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06/02/2004
Presse tunisienne, la voie étroite

(MFI) Pris entre le contrôle pesant des autorités, la progression spectaculaire des tabloïds arabophones et l’audience croissante des chaînes arabes par satellite, les journaux tunisiens francophones ne désespèrent pourtant pas d’une ouverture progressive vers le pluralisme.

Devant ce kiosque de l’avenue Habib Bourguiba, au centre de Tunis, des dizaines de journaux et de magazines sont alignés sur les présentoirs. Tous les quotidiens se signalent par l’inévitable photo du président Ben Ali, à la Une, en haut et à gauche. « Omettre ce cliché à cet endroit serait considéré comme une prise de position », assure Noureddine Hlaoui, coordinateur rédactionnel du journal privé Le Temps. Autrement dit, cela pourrait valoir quelques ennuis au journal qui se rendrait coupable d’un tel oubli.
L’éventail des ennuis est assez large, en Tunisie ; tracasseries, pressions, entraves et persécutions en tous genres, brutalités policières, harcèlement judiciaire, jusqu’à l’emprisonnement pour « divulgation de fausses nouvelles dans le but de troubler l’ordre public ». Régulièrement, les organisations de défense des droits de l’homme rendent compte des atteintes dont sont victimes des opposants ou des journalistes. L’association Reporters sans frontières (RSF) est en pointe pour dénoncer « le maintien de la presse sous un contrôle total par les autorités tunisiennes ». Dernier cas en date, en ce début d’année 2004, le refus d’autorisation infligé à l’hebdomadaire d’opposition Kalima, qui s’est replié sur internet.
« Je dirais de la presse tunisienne qu’elle est dans un régime de semi-liberté, corrige Noureddine Hlaoui. Est tabou tout ce qui concerne l’Intérieur, le président, l’armée et la justice ; ce qui couvre, c’est vrai, un large champ!… Nous nous concentrons sur l’information de proximité, les problèmes économiques et sociaux, la culture, l’actualité internationale, le sport, la santé, etc. »


Pas d’agressivité excessive

Entre culte obligatoire de la personnalité et domaines interdits, les journaux se fraient un chemin et tentent peu à peu de l’élargir. Les obstacles politiques sont une chose, les résistances sociales et les mentalités en sont une autre. « Progressivement, relève Taïeb Zahar, directeur de la publication de l’hebdomadaire Réalités, on arrive à parler de certains sujets qu’il n’était pas question d’aborder auparavant, comme l’homosexualité par exemple ».
L’islam, religion gravée dans la constitution, fixe également certaines limites à la liberté de ton. « La Tunisie, il faut le rappeler, est un pays musulman, explique Manoubi Marouki, rédacteur en chef Nation du quotidien La Presse. Notre religion imprègne nos mentalités, nous le ressentons dans notre façon d’aborder certains problèmes, dans notre vie quotidienne, jusque dans notre vocabulaire. Il faut en tenir compte. Mais nous sommes sur la bonne voie. Avec le développement économique viendra le développement démocratique. Les deux sont indissociables. »
Dans les pages politiques des journaux, c’est peu dire qu’on ne relève pas d’agressivité excessive à l’égard du régime. Le contrôle de la presse, toujours très pesant, uniformise le contenu des publications. Le rapport 2003 sur la liberté de l’information en Tunisie, publié par la Ligue tunisienne des droits de l’homme, regrette que « la participation au débat de fond sur les questions nationales concernant la situation ou l’avenir du pays à travers des articles d’opinion dont regorgeaient des journaux comme Erraï, l’Avenir, le Phare, Echâab, Ettarik Eljadid, Le Maghreb, El Ouahda, El Maoukef ou Réalités, parus pour la plupart lors du printemps de la presse tunisienne de 1977 et jusqu’à la fin des années 80, soit quasi absente aujourd’hui de la presse tunisienne. »


Rambo Reagan

L’état de l’information a-t-il régressé depuis ce qu’on a appelé le printemps démocratique, cette période de libéralisation et de pluralisme entre 1981 et 1983 ? Sans doute. Dans son livre Les trois décennies Bourguiba, le ministre de l’information de l’époque, Tahar Belkhodja, raconte : « Nous avons pu organiser une première dans l’histoire de notre télévision, jusque là hermétiquement fermée aux opinions non orthodoxes. Mohamed Moada, de l’opposition, représentant le MDS, put, en janvier 1981, s’exprimer en direct sur le petit écran et, sacrilège pour certains, critiquer vigoureusement la politique gouvernementale : le tabou était levé, les figures de l’opposition devenaient familières à la radio et à la télévision. » Cette petite révolution audiovisuelle n’empêche pas les durs du régime de freiner le mouvement : « Nos tentatives de libéralisation effective des médias au cours de ce « printemps » ont été très souvent bloquées. »
Les journaux de l’époque, surtout les plus impertinents, continuent d’ailleurs de subir un acharnement ubuesque. « L’entourage de Bourguiba nous avait dans le collimateur. On avait écrit un article sur Ronald Reagan, raconte avec amusement Taïeb Zahar. Ils n’ont pas apprécié qu’on le surnomme Rambo. On ne sait pas pourquoi. C’était caricatural, mais pas insultant. Pas de quoi fouetter un chat ! En tout cas, on a dû rayer Rambo ; nous avons donc embauché des étudiants qui ont travaillé toute la nuit pour biffer, au marker, le nom incriminé sur des milliers et des milliers d’exemplaires. Le lendemain, tous les lecteurs regardaient la page en transparence pour tenter de savoir quel terme monstrueux cela pouvait bien cacher ! »
Le patron de Réalités se souvient encore : « Une autre fois, ils exigeaient la suppression de la page 15. Nous l’avons donc relue attentivement. Comme nous n’avons rien trouvé de répréhensible, nous avons demandé des explications, et après bien des réticences, on a fini par nous dire que les paragraphes 4 et 9 posaient des problèmes. Lesquels ? Mystère ! Cela s’est terminé en discussion de marchand de tapis, et nous avons pu finalement conserver le 9 en échange de la suppression du 4…»


