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30/04/2004
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Le Clézio l'Africain

(MFI) L’écrivaine Colette Fellous inaugure sa collection « Traits et portraits » aux éditions Mercure de France avec un portrait tendre et saisissant de l’Afrique signé Jean-Marie Gustave Le Clézio.


Avec L’Africain, Le Clézio vient de nous donner un des plus beaux livres de cette saison sur l’Afrique. C’est une déclaration d’amour au continent noir de la part d’un des plus grands écrivains français contemporains. Un des plus atypiques aussi car celui-ci a su très tôt arracher, son oeuvre du cadre franco-français pour l’arrimer au vaste monde, à ses turbulences et à ses révolutions. A l’univers amérindien d’abord, qu’il a parcouru de long en large au début de sa carrière et où il a cessé d’être purement cérébral et intellectuel (« ce grand changement, cette non cérébralité ont par la suite nourri tous mes livres »). Puis, aux îles de l’Océan indien dont est issue sa famille paternelle. A l’Afrique, enfin, qu’il a découverte en y allant retrouver son père médecin de brousse et qui s’est révélée être fondamentale à sa façon d’être, à sa façon d’appréhender le monde et de l’écrire.
Dans son livre Onitsha, paru en 1980, Le Clézio avait déjà raconté sa découverte de l’Afrique, mais sur un mode fictionnel. L’Africain est un récit autobiographique dans lequel l’auteur du Procès-verbal et de La Quarantaine évoque l’odysée de son père à travers les hauts plateaux du Cameroun et du Nigéria où il exerçait son métier de médecin. « Plus de vingt ans durant lesquels il a vécu en brousse (...), seul médecin sur des territoires grands comme des pays entiers, où il avait la charge de la santé de milliers de gens. » « Là, il faisait tout, comme il l’a dit plus tard, de l’accouchement à l’autopsie. » L’écrivain retrace l’itinéraire hors des sentiers battus de ce père qu’il a rencontré pour la première fois à l’âge de huit ans et dont la personnalité paradoxale, à la fois tendre et sévère, passionnée et disciplinée, l’avait profondément dérouté. Le fils ne juge pas le père pour autant, se contentant tout simplement de raconter, de relever les détails significatifs, suffisamment éloquents en soi : « (il) ne lisait ni livres, ni journaux. Sa seule lecture était un petit ouvrage relié de noir que j’ai trouvé longtemps après, et que je ne peux ouvrir sans émotion : l’Imitation de Jésus-Christ » !
Mais très vite ce livre se révèle pour ce qu’il est : une quête des origines. Cette quête conduit Le Clézio vers l’Afrique, vers ses hommes et femmes, vers ses paysages et vers le choc fondateur que fut sa rencontre avec cet univers si éloigné - si autrement humain - du monde de la petite-bourgeoisie niçoise où il avait vécu jusque-là. Loin d’être un livre nostalgique sur l’Afrique à la manière d’Out of Africa, L’Africain est un livre de retrouvailles avec le père et à travers lui avec la lumière et la violence de l’Afrique qui n’ont sans doute jamais cessé de nourrir l’imaginaire leclézien.

Tirthankar Chanda


Extrait :

« C’est à l’Afrique que je veux revenir sans cesse, à ma mémoire d’enfant. A la source de mes sentiments et de mes déterminations. Le monde change, c’est vrai, et celui qui est debout là-bas au milieu de la plaine d’herbes hautes, dans le souffle chaud qui apporte les odeurs de la savane, le bruit aigu de la forêt, sentant sur ses lèvres l’humidité du ciel et des nuages, celui-là est si loin de moi qu’aucune histoire, aucun voyage ne me permettra de le rejoindre. (...) Mais je me souviens de tout ce que j’ai reçu quand je suis arrivé pour la première fois en Afrique : une liberté si intense que cela me brûlait, m’enivrait, que j’en jouissais jusqu’à la douleur. (...) Ce trésor est toujours vivant au fond de moi, il ne peut pas être extirpé. Beaucoup plus que de simples souvenirs, il est fait de certitudes. Si je n’avais pas eu cette connaissance charnelle de l’Afrique, si je n’avais pas reçu cet héritage de ma vie avant ma naissance, que serais-je devenu ? »

L’Africain, par J.-M.G. Le Clézio. mercure de france, 114 p., 15,5 euros.

