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30/01/2004
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
La lucidité ironique et sensuelle de Nadine Gordimer


(MFI) Octogénaire depuis quelques mois, Nadine Gordimer continue de scruter avec talent l’amour, la mort et le sol glissant de nos convenances sociales.

Prix Nobel de littérature, la Sud-Africaine Nadine Gordimer est revenue avec Pillage – son nouveau livre qui paraît ces jours-ci en français – à ses premières amours: la nouvelle. Genre dans lequel elle excelle et dont elle a su faire l’outil d’expression privilégiée de sa lucidité ironique, comme en témoignent les (plus de) 200 nouvelles qu’elle a publiées depuis le début de sa carrière littéraire dans les années 40. Son nouveau recueil en compte dix. Elles sont de longueurs inégales. Certaines font à peine cinq pages, d’autres, longues d’une centaine de pages, sont de véritables novellas ou de petits romans. Elles sont aussi de qualités inégales, certaines particulièrement percutantes et intenses alors que d’autres, à l’instar de la nouvelle-titre teintée d’un moralisme didactique et obscur, nous touchent moins.
Nadine Gordimer atteint la perfection ou presque quand elle raconte la difficile relation amoureuse entre deux êtres issus de communautés ou de générations différentes, la difficulté à se comprendre au-delà des barrières d’ethnies, de traditions, de coutumes. Ce thème, on se souvient, a nourri quelques-uns de ses plus beaux romans. Il est aussi un peu le fil d’Ariane de ce recueil où les déceptions de l’amour occupent une large place. Il est traité sur un mode ironique et amusé dans la deuxième nouvelle du recueil intitulée « Lettre de mission ». Sa protagoniste anglaise Roberta Blayne travaille pour une agence d’aide internationale et se retrouve en poste dans un pays d’Afrique. Femme entre deux âges, divorcée, celle-ci croyait en avoir fini avec l’amour, mais s’éprend à son corps défendant d’un haut fonctionnaire africain dont elle devient la maîtresse. Or Gladwell est marié, père de grands enfants. Cela, bien entendu, ne les empêche pas de vivre leur amour au grand jour. Comme le rappelle le narrateur, « il y a nombreux chemins de traverse reconnus sur la carte secrète du mariage ». Malheureusement, le chemin de traverse se révèle être en l’occurrence, un « cul-de-sac » car Roberta ne peut rester éternellement en poste dans ce pays et, Gladwell ne peut divorcer de sa première femme, tradition oblige. Pour la retenir, il lui propose de devenir … sa seconde épouse! Roberta est profondément choquée. Elle a l’impression d’entrer dans une sorte de harem, alors qu’être la maîtresse d’un homme marié ne lui posait pas de cas de conscience particulier. Tout l’art de Nadine Gordimer consiste à suggérer en quelques mots ces contradictions, ces hypocrisies sociales, mais aussi le fossé qui se creuse brutalement entre les amants désormais séparés par leurs traditions respectives.
Dans les récits de Gordimer, la tradition n’est pas la seule raison qui sépare les amants. Il y a aussi le fossé des générations qui donne d’ailleurs le titre à la troisième nouvelle de ce recueil. Un père de famille sexagénaire abandonne après quarante-deux ans de mariage le foyer conjugal pour l’amour d’une jeune violoniste rencontrée lors d’un voyage d’affaires. Il sera abandonné à son tour quand celle-ci part à l’étranger et refait sa vie avec un nouvel amant. Dans les dernières lignes de la nouvelle le tragique se mêle au sensuel lorsque Gordimer nous fait pénétrer avec maestria dans les pensées intimes de l’amant délaissé remémorant la plénitude physique et psychique qu’il a connue et ne connaîtra sans doute plus. « Dans le miroir de la salle de bains, son corps tandis qu’elle se sèche après l’amour dans la baignoire, se passant la serviette entre ses jambes écartées et puis derrière son cou, tout comme quand elle se penchait magnifiquement sur son violon, la vapeur faisait dégouliner ses cheveux sur son front . Un miroir plein d’elle. Moi, un vieil amant, elle savait si bien m’aimer, si bien, son vieil amant de soixante-sept ans. Quelle alternative. »
Cette alternative, c’est la solitude et la mort. Deux autres thèmes qui dominent cette collection que l’auteur a dédiée à son mari, décédé il y a deux ans.