« Dans un bilan, il faut citer le positif et le négatif »

Aujourd’hui, vingt ans après le printemps démocratique, plus de 15 ans après l’arrivée au pouvoir de Zine El Abidine Ben Ali, la Tunisie fait partie des pays où la situation de la presse est qualifiée par RSF de « difficile ». Périodiquement, comme en 2000, lors de la grève de la faim du journaliste Taoufik Ben Brick, la focalisation médiatique internationale s’intensifie, les accusations pleuvent. Au point que de nombreux journalistes tunisiens et une bonne part de la population en ressentent une forme d’injustice, comme un procès instruit uniquement à charge. « Bien sûr que nous acceptons les critiques !, explique un chroniqueur. Encore faut-il qu’elles soient constructives. Quel pays ne prête pas le flanc à des critiques ? Le problème, c’est qu’on attaque la Tunisie systématiquement, sans jamais admettre que, parallèlement, elle se développe, fait des progrès dans les domaines économique et social, notamment. »
Chez les Tunisiens, le sentiment patriotique est parfois blessé par des attaques que beaucoup jugent excessives, voire malveillantes, à l’instar de ce professeur d’histoire : « Nous sommes un petit pays, qui attire des millions de touristes chaque année. Tous les Etats de la région ne peuvent pas en dire autant… Notre peuple est ouvert et accueillant. Dans un bilan, l’honnêteté oblige à citer le positif et le négatif. »
L’étau est-il en voie de se desserrer ? Noureddine Hlaoui le pense: « Les pressions sur les journaux sont variables dans le temps, c’est un peu en dents de scie. Je pense que désormais, nous allons entrer dans une phase de détente. Dans les deux années à venir, une série d’événements vont inciter les autorités à plus de souplesse et à améliorer l’image de la Tunisie : d’abord la Coupe d’Afrique des nations de football en ce début d’année, puis l’élection présidentielle et les législatives de novembre, ensuite les Championnats du monde de handball l’an prochain, et surtout le Sommet mondial sur la société de l’information en novembre 2005. Sans parler de notre candidature pour la Coupe du monde de football 2010 ! »


Les tabloïds en arabe fleurissent dans les kiosques

La santé économique de la presse tunisienne, globalement bonne, pourrait permettre d’asseoir un développement du pluralisme et favoriser un début d’ouverture. Ce timide espoir est toutefois terni par une menace qui inquiète les journaux en français : l’évolution linguistique. « Nous manquons de journalistes francophones, explique Manoubi Marouki.. La plupart des jeunes confrères sont arabophones, à cause de l’arabisation instaurée sous le régime Bourguiba. Résultat : la presse arabophone représente environ les 2/3 des journaux, contre la moitié il y a vingt ans. La presse people en arabe atteint parfois les 100 000 exemplaires. Mais malgré cela, le lectorat en français n’a pas diminué. La Presse, par exemple, a vu ses ventes augmenter. Le tirage tourne en moyenne autour de 50 000 exemplaires, et monte à 90 000 le dimanche, grâce en partie à nos deux suppléments emploi et télévision. Et il faut compter un minimum de 4 lecteurs par journal… »
Taïeb Zahar a une vision plus sombre de la situation. « Les lecteurs francophones ne représentent plus guère que 10 à 20 % du total. Les Tunisiens se reportent sur les magazines people et les tabloïds en arabe qui fleurissent dans les kiosques. Nous avons beaucoup de mal à recruter des journalistes compétents, formés et sachant écrire. »
Ajoutant encore au recul du français, il faut compter avec la prolifération des chaînes arabes par satellite dans un pays où la langue de Molière n’est guère parlée qu’à Tunis et dans les grandes villes. « Il y a quelques années, souligne Noureddine Hlaoui, les chaînes françaises étaient très regardées en Tunisie, notamment France2. Aujourd’hui, des chaînes comme Al Jazira et Al Arabia tiennent une place prépondérante dans le paysage audiovisuel tunisien. » Leur audience, sans cesse croissante, ne manquera pas de contribuer à réduire progressivement le lectorat francophone.


Philippe Quillerier

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