africains et à de nombreux récits mêlant aventure et poésie. Au fil du parcours de Bayu, on croise la panthère, animal tutélaire du clan, dont le pelage est constellé d’yeux. Le splendide animal, souvent menaçant , finira par se faire protecteur et par conduire le jeune homme à sa fiancée, la belle Hasmahani. S’il est parfois difficile de démêler l’action du rêve, il reste au lecteur de ce beau livre l’agréable sensation d’avoir effectué un voyage immobile. Un livre idéal pour amener les adolescents à la lecture.
Trois rêves au mont Mérou, par François Devenne. Actes Sud, 264 p., 19 euros.
Geneviève Fidani
Les mystères de la Kahéna
(MFI)Le jeune écrivain algérien Salim Bachi, situe son deuxième roman dans la ville imaginaire de Cirtha où se déroulait l’intrigue de son premier livre Le chien d’Ulysse (Prix Goncourt du Premier roman). Cette fois, la cité n’apparaît qu’en arrière plan et s’efface derrière l’imposante Kahéna, une villa mystérieuse bâtie par le colon Louis Bergagna et dépositaire de nombreux secrets. Lorsque Louis Bergagna débarque à Cyrtha en 1900, il se jure d’y faire fortune. La culture du tabac, le négoce et l’intrigue l’aideront à atteindre ce but. Le colon devient un notable et vit dans une imposante villa qu’un de ses ouvriers lui a suggéré de baptiser La Kahéna, du nom de la reine des Berbères. La réussite paraît totale mais les démons qui minent l’empire de Bergagna comme le reste du pays sont déjà à l’œuvre... Le deuxième roman de Salim Bachi mêle avec maestria le récit d’aventure, les histoires d’amour, la lutte politique et l’Histoire. Dans une langue aussi alerte que précise, le jeune auteur restitue à la fois le passé trouble d’un pays meurtri, les destins tragiques de ses personnages et le caractère inquiétant de l’Algérie d’aujourd’hui. Son œuvre s’imprègne autant de l’ambiance mortifère qui y règne que de l’irrépressible élan de vie que lui confère la jeunesse de sa population. La littérature algérienne a trouvé en Salim Bachi un nouvel auteur de valeur. Son écriture n’exprime pas seulement la douleur née des années de sang, elle signale la naissance d’un authentique écrivain.
La Kahéna, par Salim Bachi. Gallimard, 309 p., 19 euros.
Geneviève Fidani
Discrète mais inoubliable Nathalie Sarraute
(MFI) Quatre ans après la mort de Nathalie Sarraute, Huguette Bouchardeau publie une biographie de l’écrivain. Menue et discrète, avec sa figure d’oiseau moqueur, Nathalie Sarraute ressemblait à son œuvre, à ces petits riens qu’elle aimait débusquer dans les paroles de tout un chacun. Comment raconter une vie si longue (99 ans) commencée dans la Russie tsariste et terminée, écrivant toujours, dans un Paris qui guettait l’an 2000 ? Une vie sans grandes aventures, sinon l’abandon par une mère insouciante, la perfection toujours recherchée dans les études, un métier de juriste peu pratiqué, une vie de mère de trois petites filles à laquelle elle échappa très tôt chaque jour pour s’isoler et écrire ? Peu diserte sur elle-même, Nathalie Sarraute avait cependant, au soir de sa vie, raconté elle-même dans un livre son « Enfance », et parlé de son travail aux journalistes. C’est à partir de ces documents, mais surtout à partir de son œuvre, qu’Huguette Bouchardeau, ancienne ministre, éditrice et auteure de plusieurs biographies, à tenté de cerner la personnalité de celle qui, refusant tout engagement féministe, disait « Quand j’écris, je ne suis ni homme, ni femme, ni chien » et ne vivait que pour la précision des mots. Comme son contemporain Samuel Beckett, elle fut « une travailleuse obstinée de la lucidité ». Romancière, auteure de théâtre, Nathalie Sarraute fut une personnalité unique dans la vie littéraire du XXème siècle.
