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16/01/2004
Sur les traces de Yasmina Khadra

(MFI)Yasmina Khadra est sans doute l’un des plus beaux exemples de ce que peut produire la schizophrénie algérienne. Officier supérieur dans l’armée et écrivain, homme publiant sous un pseudonyme féminin : les contradictions du personnage sont multiples. Cette personnalité complexe donne, roman après roman, naissance à une œuvre originale et riche, comme en témoigne son dernier roman Cousine K.

Yasmina Khadra est toujours là où on ne l’attend pas. Depuis 1997, date de la publication de son premier roman policier Morituri, on l’a vu se glisser dans la peau d’un flic, son célèbre commissaire Brahim Llob, puis tuer ce dernier, et se lancer dans le roman à clé. On l’a retrouvé en Afghanistan avec Les Hirondelles de Kaboul où il décrivait les affres d’un pays en déshérence, il s’aventure aujourd’hui dans le roman psychologique pour mieux brouiller les pistes.
Né en 1955 à Oran, Mohamed Moulessehoul (il a révélé sa véritable identité en janvier 2001, lors de la publication de son roman L’Ecrivain), a d’abord fréquenté l’école des cadets d’El Mechouar. Son père, lui-même officier, nourrit alors de grandes espérances pour ce fils choyé. L’enfant devra pourtant faire face jusqu’à l’âge d’homme à une double violence. Celle de l’armée d’abord, dont il décrit la dureté, les brimades et les vexations dans l’Ecrivain. Celle que lui infligera son père ensuite en répudiant sa mère, laquelle devra, seule avec sept enfants, faire face à un quotidien traumatisant. Pour le jeune cadet, promu malgré lui au rang de chef de famille, plus question de se dérober, l’armée seule peut lui offrir une perspective de survie et la possibilité de nourrir les siens. Malgré tout, le démon de l’écriture ne cesse de le tarauder. Il s’intéresse d’abord à ceux qu’il croise dans les rues, les humbles, les clochards, les paumés pour lesquels il écrit quelques romans et nouvelles. Mais l’armée n’est guère accueillante pour les hommes de lettres. Et lorsque le besoin d’écrire se fait plus exigeant encore, le commandant Moulessehoul n’a d’autre choix que de prendre un pseudonyme pour échapper aux incontournables comités de lecture militaires. Son épouse, qui porte trois prénoms, lui en offre deux : Yasmina Khadra est née.


Quatre ans de mystère

Ses trois premiers polars connaissent un certain succès à Alger mais suscitent surtout l’adhésion des lecteurs européens. En France, mais aussi en Allemagne et dans la dizaine de pays où ils sont traduits, ses livres sont très bien accueillis et le mystère qui entoure l’auteur et sa fonction ne fait qu’ajouter à l’intérêt que le public lui porte.
Yasmina Khadra souhaite pourtant se faire connaître de ses lecteurs et finit par révéler sa véritable identité en janvier 2001. On en sait désormais un peu plus sur l’homme. Une fois révélée son identité, il s’installe en France, puis au Mexique et fait des va et vient entre les deux pays. Affirmant connaître le système de l’intérieur, il réfute les accusations portées contre l’armée algérienne. Les disparus, les massacres organisés, les villages entiers laissés aux mains des groupes armés ? L’officier réfute une à une les rumeurs. On l’imaginait transfuge bruyant, il se montre étonnamment discret sur ce qui se passe au sein de la grande muette. Plus prolixe quand il s’agit de parler de lui même que de son corps d’origine. Peut-être l’écrivain souhaite-t-il désormais se consacrer à son art, et dans ce cas, on ne saurait lui donner tort. Car Yasmina Khadra, auteur prolifique, dispense généreusement son talent. Phrases ciselées, analyses psychologiques fines : l’homme est orfèvre en écriture et se venge de longues années de frustration en gratifiant une à deux fois l’an ses lecteurs d’un roman de qualité.


Etude psychologique

Pour sa dernière livraison, Khadra aborde avec brio l’analyse psychologique. L’auteur qui se proclamait il y a quelques années « à l’aise dans tous les genres » a prouvé qu’il était capable de passer du polar à l’autobiographie. Avec Cousine K, il affirme son talent pour l’étude de caractère. Le narrateur, un garçon timide et mal aimé de sa mère, laquelle n’a d’yeux que pour son frère aîné, se prend d’amour pour une ravissante cousine qui ne lui offre en échange que mépris et sarcasmes. Pis, la perfide profite de ses séjours chez lui pour lui dérober le peu d’estime que sa mère lui porte encore. « K était méchante et égoïste, fielleuse et rancunière. (…) Le pot au miel dérobé, c’était elle. Le gros mot proféré dans l’étable, c’était encore elle. Pourtant inévitablement, machinalement, c’était vers moi que l’on se retournait. »
Des années durant, le narrateur confit d’admiration pour la gamine tentera d’obtenir ses bonnes grâces, en vain. Au mieux, Cousine K tourne en dérision sa maladresse et ses sentiments, au pire elle les ignore. Mais le sentiment de ne pas exister aux yeux des autres et surtout aux yeux de K finira par devenir insupportable au point de susciter chez le héros une révolte qui le transformera en bourreau. Personnage misérable à la vie brisée, il s’interroge « Qui était-elle, un ange, un démon, les deux à la fois ? » avant de conclure « C’est mon histoire. Je lui donne la morale que je veux. »
Mais peut-il encore s’agir de morale quand un être atteint de tels paroxysmes de souffrance ? Magnifique récit sur la douleur et la folie, Cousine K incite aussi à la réflexion sur les réactions de ceux, individus ou peuples, qui subissent trop longtemps l’oppression. Yasmina Khadra, élevé dans le carcan de l’armée algérienne, en sait sans doute long sur le sujet.

Geneviève Fidani


Cousine K, Yasmina Khadra. Editions Julliard, 106 pages, 14 euros.



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