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13/02/2004
Double meurtre à Téhéran

(MFI) Sang et Or, deuxième long métrage de l’Iranien Jafar Panahi, suit les pas de Hussein, colosse à l’obésité maladive. Livreur de pizzas, malmené par tous, Hussein craque le jour où un bijoutier lui refuse une fois de trop l’accès à sa boutique…

C’est un homme sur une mobylette et déjà c’est un gag. Il faut dire qu’il y a dans le contraste entre cette énorme masse, ce visage boursouflé de poupon boudeur, et le minuscule engin qu’il chevauche un mélange pathético-burlesque qui lui donne d’emblée l’épaisseur d’un véritable personnage de cinéma. Hussein est livreur de pizzas, il a un copilote, le maigre Ali, qui est aussi son futur beau-frère. Toute la journée durant, ces deux-là parcourent la ville, passant sans relâche du Téhéran du bas (les quartiers populaires) à celui du haut, celui où de richissimes oisifs s’ennuient dans leurs villas de rêve. C’est la première intelligence du film que de montrer la capitale iranienne comme un espace clivé, labyrinthe aux méandres trop facilement déchiffrables : en bas, les pauvres, en haut, les riches et, assurant l’improbable (et alimentaire) jonction entre les deux, Hussein et son acolyte.
De ces Laurel et Hardy persans, de leurs courses mâtinées d’interminables discussions (la vie, le voile, l’époque bénie où les filles ne le portaient pas…), on pourrait d’avance se réjouir si Jafar Panahi n’opposait au déroulement trop prévisible de leurs tribulations une image-choc. Cette image, sur laquelle s’ouvre le film et dont l’ombre planera par la suite sur tout le récit, c’est celle du cambriolage par Hussein d’une bijouterie. Cambriolage, raté, forcément, se soldant par la mort du joaillier puis le suicide d’Hussein. A l’image de son titre, Le cercle, précédent long métrage de Panahi, empruntait lui aussi cette structure en boucle, mais en laissant planer un voile énigmatique sur la fin du récit. Celle-ci est rigoureusement absente de Sang et Or. Ici, pas de suspense : de cette chronique d’une (double) mort annoncée, le film se contente de faire la généalogie, retraçant la longue chaîne qui, de brimades en humiliations, de rebuffades en paternalisme méprisant, conduira ce géant timide à braver la mort avant de s’y abandonner. Tout le film s’inscrit dans la double tension entre l’éclat de cet acte de transgression, filmé avec une sèche violence, et la trivialité routinière de la vie du livreur.
Qui est Hussein ? Question à haute teneur sociologique, à laquelle le film, et c’est sa principale force, se garde bien de répondre. Lorsque Panahi filme le visage de son héros, c’est comme une surface mate. Ses traits ne renvoient qu’à l’opacité irréductible d’un homme emmuré en lui-même, incapable d’opposer au monde et aux siens autre chose qu’une gentillesse bourrue. Entrer dans une bijouterie chic pour acheter le cadeau de mariage de sa sœur (et s’en faire jeter), porter des pizzas dans un quartier chic (et manquer se faire coffrer par des flics), aller livrer un repas chez un jeune homme gâté (et lui servir, victime à demi-consentante, de confident du soir) : plutôt que d’enfermer son personnage dans un discours, Panahi se contente d’enregistrer ses faits et gestes, et le visage impassible que Hussein oppose à ces rebuffades traduit mieux que tout la violence de moins en moins tolérable qu’il subit au quotidien… Ainsi avance le film, sur la fragile ligne d’équilibre entre une tension et une cruauté croissantes mais aussi une grande douceur que transpercent de brefs éclats comiques. C’est tout, et c’est peu de dire que c’est magnifique.


Elisabeth Lequeret

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