|
|
09/01/2004
|
Les soleils de Kourouma
|
(MFI) Ahmadou Kourouma s'est éteint le 11 décembre. En quatre romans, ce fils de chasseur venu accidentellement à la littérature a remodelé le paysage de la fiction africaine francophone. Le critique littéraire Bernard Magnier raconte ici la genèse et la fortune de cette oeuvre hors du commun.
|
« Il y avait une semaine qu’avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n’avait pas soutenu un petit rhume... Comme tout Malinké, quand la vie s’échappa de ses restes, son ombre se releva, graillonna, s’habilla et partit pour le lointain pays malinké natal pour y faire éclater la funeste nouvelle... » En 1968, cette phrase, la première du roman Les Soleils des indépendances, fit l’effet d’une bombe dans l’univers très classique des littératures africaines. Ahmadou Kourouma avait osé briser le dogme jusque là très respecté par ses pairs. Il avait osé immiscer dans la langue française des greffons issus de sa langue, le malinké. Pionnier, son roman allait connaître, dans l’histoire des littératures du continent, un sort que l’on a pu comparer à celui de Cent ans de solitude du Colombien Garcia Marquez pour les littératures latino-américaines.
Le propos du roman était à l’avenant de son écriture. Les Soleils des indépendances (1) est, en effet, l’un des premiers romans africains à remettre en question l’euphorie qui suivit la mise en place des nouveaux pouvoirs et à interroger les lendemains des indépendances, à travers les propos de son héros, Fama : « Mais alors qu’apportèrent les indépendances ? Rien si ce n’est la carte d’identité et celle du parti unique ! ». Constat amer dressé par un prince déchu, époux sans enfant, livrant à tous son désenchantement et ses désillusions.
Ce livre majeur, souvent considéré comme une référence pour bon nombre d’écrivains, avait pourtant connu une destinée éditoriale étrange. Il fut, en effet, publié pour la première fois, à la suite d’un concours par les Presses universitaires du Québec avant d’être vendu (pour un franc symbolique !) aux Editions du Seuil qui allaient devenir l’éditeur exclusif de l’ensemble de son œuvre romanesque. Malgré l’accueil favorable réservé à son roman, reconnu sans être toutefois salué à sa mesure, Ahmadou Kourouma allait, durant plus de vingt ans, demeurer l’homme d’un seul titre et ce n’est qu’en 1990 qu’il allait proposer un nouveau titre : Monné, outrages et défis.
Ce second roman offrait un regard sur la période coloniale, ses incompréhensions et ses malentendus, ses dérives et ses excès, à travers la destinée de Djigui, un roi qui, après avoir résisté aux « Nazaréens de Faidherbe » acceptera l’outrage, le « monné » et deviendra l’infortuné complice de la colonisation, jusqu’à ce que, bientôt centenaire, il conduise, à la demande pressante de son fils, une ultime et vaine rébellion...
Reconnaissance et succès populaire
Déjà célébré et enseigné sur tout le continent africain, le romancier ivoirien allait connaître, en 1998, un tournant dans sa carrière. Avec son troisième roman, En attendant le vote des bêtes sauvages, il obtenait le prix du livre Inter, un prix littéraire très médiatisé et, dès lors, la reconnaissance critique et le succès populaire n’allaient plus le quitter, ponctués en 2000 par le Prix Renaudot pour Allah n’est pas obligé.
Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, il entreprenait de peindre une extraordinaire (et tragique !) galerie de portraits de potentats et despotes de divers acabits. Sans jamais nommer ses cibles authentiques mais en faisant en sorte que ceux-ci soient aisément identifiables, Ahmadou Kourouma y dénonçait les turpitudes et les dérives meurtrières, en recourant à l’humour caustique pour mieux dire la félonie de ceux qu’il avait décidé de stigmatiser.
Avec Allah n’est pas obligé Kourouma choisit pour « héros » un enfant-soldat emporté dans les blessures et tourmentes des conflits au Libéria et en Sierra Leone. Au terme de sa descente aux enfers, Birahima raconte sa guerre, « avec les mots savants français de français, toubab, colon, colonialiste et raciste, les gros mots d’africain noir, nègre, sauvage, et les mots de nègre de salopard de pidgin », ses pauvres mots empruntés parfois aux dictionnaires qui l’accompagnent...
Aux côtés de ces maîtres-livres que sont ses romans, Ahmadou Kourouma avait aussi tenté quelques expériences théâtrales dont l’une d’entre elles lui valut les foudres des autorités ivoiriennes. Il est vrai que le titre, Le Diseur de vérité avait tout pour déplaire. Plus tard, le succès venu, des adaptations de ses romans ont vu le jour, parmi lesquelles il convient de signaler celle de son compatriote Koffi Kwahulé qui, sous le titre Fama, avait choisi d’adapter Les Soleils des indépendances. Plus récemment, Kourouma, pour sa part, avait répondu à diverses sollicitations que lui valaient sa notoriété, en écrivant quelques textes d’albums didactiques destinés aux jeunes lecteurs : Yacouba le chasseur africain (3), Le Chasseur, héros africain et Le Griot homme de paroles (4).
Il y a quelques semaines qu’a fini Ahmadou Kourouma, « de race malinké »... et nous ne le dirons pas en malinké mais il laisse derrière lui « son ombre » imposante, car, au-delà de la « funeste nouvelle », son œuvre demeure et d’ores et déjà fait date.
(1) Editions du Seuil (2) Acoria (3) Gallimard-Jeunesse (4) Grandir.
|
Bernard Magnier
|
|
|