Les continents d’Henri Lopes

(MFI) Henri Lopes est d’une espèce singulière d’écrivain « africain »… et disant cela, on sent déjà que l’adjectif vacille et peut se perdre : dans ses « simples discours » publiés voici quelques mois, l’auteur congolais parle précisément des origines qui, dans son cas, sont mêlées dès la source. Métis, Henri Lopes a placé le métissage au cœur de son œuvre, bien avant que le vocable ne devienne à la mode. Et lorsqu’il décline les mille nuances de la « couleur » métisse (« café au lait, peut-être, mais aussi feuille de cigare, ambre, huile de palme, chair de plantain bouillie, croûte de pain bien cuit, chocolat, pain d’épice, biscuit, caramel, miel clair, miel brun, rhum-vieux, sapotille… ») on le sent qui s’éloigne ironiquement du souci des appartenances, lequel a donné cette « identité » à la fois nécessaire, fondatrice, mais aussi mutilante, réductrice, et finalement destructrice qu’il entend dénoncer : « à force de rêver nos identités et d’idéaliser l’histoire de nos communautés, nous avons transformé le présent en cauchemar. »
Fils de Bantous et de Gaulois, et désormais heureux de l’être, Henri Lopes ne traque plus l’identité, se voyant comme le réceptacle de milliers d’identités. Il se souvient avec dépit de ce jeune homme dogmatique qui prétendait extirper chez les « broussards » de son pays une langue française conçue comme aliénation, quand eux, en aliénés consentants, n’entendaient pas au profit du lingala local se laisser dérober la langue de l’accession au modernisme, au statut, à la richesse. « En tout état de cause, le français n’est plus en Afrique une langue étrangère », reconnaît-il aujourd’hui. Et s’il évoque ses ancêtres gaulois, ceux-ci ne sont pas du côté de Vercingétorix, mais plutôt chez « Homère, Platon, Ovide, Montaigne, Montesquieu, Voltaire… », et toutes ces figures de la littérature qui constituent, en français, le patrimoine d’un écrivain qui se veut, mais on s’en doutait, surtout francophone. De la Francophonie, sujet qui lui est cher, Henri Lopes note s’il était besoin qu’elle doit tant aujourd’hui à l’Afrique qu’il conviendrait que celle-ci n’y soit plus invitée « en bout de table ».
Ces textes courts, notes prises sur le vif dans le mouvement d’une carrière de diplomate, ne se veulent pas de grands moments de littérature. Mais ils peuvent nourrir, avec parfois un joli sens de la formule, certains débats d’aujourd’hui.

Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois, Ed. Gallimard, Coll. « Continents noirs », 112 p., 11,50 euros.
Thierry Perret


Le sud-africain Ivan Vladislavic raconte le douloureux passé de son pays

(MFI) Dans ce très petit livre (44 pages), Le Banc « réservé aux Blancs », le nouvelliste sud-africain Ivan Vladislavic traite avec humour et ironie de la douleur, de la mémoire, de l’oubli. Autant de mots qui prennent un sens d’une extrême gravité dès lors qu’il s’agit d’évoquer en Afrique du sud le temps de l’apartheid, aujourd’hui officiellement aboli mais dont les ravages continuent de ronger les mémoires. Un passé, à peine vieux d’une décennie.
Un musée de l’apartheid a été construit à Johannesburg et la veuve du pasteur Martin Luther King est venue le visiter. A l’issue de sa visite, elle choisit de « prendre la pose » pour les photographes, dans la cour, sur un banc, témoin du passé, portant l’inscription « réservé aux blancs ». Or, ce banc a une histoire, il s’agit d’un faux banc repeint pour la circonstance mais écarté au dernier moment par la directrice qui ne voulait se satisfaire de ce faux et avait demandé à son équipe de partir en quête d’un « vrai » banc, authentique témoin de cette période...
Ainsi, à partir de ce fait et de quelques autres, en apparence banals, Ivan Vladislavic (dont on a pu lire précédemment traduit en français par les éditions Complexe, Portés disparus (1), démonte le jeu subtil des faux semblants, de l’apparence et de l’authenticité. Un banc repeint avec une « vieille » formule, un doute sur l’âge et l’orthographe exacte du nom d’Oscar Peterson, la première victime de la révolte de Soweto, et, incidemment le passé resurgit, le trouble s’insinue. Le passé est douloureux et décidément bien embarrassant.