Pillage, par Nadine Gordimer. Traduit de l’anglais par George Lory. Ed. Grasset, Paris. 297 p., 19,97 euros.

Tirthankar Chanda


L’œuvre multiple d’Amadou Hampate Bâ

(MFI) Mystique musulman, auteur de contes initiatiques, romancier réaliste, le grand écrivain malien Hampate Bâ a été aussi diplomate. L’ouvrage collectif sobrement intitulé Amadou Hampaté Bâ que vient de publier la revue Interculturel Francophonies rend parfaitement compte de la diversité de l’une des œuvres les plus remarquables de la littérature africaine francophone.
Dans l’introduction, Jean-François Durand, qui a coordonné l’ouvrage, rappelle que c’est le maître spirituel de l’écrivain, le tidjane Tierno Bokar, « le sage de Bandiagara » qui décida sa mère de l’envoyer à l’école des blancs. Suivent une vingtaine d’articles, signés d’universitaires spécialistes de la littérature africaine, dont Romuald Fonkoua, Jacques Chevrier, Madeleine Borgomano, Xavier Garnier, Robert Jouanny et Olympe Bhêly-Quenum.
Les deux contes initiatiques, Kaïdara (c’est le Dieu de l’or), et Koumen (qui explicite les douze étapes de l’initiation chez les Peuls), sont imprégnés d’une morale sans ambiguïté, où le bien triomphe du mal. L’enseignement religieux de Tierno Bokar, dont Hampaté Bâ est devenu l’adepte, est une leçon de tolérance entre les trois grandes religions monothéistes, la musulmane, la chrétienne et la juive. Pour le maître, il n’y a en fait qu’un seul Dieu, révéré sous des noms différents dans les trois cultes. Hampaté Bâ n’est pas pour autant qu’un austère prédicateur. C’est aussi, et presque surtout un grand romancier plein d’humour, comme l’atteste son œuvre la plus connue L’étrange destin de Wangrin. Un roman picaresque sur les roueries d’un interprète africain, qui fera fortune à force de tromperies, mais finira mal. La morale est sauve, mais l’on ne peut s’empêcher d’admirer l’astuce du héros.

Amadou Hampâté Bâ, Interculturel Francophonies, No 3, juin-juillet 1903. Limoges, 344 p., 14 euros.

Claude Wauthier


Quand une Sénégauloise se demande « qui suis-je ? »

(MFI) « Je suis un tube, je suis un succès. Voici ma « face B ». Quelques mots suffisent à Yama Sanchez, dans la préface de son court recueil de textes, pour en dévoiler l’objet : que se passe-t-il dans la tête d’une femme de 35 ans, mariée et mère de deux enfants, appréciée de ses connaissances pour son entrain, sa joie de vivre digne d’un tube d’été ? Quel peut être l’envers d’une personnalité sinon épanouie, du moins joviale, sa « face B » plus intime ?
Depuis toujours, Yama Sanchez écrit. Née au Sénégal, arrivée adolescente en France, elle travaille aujourd’hui six mois par an – un choix délibéré – et écrit « par pulsion ». « Ça trotte dans ma tête, explique-t-elle, et vient un moment où je dois écrire. Je peux me relever en pleine nuit pour me mettre devant mon ordinateur… » Elle ne pensait pas que ses textes - à mi-chemin entre journal intime et poésie libre - intéresseraient au-delà d’un cercle privé. Mais une petite annonce recherchant « de nouvelles plumes » la met en contact avec une maison d’édition, publiant habituellement à compte d’auteur. Yama n’a pas d’argent à investir. Le livre paraît quand même.
Nostalgie de l’enfance, douleur de l’exil, blessure de l’origine – l’identité du père gardée secrète par la mère –, les thèmes abordés restent classiques, mais Yama Sanchez réussit à les renouveler par une variété de formes et une liberté de ton qui ne cache rien des paradoxes qui la traversent. Cru, impudique ? Peut-être. Mais en même temps, l’auteure dévoile les fines fissures au bord desquelles chacun d’entre nous, en un équilibre incertain, marche d’un pas pourtant assuré. Va-et-vient entre la norme et la singularité – la fillette fière de se faire exciser « pour enfin être comme mes copines » est aussi celle qui refuse la mort parce qu’elle a toujours « détesté faire comme tout le monde » –, va-et-vient entre les « 80 % de ma personne nourris au lait MLF » et les 20 % restant, « petite partie trouble-fête », va-et-vient entre le désir d’amour et la conviction de « n’être personne », qui interdit tout sentiment… Les mots de Yama Sanchez portent l’extrême violence de la quête de soi et leur encre tache nos mains. Sans qu’on veuille, pour autant, se les laver.

