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27/02/2004
L’Algérie par ses femmes

(MFI) Une prostituée, une ancienne danseuse et sa fille forment le trio principal de Viva Laldjérie, deuxième long métrage de Nadir Moknèche. Après Le harem de Madame Osmane, ce jeune cinéaste épingle avec distance, humour et acuité la réalité sociale de son pays.

Trois femmes, réfugiées dans un petit hôtel bruyant et plutôt miteux, pas très loin de la Casbah. Trois femmes, trois générations : autant de façons de survivre dans la jungle algéroise. Il y a la belle et jeune Goucem (Lubna Azabal), qui tente d’oublier les trop rares coups de fils de son amant en s’éclatant dans les boîtes de nuit de la ville. Sa mère Papicha (Biyouna), qui ne vit que dans le souvenir des très riches heures du Copacabana, dont elle était la danseuse attitrée et adulée. Enfin, Fifi (Nadia Kaci), qui sans trop se poser de questions vend son corps aux riches Algérois, businessmen en goguette ou huiles de la Sécurité Militaire. Comme dans Le harem de Madame Osmane, premier et emballant long métrage de Nadir Moknèche, ce sont d’abord les personnages, leur force et leur couleur, qui constituent la richesse de la matière filmique de Viva Laldjérie.
Tout ce petit monde crie et s’agite beaucoup, avec ce génie du psychodrame propre aux Algérois. De la promiscuité, de ce choc des contraires obligés de cohabiter dans quelques mètres carrés, Moknèche fait le principe de sa mise en scène. Directions différentes : Goucem, au comble de l’exaspération, enfourne sa mère dans un taxi collectif et reste, pensive, sur le bord de la route. Vitesses incompatibles : la même laisse un serial dragueur repartir bredouille, sur sa mobylette antidéluvienne. Rêves antagonistes : sa confidente Fifi, occupée avec un client, lui claque gentiment la porte au nez. Pour Goucem et Papicha, partager le plan avec ceux qu’elles aiment tout autant que se débarrasser des gêneurs semble au fur et à mesure que le film avance, relever sinon de l’impossible, du moins de la gageure.
Ces corps un peu défaits, vaguement paumés, mais pleins d’un optimisme et d’une vitalité que rien ne semble entamer, Moknèche les filme avec une distance ironique que tempère beaucoup de tendresse et d’empathie. Les battements de cils d’apprentie-vamp de Goucem, repérant dans la pénombre d’une minable piste de danse sa prochaine victime. Les œillades de Papicha lorsque, pour échapper à plusieurs mois d’errance administrative, elle éblouit d’une œillade langoureuse un fringant fonctionnaire. Hypocrisie ? Pas vraiment, rien d’autre que les mille et une façons de survivre, au royaume du système D, du machisme et de la corruption. C’est l’élégance essentielle du film que de distribuer quelques coups de griffe bien sentis dans un système en pleine de déréliction sans jamais verser dans le dossier social.
Que résonnent aux oreilles de tous (y compris celles de Moknèche) les atrocités d’une guerre civile dont les échos se font encore entendre au quotidien, l’affaire est entendue. Il ne s’agit pas de les occulter, mais d’y répondre : par l’incroyable énergie de chacun des personnages, pulsion de vie qui passe par les garçons (Goucem), les clients (Fifi), la musique ou le whisky (Papicha). Dans une scène extraordinaire, la plus belle du film, celle-ci se saoule méthodiquement dans un troquet de la Madrague, entame quelques somptueuses arabesques sous les yeux des clients médusés puis conquis. Alors seulement, à l’instant où la fête commence, Papicha s’effondre et fond en larmes. La beauté de ce très long plan qui embrasse dans un seul et même battement déprime et exultation en dit beaucoup sur la générosité de Moknèche. Refusant le misérabilisme, chacun des plans de son film (y compris les plus durs) semble encore délivrer encore de minuscules signaux d’espoirs, suprême élégance d’un réalisateur qui parvient, par le plus théâtral, à toucher au plus profond de l’humain.


Elisabeth Lequeret

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