Le Banc « réservé aux Blancs », par Ivan Vladislavic. Ed. Zoé, coll. « écrits d’ailleurs », 44 p., 8 euros
(1) Portés disparus, par Ivan Vladislavic. Ed. Complexes, 144 p., 18 euros.
Bernard Magnier


Trois poètes font le printemps

(MFI) Parmi les multiples initiatives organisées en France, cette année, par le Printemps des poètes, il en est une qui a rendu possible la publication de trois volumes de poésie ayant pour thème l’espoir. Le choix thématique est loin d’être innocent lorsque l’on sait que les trois poètes invités sont originaires de trois lieux du monde qui traversent ou viennent de traverser des moments particulièrement troubles de leur histoire : la Côte d’ivoire avec Tanella Boni (« Ma peau est fenêtre d’avenir »), Madagascar avec Nestor Rabearizafy (« La Sève des jours ») et Haïti avec Fils-Lien Ely Thélot (« Ton rire est une aube inconnue »). Tous trois ont participé à une résidence d’auteurs et à une lecture-spectacle de leurs textes, « Voix proches au loin », présentée à La Rochelle puis à Paris. Heureuse initiative qui offre une confrontation des espaces et une complémentarité des générations et des voix.
Écrivain déjà reconnue, Tanella Boni en appelle à un « demain » qui « promène l’espérance sur les lignes de la main » et choisit de s’adresser à un « tu » qui, au-delà du factuel, peut être entendu par tout lecteur. C’est en revanche avec un « je » volontiers martelé que le plus jeune des trois, Fils-Lien Ely Thélot, né en Haïti en 1976, mêle en une même douleur les déchirements intimes et les blessures de l’Autre. Et c’est au coeur d’une nature complice que le Malgache Nestor Rabearizafy trouve le réconfort et l’espoir en des textes qui alternent vers lapidaires et prose, jouant volontiers de la rime et de l’assonance, à l’instar de cette « pulpe consentante des mangues odorantes ».

« Ma peau est fenêtre d’avenir », par Tanella Boni. « La Sève des jours », par Nestor Rabearizafy. « Ton rire est une aube inconnue », par Fils-Lien Ely Thélot. Ed. Rumeur des âges, chaque volume 10 euros, 54 p.
Bernard Magnier


Aziz Chouaki : sous le rêve la rage

(MFI) Moussa rêve de son destin de chanteur et pour cela est prêt à tout, ou, pour le moins, à beaucoup. Il veut « devenir Massy, la nouvelle vedette de la chanson kabyle moderne ». Il veut être une star... L’Etoile d’Alger, comme le suggère le titre du dernier roman de l’Algérien Aziz Chouaki. Le Michael Jackson algérien ! Mais dans l’Algérie des années 90, Moussa va se heurter à une succession de murs dressés entre lui et ses ambitions. De manager véreux en amours malheureuses, il voudra néanmoins poursuivre sa quête, affirmer par là-même une identité kabyle contestée par le pouvoir central mais, de découragements en déconvenues amoureuses et professionnelles, il sera un instant tenté, à l’instar de quelques-uns de ses amis, par l’exil en France avant de sombrer dans les dérives des paradis artificiels et tomber dans les mains de ceux qu’il entendait combattre.
Au chaos décrit et subi par son héros, Aziz Chouaki offre le miroir d’une langue abrupte souvent proche d’une oralité, composée de notations qui campe le décor, l’attitude d’un personnage, les réflexions d’un autre en quelques phrases nominales d’une terrible efficacité (« Salle de bains, brin de toilette, coupures d’eau. »). Son héros dit aussi, avec gravité et humour, la détresse d’une génération désemparée et livrée aux pires extrémités. On retrouve dans ce texte les qualités qui avaient fait apprécier, en son temps, Les Oranges (Mille et une nuits), un monologue adapté avec succès pour la scène.