Face B, par Yama Sanchez. Ed. Thélès, Paris, 60 p., 10 euros.

Ariane Poissonnier


Algérie : des fleurs pour espérer

(MFI) « Anthos », en grec, signifie fleur. L’anthologie que Waciny Laredj propose, sous le titre Paroles d’Algériens, écrire pour résister dans l’Algérie du XXe siècle, tel un bouquet aux couleurs multiples, des textes venant « de temps et d’espaces différents mais [qui] appartiennent à la même terre et reflètent un même cri incessant de liberté », souligne l’universitaire romancier, professeur de littérature moderne à l’Université d’Alger jusqu’en 1994, aujourd’hui à la Sorbonne (Paris).
Les noms les plus connus des lettres algériennes se retrouvent dans ces pages, de Mohamed Dib, Kateb Yacine, Assia Djebbar ou Rachid Mimouni à Abdelkader Alloula, Arezki Mellal, Zineb Laouedj, Habib Ayyoub, Hajar Bali… Sans oublier Jean Sénac, poète né à Tlemcen, qui choisit l’Algérie à l’indépendance et participe à la création du journal el-Moudjahid. Ni Mustapha Fassi, dont les nouvelles mettent en scène l’absurdité à laquelle se heurte au quotidien le citoyen : le fabuleux extrait de L’Homme des deux mondes ici disponible met en scène un homme convoqué au commissariat, qui passe par toutes les affres de l’angoisse générée par l’incertitude du motif de la convocation. Citons encore Tahar Djaout, dont les pages tirées de Les Vigiles suffisent à susciter un frisson de colère et d’angoisse mêlées, ou Saïd Mekbel, dont les quelques lignes de Ce voleur qui… donnent la mesure du talent.
Paroles d’Algériens, hommage à ceux qui disent la résistance à l’oppression et à l’arbitraire – quatre des auteurs cités ont été assassinés – brille d’une lumière particulière, celle de la flamme de l’espoir envers et contre tout. Celle qui dit que demain, d’autres Algériens se lèveront afin que la terre qui les porte donne encore des fleurs.

Paroles d’Algériens, écrire pour résister dans l’Algérie du XXe siècle, (anthologie présentée) par Waciny Laredj. Co-édition Le Serpent à plumes, Arte éditions et l’Institut du monde arabe, Paris, 216 p., 12 euros.

