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02/04/2004
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Jamal Mahjoub, chroniqueur de l’errance et de la migrance

(MFI) Né en 1960 à Londres, d’un père soudanais et d’une mère anglaise, Jamal Mahjoub est romancier et nouvelliste. Bien qu’il ait grandi au Soudan arabophone où ses parents sont retournés s’installer quelques années après sa naissance, il écrit en anglais. Là d’où je viens qui est paru récemment en traduction française est son cinquième roman.


C’est aussi son roman le plus autobiographique qui met en scène à travers les errances européennes d’un jeune journaliste et écrivain anglo-soudanais les heurs et malheurs de l’exil et de la migrance. Une thématique que Mahjoub traite avec intelligence, mêlant habilement présent, passé, références historiques et littéraires dans un ensemble narratif qui relève plus de la chronique et du témoignage que du roman traditionnel.
Une grande partie de ce récit se déroule sur les routes. C’est au volant d’une vieille Peugeot 504, bleu acier, que le protagoniste traverse l’Allemagne, puis la France pour aller rejoindre son frère quelque part sur les côtes espagnoles. Yasin est accompagné de son fils de sept ans Léo. En instance de divorce avec sa femme anglo-danoise, le jeune homme craint de perdre aussi son fils qu’il ne connaît pas vraiment et qui s’éloigne inexorablement d’un père à la peau basanée, aux cheveux bouclés, si différent des pères de ses camarades d’école londoniens. La présence de cet enfant émouvant, inquiet donne sens à ce voyage quasi-initiatique au cours duquel père et fils finiront par se connaître, s’apprécier et se rapprocher.
Ce voyage est pour Yasin aussi l’occasion de régler ses comptes avec lui-même et avec son passé. Son passé se confond avec les histoires que lui racontait autrefois sa grand-mère Haboba, à Khartoum. Yasin se souvient de s’être longtemps endormi au son de la voix de cette grand-mère à la personnalité imposante, rythmant ses rêves. « Souvent, alors que je luttais contre le sommeil, j’avais la sensation étrange que je tombais dans un vaste filet, un réseau interminable d’histoires reliées entre elles. Je n’avais aucune idée de leur nombre, j’ignorais combien d’entre elles étaient vraies ou inventées, combien avaient été transmises de génération en génération, ou ramassées le matin même sur le marché, en même temps qu’une brassée d’aubergines et de concombres. Le temps semblait n’exister qu’à ce moment-là, et tout était à la fois étonnamment vieux et étonnamment nouveau. » Ce passé, c’est aussi le présent du Soudan que le père de Yasin, journaliste et ancien résistant, reproche amèrement à son fils d’avoir délaissé. « Je pensais que tu aurais dû être là-bas avec nous, pour les empêcher de tout prendre, de tout gaspiller et de transformer ce pays en un désert de poussière au nom de leurs fariboles prétendûment religieuses. »
Mais Yasin ne se sent pas Africain. L’Afrique n’est qu’une partie de son identité confuse, hybride multiculturelle qu’il tente de cerner, chemin faisant. « Je n’ai pas encore rencontré une Afrique, écrit-il, où j’aurais pu me réfugier aux moments critiques de mon existence. Mon continent noir à moi, c’est l’Europe et je cherche à en atteindre le cœur. »
Malgré la mélancolie que distille tout le long de ce beau roman l’écriture nostalgique de Mahjoub, l’histoire se termine sur une note d’espoir. Une note d’espoir sous la forme de vers signés Omar Khayyam et gravés sur une dalle de pierre à l’entrée de Tossa de Mar dans l’Espagne mauresque, la destination finale du duo père-fils. « Le doigt continue d’écrire,/Après avoir écrit, il s’en va./Ni ta piété ni ton esprit/Ne sauront le convaincre/D’effacer le moindre vers,/Et toutes tes larmes ne pourront/Laver un seul de ces mots. »

Là d’où je viens, par Jamal Mahjoub. Traduit de l’anglais par Madeleine et Jean Sévry. Ed. Actes Sud, 415 p., 24,50 euros.