L’Etoile d’Alger, par Aziz Chouaki. Ed. Balland, 190 pages, 18 euros.
Bernard Magnier


Des nouvelles du Soudan

(MFI) Un dernier rêve est un objet à la fois précieux et léger, évoquant le livre d’art ou le recueil de poèmes sans être pourtant ni l’un ni l’autre. Deux courtes nouvelles, une dizaine de peintures en couleurs et une dizaine d’autres, plus proches de la calligraphie arabe, en noir et blanc, le tout créé par un seul homme, peintre et écrivain venu du plus vaste pays d’Afrique, le Soudan. Les tourments du vieil aigle sont une variation sur le thème de la mort et de la déchéance, dont le signe majeur est la cohérence perdue avec les autres éléments du vivant. La seconde nouvelle, qui donne son titre au recueil, narre l’histoire plutôt loufoque d’un obscur fonctionnaire subitement doté du don de faire des rêves prémonitoires et heureux. Il devient, contre son gré, l’idole d’une nouvelle secte, « Les Bénéficiaires de son Sommeil », et décide donc de faire un dernier rêve…
Né à Kassala, à l’est du pays, Ahmed Abdel Aal a consacré sa thèse de doctorat aux principes esthétiques de l’islam à travers la pensée d’Ibn Arabi ; il est aujourd’hui le doyen de la Faculté des Beaux-arts de Khartoum. S’inscrivant dans la tradition soufie, omniprésente dans l’islam soudanais, Ahmed Abdel Aal a fondé l’Ecole de l’Un, le plus influent des groupes artistiques du pays, pour lequel « la création artistique contemporaine doit prendre ses repères dans la civilisation qui l’abrite », souligne dans son introduction Thierry Quinqueton, directeur du Centre culturel français de la capitale soudanaise. Un dernier rêve est une collaboration de ce centre avec les éditions Alternatives (Paris) et les éditions Khadamat al Moustaqbal (Khartoum).

Un dernier rêve, texte et illustrations d’Ahmed Abdel Aal. Traduit de l’arabe par Iman Satti. Ed. Alternatives, 64 p., 10 euros.
Ariane Poissonnier