Ariane Poissonnier


Chronique de l’inéluctable

(MFI) Si la vie de Khalil Mansour Khalil paraît simple, dès les premières pages, le lecteur se méfie d’un calme trop apparent. Ancien syndicaliste employé d’une société pharmaceutique d’Etat, jeune époux, futur père, collaborateur apprécié, le héros pourrait rêver d’un avenir radieux mais les ombres de son passé gravitent sans relâche autour de son nouvel univers. Jadis emprisonné pour ses activités syndicales, l’homme reste surveillé par son directeur, surnommé le cheval, sollicité par les syndicats de son entreprise, qui doit être rachetée par un groupe français, et incompris de sa jeune épouse, Amina, qui ne sait à quoi attribuer ses silences. Homme brisé par les années de détention dans les geôles du président Sadate, Khalil Mansour croit s’évader dans une relation avec une jeune américaine qui prépare une thèse sur le syndicalisme en Egypte mais cette relation se révélera être un piège supplémentaire. La nasse se referme lentement mais sûrement sur son prisonnier. Entre roman d’amour, roman policier et satire sociale, La Nasse est un ouvrage émouvant mais aussi captivant qui tient le lecteur en haleine jusqu’au dénouement fatal.
Dans ce deuxième roman, Sherif Hetata fait une chronique de la répression en Egypte dans les années soixante-dix. Lui-même a été arrêté, une première fois à la fin de ses études de médecine, puis en 1951. Condamné à dix ans de servitude pénale, il passera deux ans les fers aux pieds dans une carrière de pierre. Libéré en 1964, il épouse l’écrivain féministe Nawal El Saadawi et s’exile aux Etats-Unis.

La Nasse, par Sherif Hetata. Traduit de l’arabe égyptien par Christine le Bœuf. Ed. Actes Sud, Paris, 460 p., 25 euros.

Geneviève Fidani


Musulmane et juive

(MFI) Alger dans les années 80, « les jours sans » sont rares pour Sara, les jours sans coups et sans injures que lui infligent sa belle-mère Aïcha. Parmi les invectives dont elle l’accable, une revient plus souvent, toujours en français : « juive ! » Et si Aïcha n’est pas tendre non plus pour ses propres filles, Sara ne comprend pas pourquoi elle seule reçoit ce qualificatif qui sonne comme un anathème honteux dont elle ne saisit pas le sens.
Il faudra bien des années, la mort de Sid Ali, son père (dans un de ces nombreux attentats qui rythment le quotidien algérien), puis celle de sa grand-mère Zohra pour que le secret soit enfin révélé : la mère de Sara était juive. Chassée du domicile conjugal du fait des mensonges et des manipulations de Aïcha qui voulait épouser Sid Ali, réfugiée en France chez son frère, elle a écrit pendant des années en suppliant de revoir sa fille. En vain. Comme dans tant de familles, Sid Ali a préféré le silence à la vérité, considérée comme honteuse ou tout simplement dérangeante. Ce n’est que grâce à Lalla Zohra qui a conservé toutes les lettres que Sara peut prendre son destin en main.
L’auteur, Line Meller-Saïd, qui est née à Blida, a rencontré dans l’association caritative où elle travaillait, des femmes musulmanes qui lui ont raconté comment elles s’étaient découvert des origines juives qu’on leur avait toujours cachées. Le récit qu’elle a tiré de ces témoignages reste axé sur le personnage central de Sara qui, à la recherche de sa mère, découvre le judaïsme tout en restant fidèle à l’Islam dans lequel elle a grandi (elle porte d’ailleurs le hijab et non le tchador, comme le laisse entendre le titre). Si le roman, assez linéaire (l’Avant, l’Après, le Renouveau), manque parfois de subtilité, il reste un bon témoignage de la vie algérienne dans cette époque violente et bouleversée, ainsi que du parcours douloureux que connaissent les enfants nés de mariages mixtes, issus de deux religions si proches et pourtant aujourd’hui si ennemies.

La juive au tchador, par Line Meller-Saïd. Ed. Alain Sutton, Saint Cyr-sur-Loire, 127 p., 19 euros.

