|
|
28/11/2003
|
Histoire : Quand l'Afrique fut découverte
|
(MFI) Un recueil de textes qui permet de plonger dans les premiers écrits des voyageurs et chroniqueurs sur l'Afrique : le livre de Catherine Coquery-Vidrovitch est indispensable à qui veut juger du « regard » porté au fil de l’histoire sur un continent resté, jusqu'au XIXe siècle, largement méconnu (1).
|
« Les Troglodytes creusent des cavernes, ce sont leurs maisons ; la chair des serpents leur sert de nourriture ; ils ont un grincement, point de voix… on rapporte que les Blemmyes sont sans tête et qu’ils ont la bouche et les yeux fixés à la poitrine… les Hymantopodes ont pour pieds des espèces de courroies, avec lesquelles ils avancent en serpentant… » Dans son Histoire naturelle, l’historien latin Pline doit convenir des faibles connaissances colportées en son temps sur l’Afrique. A défaut, il peut se contenter de relater les descriptions fantastiques et les légendes, plus effrayantes les unes que les autres, qui circulent alors. Jusqu’à l’époque de l’expansion arabe, à partir du VIIe siècle, cette ignorance est universelle : les voyageurs ou conquérants antiques n’ont pu que rester aux marges d’un continent rendu impénétrable par ses étendues désertiques et sa chaleur accablante, où prospèrent des bêtes sauvages et des humains dont on ne connaît à peu près rien.
Les Arabes sur les pistes de l’or
Les Arabes auront, bien que progressive et imparfaite, une toute autre approche du continent. Celui-ci est d’abord abordé par sa côte orientale que commerçants et prédicateurs musulmans découvrent dès le VIIe siècle. « Lorsqu’au siècle suivant, note Catherine Coquery-Vidrovitch, les Portugais atteignirent ces rivages, ils devaient découvrir, étonnés, des ports actifs où l’usage était familier de la boussole et du sextant, des cartes et des routes maritimes. » La découverte de l’Afrique de l’ouest par les Arabes est plus tardive. Elle démarre véritablement, au milieu du VIIIe siècle, avec la fondation au Maghreb de Sijilmassa, étape caravanière importante qui ouvre la route du Soudan et de son or. Les témoignages les plus fournis interviendront cependant au XIe siècle, sous le califat almoravide, époque où Al Bakry visite le puissant royaume du Ghana alors à son apogée : « Tenkamenin est maître d’un vaste empire et d’une puissance qui le rend formidable… tous les morceaux d’or natif trouvés dans les mines de l’empire appartiennent au souverain ; mais il abandonne au public la poudre d’or, que tout le monde connaît. Sans cette précaution, l’or deviendrait si abondant qu’il n’aurait presque plus de valeur… le Roi de Ghana peut mettre en campagne 200 000 guerriers dont plus de 40 000 sont armés d’arcs et de flèches… »
La décadence du Ghana permet bientôt l’essor de l’empire du Mali. Mais si les traditions orales du Soudan ont gardé vivace le souvenir de son fondateur, Soundiata, les Arabes auront surtout entendu parler du roi Kankan Moussa et de son fastueux voyage à la Mecque, entouré « de 12 000 jeunes esclaves, revêtus de tuniques de brocart et de soie… il arriva de son pays avec 80 charges de poudre d’or, pesant chacune 3 quintaux » (Ibd Khaldun, Histoire des Berbères). L’éclat et la prospérité de l’Empire du Mali, où l’islam a fait des progrès rapides, sont souvent évoqués, notamment dans la relation par Ibn Battuta de son Voyage au Soudan (14e siècle). Les derniers témoignages de valeur rapportés sur l’Afrique le sont, au XVIe siècle, par Léon l’Africain. Mais déjà la période faste de l’islam en Occident est révolue et ces connaissances seront pour longtemps oubliées. Une nouvelle découverte d’Afrique se prépare, cette fois par les navigateurs portugais, qui n’auront à nouveau qu’une perception des rivages du continent noir.