Tirthankar Chanda


Césaire l’Africain

(MFI)Aimé Césaire a eu 90 ans l’année dernière. Cet anniversaire a été fêté bien entendu à Fort-de-France dont le poète a été le maire jusqu’à encore récemment, mais aussi à Bamako où se sont déroulées en juin 2003 des festivités littéraires et artistiques revisitant son œuvre. Une œuvre qui fait la part belle à l’Afrique, révélant au monde sa part africaine sans laquelle « la terre ne serait pas la terre ». L’Afrique doit aussi à Césaire la négritude dont on mesure aujourd’hui l’importance dans l’émancipation culturelle du monde noir. En prolongement aux palabres de Bamako autour de la contribution essentielle de Césaire au devenir africain, les éditions Cauris publient ces jours-ci un livre hommage, scandé par quelques-unes des plumes les plus remarquables de l’Afrique et de ses diasporas. Tout le mérite en revient à Tshitenge Lubabu Muitubile K., coordonnateur de cet ouvrage remarquable, qui a réussi à réunir en l’espace de quelques cent cinquante pages des personnalités aussi différentes qu’éminentes : Edouard J. Maunick, Cheikh Hamidou Kane, Tierno Monenembo, Euzhan Palcy, Bakary Sangaré, Joseph Ki-Zerbo, Georges Ngal, pour ne citer que les plus connus. Poètes, historiens, philosophes, cinéastes, critiques littéraires, hommes de théâtre, ces hommes et femmes ont en commun d’avoir été « d’une façon ou d’une autre, inspirés par l’ancien maire de Fort-de-France », écrit l’éditeur. « Ils ont, sans aucun doute, été fascinés par sa stature intellectuelle. Ne sont-ils pas, quelque part, ses enfants ? » Et que disent-ils, ces enfants ? Ils témoignent, ils racontent, ils analysent l’homme Césaire et son œuvre, mettant en avant qui son humanisme sans frontières, qui son militantisme, qui le prophétisme avant-gardiste de son écriture. Le ton du volume est donné dès la première page où est mise en exergue une citation du poète honoré : « Je suis un Martiniquais, un Africain transporté./ Mais je suis avant tout un homme. /Et un homme qui veut quoi ?/L’accomplissement de l’humanité dans l’homme./ »

Césaire et Nous. Une rencontre entre l’Afrique et les Amériques au XXIe siècle, textes réunis par Tshitenge Lubabu Muitubile K. Ed. Cauris, 143 p., 14 euros.

T. Chanda


L’enfer des tirailleurs

(MFI) Ils n’étaient pas tous sénégalais mais ils étaient tous tirailleurs et souvent en première ligne... Injustement oubliés, ils furent pourtant nombreux à venir du Sénégal, de Haute-Volta ou de Guinée pour combattre, dans l’est de la France, l’occupant allemand durant la première guerre mondiale. Les cimetières en témoignent.
Déjà en 1983, le Sénégalo-malien Doumbi-Fakoly avait écrit un roman, Morts pour la France (Karthala) qui s’inspirait directement de leur tragédie. Aujourd’hui, Yves Pinguilly, dont on sait que l’oeuvre doit beaucoup au continent africain, s’est attaché à retracer la destinée de l’un de ces combattants dans un petit livre destiné aux jeunes lecteurs : Verdun 1916 : un tirailleur en enfer (Nathan).
Tierno, jeune Guinéen, a eu la chance d’aller jusqu’à Dakar afin de poursuivre ses études mais, hélas pour lui, la guerre survient en Europe et il se retrouve, avec quelques autres compagnons d’infortune, parmi lesquels Aboubacar dont il deviendra l’ami, embarqué vers un autre apprentissage, celui de la guerre et de ses horreurs. Tierno le peulh et Aboubacar le soussou vont alors participer à ce conflit qui ne les concerne pas, devoir supporter le froid, la maladie ou plus encore la bêtise ordinaire, côtoyer le courage et la lâcheté ou connaître la mort, découvrir aussi quelques élans de fraternité, et peut-être surtout apprendre que face à la peur et à la mort les hommes, noirs ou blancs, se ressemblent. Un petit livre documenté, habilement construit qui souvent sonne juste et permet de lever un morceau de la redingote de ces étranges poilus d’outre-mer.

Verdun 1916 : un tirailleur en enfer, par Yves Pinguilly. Ed. Nathan, 140 p., 5 euros.