Musique urbaine au Katanga

(MFI) « En attendant la renaissance de l’industrie du livre au Congo », la collection Mémoires lieux de savoir-Archive congolaise (L’Harmattan) s’efforce « de contribuer à la meilleure connaissance de ces formes de savoirs que construisent les mémoires urbaines ». Elle est dirigée par Bogumil Jewsiewicki, professeur au Département d’histoire de l’Université Laval (Québec) et spécialiste de l’Afrique centrale francophone, dont les recherches portent sur l’analyse des processus de la mémoire dans les récits historiques et les représentations artistiques des sociétés post-coloniales. C’est dans le droit fil de ces recherches qu’est né le projet « Mémoires de Lubumbashi », qui a donné lieu, sur place, à quatre semaines d’activités culturelles et deux colloques des universitaires de la ville. Ce sont les contributions de ces chercheurs que Bogumil Jewsiewicki présente ici, chacune étant « autant un travail d’analyse de la documentation rassemblée que de dialogue de l’auteur avec la société dont il fait partie. »
Si la musique urbaine de Kinshasa-Brazzaville, comme de Yaoundé ou d’Abidjan, s’inspire alors des rythmes des Caraïbes et surtout de la rumba cubaine, celle de Lubumbashi puise plutôt, comme à Johannesburg, dans le jazz et la musique religieuse des églises noires protestantes. Capitale du cuivre dont la production industrielle commence en 1911, Lubumbashi voit naître une société ouvrière centrée sur le travail salarié ; l’Union minière du Haut Katanga (UMHK) joue un rôle prépondérant. « Avant 1957, rappelle l’un des contributeurs, Guy Nkongolo Funkwa, il n’existe pas de radio à Elisabethville (Lubumbashi). C’est par de grands hauts-parleurs placés par l’UMHK à côté de ses camps pour diffuser des communiqués de travail, qu’on entend pour la première fois ces disques. De 18 heures à 21 heures, hommes, femmes et enfants étaient rassemblés autour de ces appareils perchés au haut d’un poteau, dansant sur des morceaux de mélodie, et parfois les fredonnant. » Mais la musique est aussi et surtout jouée dans les bars, qui chacun s’attache un orchestre dans lequel les musiciens vont et viennent. Deux univers se côtoient dans la ville, celui qui renvoie à la tradition, au village, à la famille, au collectif, et celui de la modernité, du bar, de la séduction, de l’individu. La musique est le vecteur idéal de ces nouveaux défis de la société urbaine. Au fil des ans, la frontière entre les deux espaces évolue, et aujourd’hui, plusieurs de ces bars sont désormais transformés en lieux de prière…
Les contributions reviennent ainsi sur nombre d’aspects des musiques urbaines katangaises des années cinquante à aujourd’hui : « Musique, ambianceurs et femmes libres », « La musique religieuse », « Les kalindula », orchestre de jeunes autodidactes aux paroles satiriques et moralisatrices… Les textes de nombreux titres sont reproduits et traduits et, évidemment, les musiciens et artistes les plus connus ne sont pas oubliés. Le dernier chapitre donne la parole à Edouard Masengo Katiti (1933-2003), musicien emblématique « à la voix angélique », chef du fameux groupe Jeunes comiques de la commune de Kenya, plus connu sous le nom de Jecoke, qui avant l’indépendance tourna dans tout le Congo pendant trois ans, en Ouganda, au Kenya. Edouard Masengo raconte aussi les voyages en Europe et aux Etats-Unis, les quinze ans passés à Nairobi, où, en 1962, il rencontre Miriam Makeba en exil et lui apprend, outre le swahili, un cantique très populaire intitulé « Malaika »…

Musique urbaine au Katanga, de Malaika à Santu Kimbangu, sous la direction de Bogumil Jewsiewicki. Ed. L’Harmattan, coll. « Mémoires lieux de savoir-Archive congolaise », 180 p., 15,50 euros.
Ariane Poissonnier


