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20/02/2004
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Jean Rouch : mort d’un pionnier
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(MFI) Le cinéaste et ethnologue français Jean Rouch est décédé le 18 février lors d’un accident de la circulation, survenu à Konni, au nord du Niger. Agé de 86 ans, il avait à son actif plus d’une centaine de films, pour l’essentiel des courts et moyens métrages, et a été l’un des pionniers du cinéma ethnographique.
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Jean Rouch est mort au Niger, dans la nuit du mercredi 18 février, lors d’un accident de la circulation. Le cinéaste et ethnologue se trouvait en compagnie de sa femme Jocelyne et de ses vieux compagnons de route, l’acteur Damouré Zika et le cinéaste Moustapha Alassane, qui, eux, sont indemnes. Né en 1917, Jean Rouch a été l’un des premiers à mettre la caméra au service de son travail d’ethnologue. Vers la fin des années 40, il commence à tourner, vite et beaucoup : Au pays des mages noirs (1947), Les magiciens noirs et Hombroï (1948), Initiation à la danse des possédés et Circoncision (1949). Dans la droite ligne de son maître et mentor Marcel Griaule (pionnier de l’ethnologie en Afrique), argueront certains, à juste titre. La comparaison, pourtant, tourne court, tant il apparaît très vite que leurs conceptions de la caméra et de l’usage scientifique qu’on peut en faire, pour ne pas dire leurs regards, divergent fondamentalement. Les films de Griaule, sans qu’on puisse mettre en cause la dimension révolutionnaire de ses recherches, encore moins sa sincérité et son implication, restent toujours entachés par un regard surplombant, voire par moments doucement ironique, sur sa communauté de prédilection (les Dogons). Son discours, ses commentaires, écrasent les images plus qu’ils ne les expliquent.
Jean Rouch fera souffler un vent nouveau sur ce genre balbutiant. Ses premiers travaux, qu’il s’agisse des Magiciens noirs (1948) ou d’Initiation à la danse des possédés (1949) se démarquent d’emblée de ceux de Griaule par le respect du regard qu’ils portent sur les Africains. Objets d’étude mais aussi être humains : l’accent reste mis sur la préparation et le déroulement des rituels, l’enchaînement des gestes et des incantations, mais aussi sur les personnages. Détail signifiant : c’est avec Rouch que pour la première fois, les personnages filmés ne sont plus seulement désignés par leur fonction mais par leur nom et leur lignée.
Pendant une dizaine d’années, il sillonne ainsi l’Afrique, du Sénégal au Niger, du Ghana au Soudan, caméra en main, revendiquant son statut d’amateur, filmant ces Africains dont il partage le quotidien. C’est en 1954, avec Les maîtres fous, documentaire filmant les rites de possession d’une secte du Ghana, présenté lors du prestigieux festival de Venise, qu’il accède à la notoriété et, subséquemment, aux critiques. Celles du public occidental, mais aussi de ses confrères africains, notamment du Sénégalais Sembene Ousmane, conclues par un aussi magnifique que spécieux « Tu nous filmes comme des insectes ! ». Pionnier là aussi (le suivront sur la liste Depardon et bien d’autres) de l’éternelle polémique selon laquelle les films de Blancs sur l’Afrique seraient irréductiblement entachés de colonialisme, sachant que « seul un cinéaste africain peut filmer les Africains, seul un Noir peut raconter la vie de Malcolm X, seul un cinéma authentiquement nôtre peut dépasser cette vision exotique intensément colonialiste » (Sembene, toujours). On peut trouver inégale l’œuvre de Rouch, reste qu’il est très difficile de ne pas reconnaître à quel point il a bouleversé le film ethnographique, et plus généralement le cinéma. En 1958, des années avant la vogue du docu-fiction, le magnifique Moi un Noir donne la parole à une poignée de non-professionnels nigériens auto-rebaptisés façon Hollywood (Eddie Constantine, Edward G. Robinson, Tarzan…). Autant de personnages magnifiques qui, devant la caméra de Jean Rouch, improvisent, cabotinent, délirent avec une liberté de ton proprement sidérante, dont Godard saura se souvenir dans A bout de souffle.
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Elisabeth Lequeret
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