Catherine Brousse


La mort à Nairobi

(MFI)L’utilisation des enterrements comme arènes politiques, la ré-appropriation du corps du défunt par son clan aux dépens de sa famille, la pratique du port de cercueil lors de marches de protestation contre les violences policières à Nairobi, la gestion collective des funérailles : l’ouvrage d’Hervé Maupeu et Yvan Droz décortique les caractéristiques et les évolutions des pratiques funéraires au Kenya. Par là, il saisit en réalité les transformations de la société kenyane dans son ensemble. Ainsi, les Kikuyus, qui abandonnaient autrefois les cadavres de leurs morts à l’appétit des hyènes, ont pris l’habitude de les enterrer sous l’influence du christianisme. Aujourd’hui, la coutume qu’ils ont gardée de les rapatrier de la ville vers la campagne pour les enterrer sur la terre des ancêtres est à son tour en train d’évoluer peu à peu sous l’effet de l’urbanisation : certains habitants de Nairobi n’ont plus de lien avec leur région d’origine. L’épidémie de sida, qui touche 13 % de la population kenyane, amène, elle aussi, un changement dans les pratiques funéraires traditionnelles : la multiplication des morts empêche de respecter tous les rituels, tout comme elle oblige à limiter les dépenses, d’habitude élevées, des enterrements. L’état des lieux des pratiques funéraires ainsi dressé devrait d’ailleurs permettre de prévoir les conséquences sociologiques, économiques et symboliques de l’augmentation des morts dus au sida. C’est en tous cas avec cet objectif qu’ont travaillé les auteurs, sociologues et politologues, de cet ouvrage.

Les figures de la mort à Nairobi, une capitale sans cimetières, (sous la direction de) Yvan Droz et Hervé Maupeu. L’Harmattan, Paris, 263 p., 22 euros.

Fanny Pigeaud


L’esclavage et ses révoltes

(MFI) En présentant son histoire de l’esclavage de l’antiquité à nos jours, Yves Bénot recense bien entendu les révoltes d’esclaves et leurs héros, de Spartacus à Toussaint Louverture. Cette dernière fut une des rares à réussir en donnant naissance à la première république noire dans l’île de Saint Domingue, rebaptisée plus tard Haïti. L’auteur rappelle que le combat de Toussaint Louverture contre les troupes françaises commandées par le beau-frère de Napoléon Bonaparte avait été précédé en 1757-58 d’une première révolte, sous la direction d’un personnage lui aussi légendaire, Macandal, qui avait entrepris de faire empoisonner tous les blancs par leurs esclaves noirs. Macandal fut capturé et brûlé vif, tandis que Toussaint Louverture, attiré dans un traquenard, mourut en captivité en France dans une sinistre geôle du Jura.
L’auteur évoque un soulèvement moins connu, et pourtant d’envergure, dans l’Irak d’aujourd’hui, au 9e siècle, celui des noirs Zendj, captifs provenant d’Afrique orientale, qui résistèrent pendant dix ans à leurs oppresseurs dans les marais de Bassorah. Il mentionne aussi la surprenante histoire du quilombo de Palmares au Brésil, un royaume d’esclaves marrons qui s’opposa de 1630 à 1694 au colonisateur portugais.
Ce que note Yves Bénot, c’est qu’il a fallu attendre le siècle des lumières et les philosophes français du 17e siècle pour qu’enfin l’esclavage soit catégoriquement récusé. Mais aujourd’hui, souligne l’auteur, l’esclavage n’a pas disparu : les enfants-soldats d’Afrique et les enfants-ouvriers de l’industrie textile dans la péninsule indienne en attestent, d’où le titre de son livre, Modernité de l’esclavage.

La modernité de l’esclavage, par Yves Bénot. Ed. La Découverte, Paris, 293 p., 22 euros.

Claude Wauthier


Un auteur à découvrir
Cendrillon à l’Ile Maurice


(MFI) Depuis longtemps, l’Ile Maurice nous a habitués à de belles surprises littéraires. Malcolm de Chazal, Loys Masson, Édouard Maunick, Marie-Thérèse Humbert appartiennent à ce paysage de haute lignée. Plus récemment, Carl de Souza, Ananda Devi, Barlen Pyamootoo ont assuré une heureuse filiation. En 2003, c’était au tour d’une jeune journaliste, née en 1973 et résidant désormais à Lyon, Nathacha Appanah-Mouriquand, d’apporter sa contribution avec Les Rochers de Poudre d’or (Gallimard), un premier roman d’emblée favorablement accueilli par la critique et immédiatement récompensé par les jurés du prix RFO.

