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19/12/2003
Chroniques de l’amour au temps du béton

(MFI) Après le très beau La faute à Voltaire, le Tunisien Abdel Kechiche livre son deuxième long métrage, L’esquive. Un chassé-croisé amoureux dans une cité HLM de la banlieue parisienne, porté par de jeunes acteurs à l’incandescente intensité.

C’est un théâtre, ses piliers sont de béton. Dans ses coulisses, des blocs de HLM font planer leur massive laideur, sur ses tréteaux toute une humanité s’active et s’invective. Ces acteurs qui vont et viennent, s’agitent en tous sens, se nomment Lydia, Krimo, Frida, Magalie, Nanou, ils viennent du Sénégal ou du Vietnam, du Maghreb comme Krimo, ou tout simplement de France, comme Lydia, ils viennent surtout de cette banlieue où ils sont nés et dont ils partagent la langue, les gestes, les règles implicites.
Krimo a 15 ans, il sort avec Magalie, mais entre ces deux là, rien ne va plus. C’est que Krimo, depuis quelques temps est ailleurs, ce n’est plus vers la brune Magalie que ses regards se tournent, plutôt du côté d’autres filles, surtout de la blonde Lydia, petite Marilyn de banlieue à la verve inépuisable. Mais Lydia ne pense, ne rêve, ne vit que pour une autre scène, celle du théâtre, de cette pièce de Marivaux qu’elle répète sans relâche au collège depuis des semaines. Les jeux de l’amour et du hasard ? S’il n’est question que de l’amour et de ses jeux dans L’esquive, c’est au sens strict qu’il faut l’entendre, parce que l’amour est un jeu, et qu’il n’y a pas de jeu sans règles.
C’est la première beauté du film de Kechiche que de les mettre peu à peu à nu, par la grâce de très jeunes acteurs qui insufflent au film leur énergie, se heurtent, s’éloignent et se retrouvent, s’attirent ou se (re)jettent. Electrons pas si libres, irrésistiblement aimantés par la loi du groupe, dont Abdel Kechiche capture l’énergie en une série de gros plans à l’intensité rageuse. Il faut être un vrai cinéaste doublé d’un grand directeur d’acteurs pour capter sans s’appesantir cette façon d’être dans le groupe et d’être radicalement unique : l’invisible moue de Frida lorsqu’elle regarde sa copine Lydia surjouer la fausse « comtesse » ou les mimiques de tortue affolée de Krimo quand, obligé de jouer l’amoureux Arlequin, il reste tétanisé, tête entre les épaules, sous les regards goguenards de la classe et celui, catastrophé et furibard, de Lydia.
Krimo est amoureux de Lydia et Lydia du théâtre, la résultante de l’équation pourrait être comique, comme est haute en couleurs la foule qui les entoure, les bonnes copines qui questionnent Lydia, et Magalie, l’amoureuse éconduite, et Fathi, le meilleur pote de Krimo, toute une galerie de seconds rôles qui gravite autour d’eux, les observe et compte les points comme un chœur grec. Et justement, le film bascule peu à peu dans le registre de la tragédie, une tragédie sans mort ni drame : c’est le cœur de l’amour qui est ici mis à vif, avec une infinie gravité. C’est la dernière élégance, et non la moindre du film : montrer que la dureté à l’œuvre sous le petit théâtre hystérico-folklorique de la banlieue tel qu’on l’a vu si souvent au cinéma et plus encore à la télévision, ne relève pas (que) des tournantes et du deal.


Sortie française le 7 janvier 2004.

Elisabeth Lequeret

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