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05/12/2003
Sembene Ousmane en cinq films

(MFI) La Médiathèque des trois mondes vient de rassembler en un seul coffret cinq longs métrages du « Doyen » des cinéastes africains, plus un DVD de bonus. L’occasion de faire le point sur vingt années de la carrière de l’auteur de Ceddo et de Camp de Thiaroye.

Cet éclair dans son œil, la rocaille de sa voix, plus accusée qu’à l’ordinaire : Sembene Ousmane est en colère. La scène se passe à la fin du documentaire de cinquante minutes, principal bonus de ce coffret qui, en cinq films, couvre vingt années de travail (de 1968 à 1888) de celui que tous nomment désormais « le Doyen ». Face au doyen, donc, un jeune journaliste de la télévision burkinabè. C’est lui qui a touché le nerf sensible en parlant de ce vieux projet cher au cœur du cinéaste sénégalais : une vaste épopée historique sur Samory Touré, mythique chef de guerre malien qui, à la fin du XIXe siècle, leva une armée contre l’occupant français. Projet écrit en 1982 et toujours dans les limbes, faute de financement. C’est évidemment de la douleur du cinéaste africain qu’il s’agit, toujours en butte au manque de moyens, de techniciens, de réseaux de production, de distribution, de salles de cinéma… Cette douleur, Sembene ne la nie pas, il prend simplement ses distances, parce que plus que tout autre, il reste un cinéaste de l’ici et maintenant, le cinéma pour lui n’ayant jamais été que la continuation de la lutte (militante, politique, citoyenne) par d’autres moyens. Voilà donc que la réponse fuse, cinglante : « Etes-vous déjà passé devant un hôpital africain ? Avez-vous parlé à un médecin qui ne peut pas sauver un homme faute de médicaments ? Qu’est-ce que ma souffrance de cinéaste face à celle de cet homme ? »
C’est là sans doute qu’il faut chercher l’intérêt de ce bonus. Soit, répondre à tous ceux qui depuis des années notent que son cinéma, depuis les années 80, semble accuser une perte de régime, obéissant à une nouvelle logique, moins soucieuse des formes, au point de faire de son dernier opus (Faat Kiné) la pure et simple mise en images d’un scénario comme toujours lesté d’une bonne charge dénonciatrice.


Le Dakar des pauvres

Faire du cinéma « une école du soir » ? Amener chaque film à devenir un vecteur, l’instrument permettant à ceux qu’il appelle « son Peuple » de reconquérir leur dignité, autant dire leur regard ? De fait, c’est sans doute à l’aune de cette proposition qu’il faut aujourd’hui revisiter l’œuvre de Sembene Ousmane. C’est ainsi qu’il faut revoir son premier long métrage, le magnifique La Noire de… On se souvient de l’histoire de cette jeune bonne sénégalaise qui, pour échapper aux brimades de ses patrons, un couple d’expatriés niçois, finit par se suicider. L’une des dernières scènes du film montre le périple de son patron, obligé, pour rapporter les maigres effets de la jeune femme, de traverser ce Dakar des pauvres où il n’a d’évidence jamais mis les pieds. Que Sembene Ousmane y trouve l’occasion de faire acte de figuration (il joue un jeune Sénégalais qui couve d’un œil aussi hostile que goguenard le périple du « Blanc ») a moins à voir avec un quelconque effet de signature qu’avec une certaine position morale et esthétique.
Sans doute n’y a-t-il pas de films politiques, juste une certaine façon de faire politiquement des films. Cette conception du cinéma, où le film ne serait plus que le maillon central d’un discours qui le dépasse largement, Sembene n’aura eu de cesse de la mettre en acte. Grâce à une certaine idée du panafricanisme, appliquée à ses tournages où se mêlent comédiens maliens, sénégalais, ivoiriens, techniciens, français, marocains et tunisiens. L’ambition à l’œuvre ici est, à l’évidence, de faire du tournage le prolongement direct de ses convictions, schéma dans lequel le film serait plus un moyen qu’un objectif. Une scène du documentaire le montre en grande (et âpre) discussion, tentant de convaincre trois comédiens maliens du bien-fondé de sa croisade anti-excision. C’est ainsi que, sans relâche, Sembene Ousmane pose les bases autant que le modèle d’un certain cinéma militant, qui garde intacte sa croyance dans la puissance interventionniste des films, leur capacité à changer le monde. Le paradoxe veut qu’aujourd’hui il soit le seul à l’incarner en Afrique. Il y a aussi du panache à être le dernier des Mohicans.


La collection Sembene Ousmane : Le mandat, Emitaï, Xala, Ceddo, Camp de Thiaroye et un DVD complément (2003).
Toutes zones, La Médiathèque des Trois Mondes, 6 DVD.

Elisabeth Lequeret

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