Les Rochers de Poudre d’or plongeait au coeur de l’histoire complexe et douloureuse de l’île Maurice et, en particulier, dans la douloureuse immigration des coolies indiens venus, à la fin du 19e siècle, remplacer la main d’oeuvre africaine dans les plantations de canne à sucre. Dans ce roman âpre et violent, la romancière offrait un tableau de cette déportation en confrontant victimes et bourreaux sans jamais souscrire à un manichéisme complaisant.

Nathacha Appanah-Mouriquand poursuit sa route avec un second roman, Blue Bay Palace (1), un titre de mer et de soleil, qui fait rêver et qui fleure bon une carte postale dont la jeune romancière a choisi d’écrire aussi l’envers. Ainsi, elle nous plonge au coeur de son île natale, de ses cohabitations conflictuelles, de ses métissages inaboutis, de ses hiérarchies sourdes ou revendiquées. Nous sommes, cette fois, dans l’Île Maurice d’aujourd’hui et le roman s’ouvre sur une très belle et très juste évocation de sa naissance, de son histoire et de ses quotidiens immédiats : « Au début, il y a le pays. Un bout de terre à la surface irrégulière, aux contours incertains. Ici la rondeur d’une femme enceinte, là la cambrure d’une jeune fille, plus loin l’aridité d’une vieille. C’est un pays né du crachat brûlant d’un volcan et dont le profil a été dessiné par les tempêtes et le soleil cardinal ».

Dès les premières pages de son livre, la romancière sait évoquer les lieux et les gens, les paysages et les couleurs du temps de ce « pays de fin de monde », de ce « pays in extremis » dans lequel le tourisme de luxe a brutalement fait son entrée, aiguisant les tentations et multipliant les convoitises, pour le bonheur de quelques-uns et la déconvenue de nombreux autres. Puis, vient le cœur de l’intrigue et l’impossible histoire d’amour entre Maya, la petite « malbar » pauvre, et Dave, le riche descendant de brahmane, directeur de l’hôtel où travaillent la jeune fille et son père. Un soir, Maya a rencontré ce prince charmant et la belle histoire a commencé. « Honteuse de la chance qu’elle croyait avoir », Maya s’est offerte et a imaginé son avenir dans les bras et le coeur de celui dont elle était éperdument amoureuse... Trop belle histoire sans doute car les parents du jeune homme ont prévu une autre destinée à leur fils en décidant de le marier à une riche héritière afin de réunir deux grandes fortunes sucrières. Et c’est par une petite annonce parue dans le journal que Maya apprendra, plus tard, le mariage de Dave, sans que celui-ci n’ait jamais osé la prévenir.

Blessée, meurtrie, trahie dans sa chair comme dans son honneur, Maya n’aura de cesse, dès lors, de se venger. S’en suivront des amours adultères avec son ancien amant, des amours d’infortune avec le jardinier de ce dernier, des harcèlements téléphoniques à l’adresse de la jeune épousée et le roman plongera tout droit vers le drame qui y mettra un terme...

« A gauche, les riches qui ont vue sur l’océan. A droite, les pauvres qui n’ont vue sur rien du tout excepté leurs semblables »... A l’instar de cette phrase du roman, Blue Bay Palace offre un regard volontairement dichotomique qui nous entraîne dans les interstices de l’archétype et des interdits. Avec ce roman intimement dérangeant, Nathacha Appanah-Mouriquand a délibérément choisi de porter le poids de l’histoire, d’en dénoncer les aveuglements et de stigmatiser les traditions qui ne peuvent en aucun cas rendre possible les amours d’une « petite malbar de Blue Bay » avec le descendant d’une riche famille indienne. Une occasion aussi de dénoncer l’invasion du tourisme de luxe, son intrusion vulgaire et ses méfaits dans l’équilibre social de l’île, au travers de la destinée d’une passion malheureuse qui demeure, avant tout et surtout, le point focal et révélateur de ce conte d’aujourd’hui.

(1) Gallimard, 95 p., 12 euros.

Bernard Magnier




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