La progression des Portugais le long des côtes d’Afrique de l’ouest est lente : ils atteignent en 1445 l’embouchure du Fleuve Sénégal, touchent en 1460 la côte de Sierra Leone, observent des populations noires qu’ils jugent pauvres et affligées de mœurs bizarres. Leur intérêt s’accroît lorsqu’ils commencent à échanger de l’or, venu de contrées encore inconnues par le truchement d’intermédiaires. Et puis première surprise de taille, lorsque les Portugais accèdent au royaume yoruba de Bénin (dans l’actuel Nigeria) qui connaît son apogée entre le 14e et le 18e siècle : la ville de Grand Bénin « est fermée d’un côté d’une muraille de dix pieds de haut faite d’une double palissade d’arbres… il y a plusieurs portes qui ont huit ou neuf pieds de hauteur et cinq de large… le palais du Roi est un assemblage de bâtiments comportant plusieurs appartements pour les ministres et de belles galeries soutenues par des piliers de bois enchâssés dans du cuivre… la ville est composée de trente rues fort droites et de vingt-six pieds de largeur… c’est un roi puissant que le roi de Bénin, il peut mettre en un jour 20 000 soldats sur pied et lever en peu de temps une armée de 80 et de 100 000 hommes. » (O. Dapper, Description de l’Afrique).
Navigateurs et commerçants sur le pourtour de l’Afrique
L'un des épisodes mémorables de la rencontre entre Portugais et Africains reste, au XVe siècle, l'arrivée dans le royaume de Kongo et la rapide conversion de son souverain, sous le nom de Jean 1er, au catholicisme. On a abondamment décrit les péripéties de cette conversion et l'accueil exceptionnel fait aux missionnaires portugais, dès lors installés à demeure. Sous le Roi Alfonso 1er, le royaume chrétien prospère. On veut alors extirper le paganisme : « en somme ils choisissaient comme dieux des couleuvres, des serpents, des animaux, des oiseaux, des herbes, des arbres, diverses figures de bois et de pierre et des portraits représentant les êtres ci-dessus énumérés, soit peints, soit sculptés… et non seulement ils adoraient les animaux vivants mais aussi les empaillés… » notent Filipo Pigafetta et Duarte Lopes, (Description du royaume de Kongo). Les mêmes observateurs donnent une description du royaume du fameux Prêtre Jean, en fait l’Éthiopie : « l’empire de ce roi chrétien doit compter approximativement 4 000 milles de tour. La ville principale où il réside le plus souvent et où se tient la cour s’appelle Belmalechi et domine de multiples provinces qui ont chacune un roi ; l’État est riche, bien pourvu d’or, de pierres précieuses et de toutes sortes de métaux… »
A la fin du XVIe siècle, l’influence portugaise décline, les autres nations européennes déboulent en Afrique occidentale pour commercer, en s’appuyant sur la création de grandes compagnies à charte. On s’organise pour l’exploitation, on approfondit quelque peu la découverte de terres qui fournissent désormais de plus en plus d’esclaves. « Les Aradas sont les meilleurs esclaves que l’on traite au royaume de Juda (Ouidah, au Bénin) et d’Ardres. Ils sont amenés d’un pays qui est au Nord-Est, environ à cent ou cent cinquante lieues. Ils sont bonnes gens, dociles, fidèles, adonnés au labourage, affectionnés à leurs maîtres. » Les Nègres mallais « viennent de fort loin, il y en a qui ont été trois mois entiers en chemin… ces Nègres sont forts, accoutumés au travail et aux plus grandes fatigues. » (P. Labat, Voyage du chevalier des Marchais en Guinée).
Les connaissances au XVIIe et XVIIIe siècle restent pourtant fragmentaires, liées à l’avancée du commerce européen qui ne pénètre guère encore à l’intérieur du continent. On fréquente surtout les petits royaumes côtiers, souvent constitués à partir du trafic d’esclaves, de marchandises ou de produits comme la gomme. On visite les Royaumes d’Oyo et du Dahomey qui ont supplanté le royaume de Bénin (Nigeria et Bénin). Leur puissance, qui frappe les observateurs, vient désormais de la traite et de relations commerciales intenses qui permettent d’importer, notamment, des armes.