Bernard Magnier


A la rencontre de l’oralité bakongo

(MFI) « Si l’on cessait de conter, il n’y aurait plus de mariages, ni de naissances », écrivait la célèbre anthropologue française Geneviève Calame-Griaule, en citant un de ses informateurs africains. En effet, en Afrique plus qu’ailleurs, où l’oralité a été érigée en art, les textes de la tradition orale ne sont pas des genres mineurs, mais ils sont au contraire les véhicules privilégiés de l’imaginaire, du savoir et de l’inventivité intellectuelle des peuples. Ils disent aussi la norme. Le recueil de contes, proverbes et devinettes bakongo qu’un collectif d’auteurs congolais exilés en France vient de publier illustre à la perfection les différents rôles que joue la littérature orale en Afrique. Un rôle pédagogique, tout d’abord. Rien n’illustre mieux cet aspect que les sept contes que comporte ce recueil. Chacun de ces contes met en scène une situation sociale bloquée, un conflit. L’issue passe souvent par le respect de l’ancien et de l’ordre établi. Ainsi, dans « Odjan et son oncle », le neveu irrespectueux et arrogant ne pourra sortir vainqueur de l’épreuve que lui fait subir sa future belle-famille tant qu’il ne se sera pas fait pardonner par l’oncle tout-puissant qu’il avait dénigré. Les oreilles ne doivent jamais dépasser la tête, apprend le jeune garçon à ses dépens. Mais les puissants n’ont pas toujours le dernier mot, comme nous rappelle l’histoire de la femme qui, grâce à son courage et sa présence d’esprit, remporte sur le lion si menaçant. Plus divertissants et ludiques sont les devinettes et les proverbes qui constituent l’essentiel de ce volume. Ils sollicitent la curiosité, l’imagination. Celle-ci, par exemple : « Quand il passe, tout le monde se met à danser. Qui est-ce ? » Voici une autre : « Ce singe est dans l’arbre mais sa queue traîne jusqu’à terre. De qui s’agit-il ? »
En attendant que vous trouviez les réponses à ces deux énigmes, rappelons que cet ouvrage a été publié par la jeune association Cultures croisées qui fait un travail admirable en appuyant de tout son poids les projets éditoriaux axés sur la connaissance des cultures du monde et sur l’interculturalité. Depuis sa création, l’association a publié une dizaine de livres, dont des romans, des recueils de poèmes, mais aussi des essais sur l’environnement et le développement.
Retour, pour finir, aux devinettes. C’est bien sûr le vent qui fait danser tout le monde. Et le singe n’est autre que le soleil et sa queue les rayons de l’astre du matin !

Contes, proverbes et devinettes bakongo, par Collectif d’auteurs congolais. Les Editions Cultures croisées, 99 p., 13 euros.

T. Chanda


Au carrefour de la science-fiction et du polar

(MFI) Même si l’histoire se déroule à Paris en 1899, il ne s’agit pas pour autant d’un roman historique, loin de là : le ciel parisien est empli de machines volantes, les hommes communiquent par téléchromos et les automates se multiplient, remplaçant les domestiques et les vendeurs. Tout marche à l’éther, source d’énergie presque magique que certains soupçonnent cependant d’être délétère et de causer la folie de ceux qui la respirent de trop près. Un crime est commis, qui mènera la jeune comédienne Margo et son psychiatre de frère, Théo, dans des aventures aussi palpitantes que dangereuses. Etrange livre que ce roman écrit à quatre mains, dont le titre se réfère aux Confessions d’un Anglais mangeur d’opium de Thomas de Quincey (1821). Touffu, parfois un peu lent, Confessions d’un automate mangeur d’opium rend un hommage ambigu à ce siècle qui vit naître l’industrialisation en voulant renouer avec la tradition des romans feuilletons qui firent la gloire des journaux du 19e siècle et d’écrivains comme Dumas, Balzac ou Jules Verne. Hélas, les feuilletons ont déserté les pages écrites pour la télévision et ce roman, dans le courant dit « steampunk », plus proche parfois de la littérature fantastique que de la science-fiction, semble en effet légèrement anachronique.

Confessions d’un automate mangeur d’opium, Fabrice Colin et Mathieu Gaborit, Coll. « Motifs no » 171, Ed. Le Serpent à Plumes, 420 p., 8 euros.

Catherine Brousse


Si la catastrophe du Joola annonçait un autre naufrage…

(MFI)Le 26 septembre 2002, le bateau sénégalais le Joola reliant Ziguinchor à Dakar sombrait dans les eaux de l’Atlantique, faisant près de 2000 morts. C’est la plus grande catastrophe de l’histoire de la navigation maritime, explique Almany Mamadou Wane dans son livre consacré à ce naufrage. Mais pourquoi le Joola a-t-il coulé ? Pourquoi les secours ne sont-ils pas arrivés à temps, ce qui aurait sans doute permis de réduire substantiellement le nombre de victimes ? L’auteur pointe du doigt : les manquements administratifs (« le bateau n’a pas subi sa visite annuelle de sécurité »), les erreurs du commandant du navire (« le commandant a permis la vente de billets de troisième classe sans limitation »), l’inconscience cynique des pouvoirs publics sénégalais (« le ministre du Tourisme, prévenu peu de temps après le naufrage, a préféré aller se coucher et attendre le lendemain pour retransmettre l’information, au prétexte qu’il n’avait pas sur lui la liste des téléphones ») ! Pour Wane, ce naufrage et son traitement fataliste par le gouvernement sénégalais sont annonciateurs d’un autre naufrage, celui du pays tout entier que les politiques catastrophiques du régime d’Abdoulaye Wade arrivé entraînent vers un gouffre sans fond. Alternant avec habileté le récit du naufrage du Joola et l’analyse en profondeur de « la folie improvisatrice » du président et de son entourage, ce livre est un réquisitoire lucide et impitoyable de la classe politique sénégalaise, de son amateurisme et de ses impostures.

Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance, par Almamy Mamadou Wane. Ed. L’Harmattan, 138 p., 12,20 euros.

T. Chanda


Tous les livres sur l’Afrique (ou presque) sont dans Perspectives Sud

(MFI) Perspectives Sud est une somme probablement sans équivalent sur l’Afrique. Éditée par le ministère des affaires étrangères, cette « Bibliothèque des Afriques d’aujourd’hui » propose, par thèmes et par pays, une sélection de références bibliographiques sur les différents régions du continent. On y trouvera de nombreuses pistes de lectures, actualisées et intégrant les apports d’internet, précédées de courtes synthèses rédigées par des spécialistes. L’important volume de perspectives sud comprend également une « bibliothèque du développement au XXIe siècle », selon le même principe : parmi les thèmes retenus, citons Mondialisation et développement, Biens publics internationaux, Environnement et développement, Financement du développement etc… Enfin ces listes bibliographiques sont complétées par une présentation très large de centres de recherche spécialisés sur l’Afrique, avec leurs coordonnées (y compris internet et email). On l’imagine bien, c’est un outil de travail idéal pour les chercheurs et les étudiants comme pour les journalistes qui est proposé ici. Comment y avoir accès : on indique que le document sera disponible dans les établissements culturels français à l’étranger, notamment. Direction, donc, les CCF d’Afrique, pour plonger dans un des meilleurs répertoires disponibles à ce jour…

Perspectives Sud, édité par le ministère français des affaires étrangères, avec le concours du Centre d’études d’Afrique noire de Bordeaux, et du Centre d’études africaines (École des hautes études en sciences sociales de Paris). Pour tout renseignement, écrire au ministère, direction de l’écrit et des médiathèques, 244 boulevard Saint Germain 75303 Paris 07.

Thierry Perret


Les heurs et malheurs de l’anticolonialisme sous la révolution française

(MFI) La réédition de La Révolution française et la fin des colonies de Yves Benot, livre épuisé depuis plusieurs années, est un événement. Dès sa parution en 1987, ce livre qui étudie l’impact de la question coloniale sur les acteurs de la révolution française et sa gestion par ces derniers, s’est imposé comme un grand classique de l’historiographie française. Comparable en importance aux opus d’Albert Soboul et de Lucien Lefebvre sur la grande révolution, il jète un éclairage neuf sur l’origine de la pensée abolitionniste, sur la place qu’ont occupée la colonisation et la traite dans les débats houleux de l’Assemblée constituante et de la Convention et sur les sensibilité différentes que cachaient le vote historique à l’unanimité du décret d’abolition de l’esclavage le 04 février 1794. Prenant le contre-pieds des historiens classiques qui ont souvent tendance à reléguer la question coloniale dans les marges des préoccupations révolutionnaires, l’ouvrage de Benot rappelle la crucialité du rapport métropole/colonie sur un plan économique qui, selon lui, explique les tergiversations des députés les plus fortement anticolonialistes sur le terrain de l’abolition ou de la fin des colonies. On a aussi reproché à Benot sa mise en cause du rôle primordial que les historiens attribuent traditionnellement à Robespierre dans l’abolition de l’esclavage. Ce dernier n’est-il pas passé dans l’Histoire pour avoir proclamé : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » Yves Benot, pour sa part, préfère attirer l’attention sur le courage et la persévérance des abolitionnistes et des « amis des Noirs » tels Garran-Coulon, Polvorel, Sonthonax, Milscent, Grégoire qui avaient su, malgré la pression du nationalisme montant face aux guerres, faire triompher les principes moraux d’égalité et de justice hérités des Lumières. Enfin, Benot attire l’attention sur un problème historiographique grave qui, en occultant l’importance des débats sur la poursuite ou non de la traite et de la colonisation, a contribué à la méconnaissance du fait colonial dans la mémoire collective hexagonale. « Bref, écrit-il, mis à part Jaurès, on dirait que les colonies, la traite, l’esclavage, tout cela ne serait qu’un à-côté négligeable en face des grands problèmes français et européens. » Il faut lire Yves Benot pour comprendre combien la question coloniale fut au contraire au cœur même de la pensée révolutionnaire française.

