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14/05/2004
Cinéma : Occupation, guerre, exil : les films arabes à Cannes

(MFI) Sélectionné par la Quinzaine des Réalisateurs (festival de Cannes, 12-23 mai), Mur est un documentaire de Simone Bitton sur la barrière de sécurité édifiée par Israël. Premier long métrage de fiction de la libanaise Danielle Arbid (Quinzaine), Dans les champs de bataille est une chronique douce-amère prenant pour cadre le Beyrouth des années 1980. Autre premier film, A Casablanca, les anges ne volent pas, du Marocain Mohamed Asli (Semaine de la Critique), sur les ravages de l’exode rural.

L’homme est massif. Les muscles à peine empâtés, le visage carré, bronzé, sillonné de rides profondes évoquent plus l’ancien soldat que le haut fonctionnaire. Tranquillement, posément, il fait face à la caméra. Réponses minimalistes, à l’image du dispositif : une table (vide), deux drapeaux israéliens. Amos Yaron, directeur de cabinet du ministre de la Défense, répond aux questions de Simone Bitton, documentariste, née dans une famille juive marocaine, installée à l’âge de onze ans à Tel Aviv. Question : « Etes-vous conscient des dégâts écologiques occasionnés par le Mur ? ». Oui, « Nous réparons de notre côté, et de l’autre. » Une pause. « En fait, nous considérons les deux côtés comme les nôtres… » Sens du cadre et de l’attaque, conscience de la distance à tenir : l’idée ici à l’œuvre est d’enregistrer les conséquences de l’édification de la barrière de sécurité dans toutes leurs dimensions, présentes et futures, individuelles et collectives, réelles, imaginaires, symboliques. Car « le Mur » ne fait pas que cliver le paysage, il radicalise les discours, catalyse les tensions. « Chez nous, un enfant sur quatre veut mourir en martyr », note un ami de la réalisatrice, interrogé depuis Gaza par le biais d’un crachotant multiplex.

Ligne de suture

Rien de plus concret, rien de plus abstrait que ce colossal chantier sur lequel s’affairent des norias de bulldozers : 500 kilomètres de long, 50 mètres de large, une longue balafre bétonnée qui défigure le pays, emprisonne, expulse, exproprie. Mais aussi un monstrueux test du Rorschach, la ligne de fuite le long de laquelle un fantasme prend corps et contagionne : discours, actes, propos. Qu’est-ce que le Mur ? Pour le ministre, « une ligne de suture » contre les kamikazes. Pour les petits propriétaires terriens, un désastre qui les voue à la ruine en les séparant de leurs oliviers, « seule richesse du pays ». Pour cet habitant (juif) de Matan, une barrière aberrante qui clive la ville. Mais une fois le mur franchi, le même ne peut que constater : « Nous avons parcouru la distance physique en 5 minutes, mais la distance psychologique était immense ». Pour les manœuvres irakiens et jordaniens qui travaillent à son édification, une manne providentielle (« Ne me filmez pas, l’OLP me tuerait », blague l’un d’eux, mi-figue mi-raisin »). Les habitants de Har Homa, nouvelle colonie à quelques jets de pierre de Bethléem, le dénoncent comme une utopie démagogique qui ne les protègera en rien des « terroristes arabes ». Pour cette femme de Jérusalem, c’est une source de nuisance, celle de ces dizaines de journaliers qui, à l’aube, tentent de le contourner en passant sous ses fenêtres : « Parfois, les enfants du voisin offrent de l’eau et du Coca aux vieux. Je leur dis qu’ils devraient vendre du pop corn et des lupins, faire du business ! » Bitton multiplie focales et perspectives, aligne les points de vue, se refusant à tout discours surplombant. Les images, il est vrai, font sens d’elles mêmes, à l’image de ce très long plan-séquence sur lequel s’ouvre le film. Une vallée plantée d’oliviers occupe le cadre, déjà en partie occulté par un pan du mur. Edénique paysage, peu à peu masqué par la pose d’une nouvelle dalle, emboîtée telle l’ultime pièce d’un jeu de Lego géant, laissant le spectateur aveugle, nez collé sur le béton. Ailleurs, à l’autre bout du film, des habitants de Jérusalem traversent le mur, enjambent les barbelés avec femme, enfants, bébés. Ici et ailleurs, c’est une seule et même routine, celle de l’intolérable, qui est mise à nu. C’est l’atout essentiel autant que la principale limite d’un film qui se refuse à suivre un fil rouge, gardant un montage éclaté, arbitraire, renvoyant dos à dos témoignages et entretiens.

Haute bourgeoisie libanaise

Ailleurs, en d’autres lieux, d’autres temps, une autre guerre : celle du Liban, dont Danielle Arbid trace la chronique dans son premier long métrage de fiction. Dans les champs de bataille retrace quelques semaines de la vie de Lina, 12 ans en 1983, fille de la haute bourgeoisie libanaise : dîners interminables sous la férule d’une intraitable grand-mère, engueulades familiales, parties de poker. Arbid n’occulte rien de la guerre : ni les patrouilles de miliciens en armes, ni les longues nuits passées sous les bombardements, dans une cave du voisinage. Mais elle a aussi l’intelligence de montrer ce qui l’excède et lui survit : fou-rires avec la bonne, espionnage (admiratif) du fils des voisins, virées sur la corniche. Sauvé du cliché par son inspiration nettement autobiographique, son film a le mérite de restituer avec précision et sensualité l’esprit d’une époque, celle de ces années de guerre qu’on devine tout à la fois fiévreuses, fêtardes et désespérées. On ne peut hélas en dire autant d’A Casablanca, les anges ne volent pas. Pour son premier long métrage, le Marocain Mohamed Asli veut tout traiter : ravages de l’exode rural (misère aidant, son héros est contraint d’abandonner femme et enfants pour aller travailler à Casablanca), analphabétisme, corruption, miroir aux alouettes que constitue pour les pauvres du monde entier toute grande métropole. Une seule image reste en tête : celle d’un très beau, très racé cheval, paré comme pour une fantasia, galopant parmi les voitures et les motocyclettes d’un embouteillage casablancais. A l’instar du pur-sang, on aurait aimé que ce film un peu trop tenu prenne parfois le mors aux dents.

Elisabeth Lequeret

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