Le livre de Catherine Coquery-Vidrovitch s’interrompt avec le 18e siècle, qui inaugure progressivement une nouvelle phase, avec des explorations beaucoup plus systématiques (époque des grandes circumnavigations et des premières explorations terrestres) : ainsi, en 1795 a lieu la fameuse équipée de Mungo Park, citoyen britannique qui atteint le Fleuve Niger, prélude à la grande redécouverte du Soudan. Ces explorations coïncident avec les débuts de la mobilisation antiesclavagiste en Europe (création en 1787, en Angleterre, du Comité pour l’abolition de la Traite). Elles sont différentes de nature, puisqu’aux marins et missionnaires européens succèdent désormais les découvreurs, qui dans l’esprit des Lumières se montrent davantage soucieux de connaître et d’étudier les peuples africains. Mais elles annoncent aussi la colonisation, conçue par des pays européens entrés dans l’ère industrielle, et dont les agents seront militaires ou administrateurs. C’est là bien sûr, une autre histoire, qui modifia rapidement le destin de l’Afrique. Elle qui était restée pendant des siècles pour l’extérieur « terre d’escales et terre d’esclaves ».
Catherine Coquery-Vidrovitch, La découverte de l’Afrique, éditions L’Harmattan (réédition avec préface actualisée, 1ère édition en 1965)
Thierry Perret
Une pionnière de l’histoire africaine
(MFI) La plus célèbre historienne française, spécialiste de l’Afrique, a rencontré le continent de manière presque fortuite. Jeune normalienne qui se destinait à l’histoire médiévale, Catherine Coquery-Vidrovitch se trouve en 1960 en Algérie au moment de rédiger sa thèse d’État. Un premier contact qui l’ouvre à de tout autres champs de recherche, au moment où l’École des hautes études en sciences sociales recrute pour l’histoire africaine. Elle saisit l’occasion, avec sans doute un bel esprit de provocation : car l’Afrique n’est guère alors un sujet « noble » pour les historiens, tandis que les premiers spécialistes de l’époque ne viennent pas du sérail universitaire. Enseignants à la Sorbonne, Hubert Deschamps (auquel succèdera Yves Person) et Raymond Mauny sont tous d’anciens administrateurs de la France d’outre-mer. Si l’on met à part le cas des anthropologues africanistes, « l’histoire de l’Afrique, souligne aujourd’hui Catherine Coquery-Vidrovitch, c’était alors l’histoire de la colonisation ; l’Afrique précoloniale intéressait d’autant moins que les sources écrites étaient faibles ; or les historiens de l’époque ne croyaient qu’aux sources écrites. Les premiers spécialistes à avoir écrit sur le sujet étaient d’ailleurs soit un géographe (Jean Suret-Canale) soit un journaliste (le britannique Basil Davidson). » Et l’on sait que le premier combat des historiens africains a été de dire : il y a des sources orales, et elles constituent un matériau indispensable pour connaître l’histoire africaine.
Après sa thèse d’État, consacrée aux compagnies concessionnaires au Congo-Brazzaville, et une thèse de 3e cycle, sur la mission au Congo de Savorgnan de Brazza, la jeune femme publie son premier livre : c’est la Découverte de l’Afrique, qui propose en 1965 la première compilation de textes des explorateurs et découvreurs de l’Afrique noire, et devient vite un classique. Mais sa véritable spécialisation, ce sera l’histoire contemporaine, là encore à rebours des tendances puisqu’au lendemain des indépendances africaines les historiens se concentrent désormais sur l’histoire ancienne, au détriment des siècles récents. Le nom de Coquery-Vidrovitch est donc surtout attaché à deux thèmes sur lesquels elle a fait, là encore, œuvre de pionnière : l’histoire des villes, où il s’agissait notamment de démontrer qu’il y avait une réalité urbaine africaine préexistant à la colonisation, et d’examiner les conséquences de ce phénomène majeur de l’urbanisation pour les sociétés modernes (Histoire des villes d'Afrique noire, Albin Michel 1993). Et l’histoire des femmes africaines, véritable zone d’ombre de l’historiographie francophone qui accusait, sur ce point, un grand retard sur les Anglo-Saxons. Son livre sur l’Histoire des femmes d'Afrique (Editions Desjonsquères 1994) a consacré Catherine Coquery-Vidrovitch grande spécialiste française de la question. Elle a publié par ailleurs une Histoire de l’Afrique et des Africains au XIXe siècle (Colin, 1999), continue à produire nombre d’articles et d’études, et a contribué dernièrement à la rédaction du Livre noir de la colonisation (Robert Laffont 2003). Elle prépare enfin un livre sur les enfants métis des guerres, à la lumière des cas français et allemand.
T. P.
|
|
|
|