La révolution française et la fin des colonies : 1789-1794, par Yves Benot. Ed. de la Découverte. Coll. Poche, 280 pages, 11 euros.

T. Chanda


Un auteur à découvrir
Un premier roman africain


(MFI) « Moeti oa Bochalela est certainement le premier roman publié en Afrique dans une langue africaine », déclare Alain Ricard dans la préface de l’édition française de ce livre avant d’ajouter : « je crois pouvoir avancer que c’est probablement le premier roman écrit et publié en Afrique en quelque langue que ce soit »... La publication de ce livre, sous le titre L’Homme qui marchait vers le soleil levant, est donc d’importance même si quelques doutes subsistent encore quant à la primauté de ce roman. Qu’importe d’ailleurs car le livre en lui-même ne manque pas d’intérêt. Ne serait-ce que pour l’identité de son auteur, Thomas Mofolo, célèbre pionnier depuis que son Chaka (publié en 1926 en sesotho puis en 1940 dans la version française de Victor Ellenberger à qui l’on doit également la traduction du présent ouvrage) lui a assuré une reconnaissance universelle.
Publié pour la première fois en feuilleton en 1906 puis sous forme de livre en 1907, L’Homme qui marchait vers le soleil levant a connu quelques variations sur son titre français au fil du temps. Il fut tout d’abord titré « Voyageur de l’Orient », « Pèlerin de l’Orient » puis « Vers le soleil levant ou le pèlerinage de Fékisi », par son traducteur, Victor Ellenberger, descendant d’une famille de missionnaires installée au Lesotho en 1861 ; plus tard, son fils, Paul Ellenberger, qui a revu la traduction suggéra « Le découvreur du soleil primordial » avant que l’éditeur actuel ne retienne L’Homme qui marchait vers le soleil levant. Cette évolution du titre et les hésitations de ses « découvreurs » ne sont pas seulement anecdotiques mais témoignent de la complexité de ce texte et de l’évolution des lectures qui en ont été faites.
Après une première partie qui s’apparente volontiers à une autobiographie pastorale, le livre se poursuit avec la métamorphose du personnage principal, Fékisi, en rupture avec son peuple qu’il juge dépravé et en proie à l’ivresse et à la violence, qui va peu à peu, passer de l’état de jeune berger à celui de héros exemplaire aux pouvoirs hors du commun.
Contée comme une aventure initiatique et mystique mêlant les enseignements du christianisme à une parfaite communion avec les éléments naturels, sa quête se double d’un voyage tumultueux parsemé d’épreuves dont il devra - à l’instar des héros des contes traditionnels - sortir vainqueur. Défendre le faible, vaincre le lion, tuer la gazelle pour se nourrir et s’abreuver de son sang, communiquer avec les vaches et les oiseaux seront quelques unes des taches accomplies par Fékisi dont l’auteur parvient à traduire les élans et les doutes.
Ainsi, au-delà de son intérêt historique, L’Homme qui marchait vers le soleil levant offre aussi un vrai plaisir littéraire et recèle, ça et là, de forts passages poétiques. Sa présentation élégante et l’appareil critique qui l’accompagne (avant-propos du traducteur et préface d’Alain Ricard, directeur de la collection) en font un bel objet, à la fois érudit et accessible.
Rappelons que L’Homme qui marchait vers le soleil levant est le troisième titre de la collection « Traversées de l’Afrique » qui souhaite mettre au jour « des récits de voyage mais aussi des premiers récits écrits par les Africains » et ainsi rendre accessibles à un plus grand nombre des textes jusqu’alors non traduits ou demeurés l’apanage de quelques érudits. Ce titre s’inscrit dans une immédiate filiation avec le premier ouvrage publié dans cette collection, en 1999, qui réunissait deux textes également traduits du sesotho : Au temps des cannibales de l’instituteur et pasteur protestant Édouard Motsamai et Dans les cavernes sombres, de « l’éducateur, fermier et philanthrope » James Machobane, tous deux contemporains et collègues de Thomas Mofolo. Le second volume, paru en 2001, Les Vergers de l’aube du professeur d’anthropologie et de d’ethnologie guinéen, Sory Camara, retraçait l’itinéraire personnel du chercheur et offrait quelques portes d’accès à l’univers traditionnel mandingue.

L’homme qui marchait vers le soleil levant, par Thomas Mfolo. Traduit du sesotho par. Editions Confluences, 144 p., 15 euros.

B. Magnier




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