Nathalie Sarraute, par Huguette Bouchardeau. Ed. Flammarion, 255p., 19 euros.
Moïra Sauvage
Un roman au goût de fiel
(MFI)Le colonialisme, on ne le sait que trop, a laissé partout des blessures mal cicatrisées ; on méconnaît souvent qu’il fit aussi des victimes parmi les colons. Le roman d’Arnauld Pontier prend place dans deux territoires colonisés, le Vietnam où la narrateur passe son enfance, et l’Algérie où les expatriés, chassés par la chute de Diên Biên Phu, tentent de redorer leur blason, de défendre leur idéal périmé d’un Etat français, mais aussi de s’enraciner, tant bien que mal, dans une terre qu’ils veulent faire leur et qu’ils aiment. Le père du narrateur, normalien tout entier au service de la France, est aussi un alcoolique violent qui bat régulièrement sa femme et son fils. Adultères, lâchetés, trafics et propagande sont le lot ordinaire de ces colons que l’enfant regarde avec haine, dégoût et mépris. La treizième cible est un livre douloureux, aride, un livre au goût de fiel. La haine nourrit ce récit comme un feu qui dévore le narrateur. Victime, oui, il l’est sans doute et les victimes ont-elles un choix ? Peuvent-elles se révolter et comment ? Arrivant adolescent en Algérie, le héros découvre les activités cachées de son père et de ses amis qui, se sentant trahis par le général de Gaulle, rentrent dans la guerilla sournoise et féroce qui oppose partisans du FLN et suppôts de Salan. Mais la haine qu’il porte à son père est ambiguë : il attend l’heure de « faire son devoir », l’heure de la vengeance, sans se démarquer pourtant de l’idéologie paternelle. La guerre de libération du fils battu ne sera pas celle des peuples opprimés. Il se venge, mais ne se révolte pas et, à cause de cela, l’on ne sait si cet enfant blessé grandira jamais.
La treizième cible, par Arnauld Pontier. Ed. Actes Sud, 149 p., 16 euros.
Catherine Brousse
« Désir de France » et « besoin d’Afrique »
(MFI) Dans son essai sur L’Impérialisme, Hannah Arendt estime que les Français ont, d’une manière toute singulière, traité leurs colonisés « à la fois en frères et en sujets ». C’est de cette citation que le sociologue Jean-Pierre Dozon a tiré le titre et la matière de son ouvrage qui se présente comme une histoire des relations franco-africaines. La colonisation française, dit-il, a constamment hésité entre l’association et l’assimilation, mais elle a généré une sorte d’attirance réciproque entre Français et Africains. Au « besoin d’Afrique » ressenti – à des titres divers – en France, correspond ainsi en Afrique un « désir de France » : cette conjonction s’est entre autres ré-affirmée avec vigueur, de manière inattendue, après l’accession des anciennes colonies françaises à l’indépendance en 1960. Jean-Pierre Dozon n’en veut pour preuve, sur des registres différents, que l’afflux des plus hautes personnalités françaises aux funérailles du président Houphouët-Boigny en 1994, et le nombre toujours croissant d’Africains qui cherchent à immigrer en France – clandestinement ou non.
L’auteur rappelle les étapes du processus qui a tissé entre l’Afrique et la France des liens qui paraissent indissolubles et le rôle des personnalités qui jouèrent à cet égard un rôle décisif, comme Blaise Diagne pour le recrutement des « tirailleurs sénégalais » durant la première guerre mondiale. Jean-Pierre Dozon recense aussi les institutions et les appareils qui ont conduit ou encouragé cette liaison franco-africaine, comme la Société des Amis des Noirs de l’abbé Grégoire, les obédiences maçonniques et les Groupes d’Etudes Communistes.
Frères et sujets – la France et l’Afrique en perspective, par Jean-Pierre Dozon. Ed. Flammarion, 350 p., 20 euros.