UN AUTEUR A DECOUVRIR

La quête des origines d’Amin Maalouf


(MFI) C’est un gros livre de quelque cinq cents pages. Sur sa jaquette blanche, la photo jaunie d’un pique-nique familial. Les vêtements, les coiffes, les expressions qu’arborent les protagonistes laissent penser que la scène se déroule au début du siècle dernier, vraisemblablement dans un milieu levantin occidentalisé. Au-dessus de la photo s’étale en lettres rouges le titre de l’ouvrage : Origines. Non, il ne s’agit pas d’un traité d’anthropologie, mais d’une biographie familiale. Son auteur n’est autre que l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf dont c’est le onzième ouvrage. Après s’être distingué dans la veine historique qui lui a valu en 1993 le prestigieux prix Goncourt, le romancier de Samarcande et du Rocher de Tanios s’est penché cette fois sur l’histoire des siens. Origines raconte l’odyssée de ce que Maalouf appelle sa « tribu » et le drame de leur dispersion, à partir du Liban sous domination ottomane jusqu’au continent américain.
Le parcours personnel de Maalouf s’apparente à celui de sa communauté. Il a vingt-sept ans quand éclate la guerre civile qui va ensanglanter le pays du Cèdre pendant presque deux décennies. Fils d’un patron de presse, journaliste lui-même et « allergique » à la guerre, il quitte le Liban dès le début des turbulences en 1976 pour aller faire sa vie ailleurs, sous des cieux plus cléments. A la fois anglophone et francophone comme beaucoup de Libanais, tout en maîtrisant parfaitement l’arabe sa langue maternelle, il décide de s’établir à Paris où, après avoir exercé le métier de journaliste pendant plusieurs années, notamment en tant que rédacteur en chef éditorialiste de Jeune Afrique, il s’embarque dans une carrière littéraire. Une vocation qui lui vient, si l’on en croit les interviews que Maalouf a données, de son père. « Il racontait les histoires merveilleusement bien, mais il aura une certaine pudeur à les écrire, cela ne cadrant pas à l’époque avec son image d’éditorialiste. Pour ma part, j’ai toujours eu ce désir de raconter des histoires. »
Il va assouvir ce désir en composant des romans historiques. Il publie en 1986, après un essai, Les croisades vues par les Arabes (Lattès, 1983), son premier roman Léon l’Africain (Lattès). L’intrigue se situe au 15e siècle, à l’époque de la Reconquista qui voit tomber l’un après l’autre les royaumes musulmans d’Espagne. Sur fond de guerres et de turbulences, il retrace les pérégrinations d’un certain Hassan al-Wazzan, habitant de Grenade et de Fès, qui ne cesse de traverser les frontières entre l’Orient et l’Occident avant de finir dans le Vatican où il se convertit au catholicisme à l’instigation du Pape en personne et devient le géographe personnel de ce dernier sous le nom de Jean-Léon de Médicis. « Moi, Hassan fils de Mohamed le pezeur, moi Jean-Léon de Médicis, circoncis de la main d’un barbier et baptisé de la main d’un pape, on me nomme aujourd’hui l’Africain, mais d’Afrique je ne suis, ni d’Europe, ni d’Arabie, on m’appelle aussi le grenadin, le fassi, le Zayyati, mais je ne viens d’aucun pays, d’aucune cité, d’aucune tribu, s’exclame le héros. Je suis le fils de la route, ma patrie est la caravane, et ma vie la plus inattendue des traversées ». Des paroles que l’auteur pourrait reprendre à son compte tant les histoires et les personnages qu’il met en scène reflètent les valeurs de nomadisme, de multiculturalisme et de tolérance qu’il incarne et défend avec passion dans la vie. « J’écris parce que j’ai besoin de réfléchir sur ma vie, et pour faire avancer des opinions qui me paraissent fondamentales », aime-t-il dire.
Tous les romans de Maalouf s’inscrivent dans cette logique. Entremêlant l’histoire avec un grand « H » et les destins personnels des personnages fictifs, il a construit une oeuvre profondément marquée par la quête de l’universel, de la liberté et de la connaissance. Qu’ils soient poètes comme dans Samarcande (Lattès, 1988), philosophe comme dans Les Jardins de Lumière (Lattès, 1991), médecin comme dans Les Echelles du Levant (Grasset, 1996) et libraire comme dans Le Périple de Baldassar (Grasset, 2000), ses personnages sont d’intrépides voyageurs qui, faisant leur chemin à travers des civilisations, des cultures et des tribus, se révèlent à eux-mêmes. Ils découvrent que l’identité est moins une question d’essences que de rencontres et de métamorphoses. Le cadre est plus contemporain dans Le premier siècle avant Béatrice (Grasset, 1992) et Le Rocher de Tanios (Grasset, 1993) qui fut couronné par le prix Goncourt, mais la thématique demeure la même.
Son traitement aussi. Appelé « Monsieur Shéhérazade » par ses fans, c’est en conteur que Maalouf raconte ses récits, mélangeant le lyrisme et l’érudition avec ce pacte instinctif avec le public qui est le propre des poètes oraux. C’est ce qui explique sans doute l’immense succès que connaissent ses romans dont plusieurs sont devenus des best-sellers en France, faisant de Maalouf un des poids lourds de l’édition française.
Origines ne dérogera sans doute pas à la règle car, pour autobiographique qu’il soit, il n’abandonne pas la perspective historique profonde qui a fait la renommée de Maalouf. Partant des heurs et malheurs de sa famille, plus particulièrement de son grand-père Botros, il brosse dans cet ouvrage si riche et dramatique en anecdotes la vaste fresque d’un siècle et demi d’histoire, politique et sociale du Levant. Les lecteurs de Maalouf seront autant moins dépaysés qu’ils seront guidés dans les labyrinthes de cet « orient compliqué » par le style alerte et lucide d’un des plus grands orientalistes de notre époque.

Origines, par Amin Maalouf. Ed. Grasset, 485 p., 21,50 euros.
T. Chanda




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