Claude Wauthier
Le passé trotskiste de Benjamin Stora
(MFI) Lorsque fut récemment mis en lumière le passé trotskiste de Lionel Jospin, alors premier ministre, son ancien compagnon, l’historien d’origine pied-noir Benjamin Stora s’est décidé, après tant d’années, à faire le point sur sa jeunesse parmi ceux qu’il nomme « la dernière génération d’octobre ». Il décrit ainsi l’aventure de ces militants de l’Organisation Communiste Internationale (OCI), les derniers peut-être pour qui la révolution russe d’octobre 1917 était encore porteuse d’un idéal à réaliser. Il raconte ce qu’il a vécu entre 1968 et 1986, les manifestations, les réunions secrètes, les exclusions, et surtout l’incroyable énergie d’une jeunesse qui tournait le dos à la permissivité de mai 68 pour s’embrigader avec bonheur dans une structure résolument anti-libertaire. Avec un certain étonnement, il essaie de comprendre comment l’engagement collectif très particulier de cette extrême gauche niait l’individu tout en lui fournissant plus qu’un engagement, une famille.
Au-delà de la précision historique de ces souvenirs, la description émouvante de son enfance à Constantine, de son arrivée à Paris marquée par la solitude et l’étonnement, son analyse très fine de l’exil et de la découverte du monde que fut pour lui le Paris de la fin des années soixante font de ce livre un témoignage essentiel pour comprendre les raisons d’un engagement aussi radical.
La dernière génération d’octobre, par Benjamin Stora. Ed. Stock, 274 p., 20 euros.
Moïra Sauvage
La France a-t-elle peur de l’Islam ?
(MFI) Comme l’antisémitisme, une certaine islamophobie semble se développer peu à peu en France. Peur du terrorisme islamiste, incompréhension face aux jeunes musulmanes voilées, retours douloureux sur la guerre d’Algérie, les raisons sont multiples à l’incompréhension que ressentent de nombreux français face à l’Islam. Peut-on parler pour autant d’une nouvelle islamophobie qui ferait suite aux positions violentes qui, depuis le moyen âge, ont jalonné l’histoire ? Oui, répond Vincent Geissner, chercheur et historien du monde arabe, qui en analyse les aspects les plus récents.
A partir d’un vieux fond de mépris chrétien pour la religion musulmane, il voit dans le débat violent sur la laïcité, dans les propos de certains intellectuels comme dans la recrudescence des faits divers contre les lieux de culte ou les commerces musulmans, un renouveau inquiétant chargé d’une force émotionnelle propre à la France. L’appartenance « trop visible » à la religion musulmane devient par exemple raison de discrimination dans le travail ; des sites internet difficilement contrôlés prennent de plus en plus ouvertement des positions islamophobes comme antisémites ; quand aux politiques, il les accuse, au lieu de lutter contre ce courant, de faire de l’islam un enjeu politique majeur par une politique sécuritaire exacerbée. Enfin les intellectuels, autrefois anticolonialistes, qui s’élèvent aujourd’hui contre l’obscurantisme intégriste musulman, sont le signe pour l’auteur d’une idéologie de repli marquée avant tout par la peur de l’inconnu.
La nouvelle islamophobie, par Vincent Geissner. Ed. La Découverte, 122 p., 6,40 euros.
Moïra Sauvage
Le roman noir à l’épreuve de l’imagination parodique d’Alain Mabanckou
(MFI)Le nouveau roman du congolais Alain Mabanckou est une parodie du genre polar. Acerbe et pleine d’humour.
Avec quatre romans et plusieurs recueils de poésie à son actif, le congolais Alain Mabanckou s’est imposé comme une des figures marquantes de la nouvelle génération d’écrivains africains. Son nouveau roman qui raconte sur un ton déjanté et satirique l’histoire d’un « serial killer » raté constitue un tournant dans la carrière de cet auteur original et talentueux. Celui-ci a en effet délaissé ses thèmes favoris d’immigration et de guerre civile pour éclairer la crise africaine sous un angle inattendu. African Psycho (Le Serpent à Plumes, 191 pages, 16 euros) met en scène les heurs et malheurs du jeune Grégoire Nakobomayo qui a pour ambition de devenir le tueur en série le plus redoutable de son pays et de surpasser en notoriété son modèle et maître « Angoualima » qui avait su défier le pays entier avant de se suicider. Mais n’est pas serial killer, qui veut! L’originalité de ce roman réside autant dans les déboires répétés du héros que dans l’écriture parodique que pratique l’auteur, détournant le roman noir pour en faire le récit initiatique de la jeunesse africaine contemporaine, rongée par le désœuvrement et l’absurdité de leur vie symbolisée ici par une jonglerie onomastique époustouflante: « Celui-qui-boit-de-l’eau-est-un-idiot » (nom du quartier), « Buvez-ceci-est-mon-sang » (nom du bar le plus fréquenté du pays), « Moi-je-sais-tout-parce-que-vous-ne-comprenez-rien » (nom de la seule université du pays), etc. Entretien.
MFI: Votre nouveau roman African psycho est radicalement différent de vos précédents livres tant par sa thématique que par son écriture. Est-ce un tournant ?
Alain Mabanckou: Il est vrai que ce roman entraîne le lecteur sur un terrain où on ne m’attendait pas. C’est d’autant plus surprenant que le polar est un terrain où peu d’écrivains africains se sont aventurés jusqu’ici. Mais, pour moi, il est dans le prolongement de cette liberté de ton et de thématique que j’ai toujours revendiquée, refusant de me laisser enfermer dans les traditionnels sujets que nous impose la littérature africaine.
MFI: African psycho peut être qualifié de « polar », bien qu’il s’agisse d’un polar un peu particulier puisque vous faites éclater les règles du genre en mettant en scène un serial killer maladroit qui rate tous ses coups. Comment est née cette idée ?
A. M : Vous savez je suis un éternel lecteur de romans policiers, des romans à suspense. Depuis longtemps, je nourris l’idée d’écrire moi-même un roman policier. Le déclic s’est fait lorsque je me suis souvenu de ce « serial killer » qui terrorisait le Congo-Brazzaville et le Congo-Kinshasa durant ma jeunesse. Pendant longtemps j’ai été à la fois terrorisé et fasciné par ce personnage. La question qui s’est posée à moi était de savoir comment utiliser ce matériau et concilier le crime avec la littérature. Je ne voulais pas écrire un polar classique et raconter la perfection du crime. D’autres l’ont fait avant moi et avec quelle maestria. J’ai donc inventé ce « serial killer » raté, un loser maladroit qui est une parodie du criminel parfait qu’on peut rencontrer dans tous les bons romans policers.
MFI: Votre héros évolue dans un environnement africain dégradé, marqué par la misère, la prostitution, le délabrement social et spirituel. Comment les crimes qu’ils méditent et que d’autres plus futés que lui mettent en oeuvre participent de cette dégradation généralisée ?
A. M : Les médias racontent à longueur de journées comment l’Afrique est minée par les guerres civiles et les guerres ethniques. En écrivant ce roman sur des serial killer, je voulais attirer l’attention sur la criminalité grandissante qui fausse de l’intérieur le jeu social dans les pays africains. Pour le constater, il suffit de se promener dans les rues des villes comme Abidjan où on retrouve fréquemment des cadavres criblés de balles. Cette violence est aujourd’hui omniprésente en Afrique et elle représente une menace aussi grave que les guerres pour les sociétés africaines.
MFI: Mais ce constat sérieux est traité avec beaucoup de désinvolture, d’ironie. Cela donne un roman ludique, déjanté, décalé...
A. M : Avant j’étais un écrivain studieux, sérieux. Depuis, j’ai mûri. Mes lectures de la littérature populaire américaine que j’ai découverte il y a deux ans en venant m’installer aux Etats-Unis, m’ont fait comprendre que l’on peut dire des choses très graves tout en faisant rire. J’ai essayé dans ce nouveau roman de traiter mon sujet avec dérision, avec désinvolture. L’écriture s’en ressent: elle est plus légère, plus rapide, plus cocasse. Du moins je l’espère. J’espère surtout que mes lecteurs vont rire en lisant ce livre, autant que j’ai ri en l’écrivant.
(Propos recueillis par Tirthankar Chanda)
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