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MFI HEBDO: Culture Société Liste des articles

23/07/2004
Chronique Livres

L'essentiel d'un livre
Plongée dans l’histoire épique et véridique d’un peuple pasteur


(MFI) Délaissant ses thématiques habituelles centrées sur la faillite de l’intellectuel en Afrique ou les heurs et malheurs de la diaspora africaine en France, le Guinéen Tierno Monénembo raconte dans son nouveau livre l’odyssée millénaire des Peuls.

« Au commencement, la vache. Guéno, l’Eternel, créa d’abord la vache. Puis il créa la femme, ensuite seulement, le Peul. Il mit la femme derrière la vache… » Ainsi s’ouvre le huitième roman du talentueux Tierno Monénembo, intitulé sobrement Peuls. Bien que la mention « roman » soit inscrite au beau milieu de sa couverture, Peuls n’est pas un roman comme un autre. C’est avant tout le récit épique de l’itinéraire de l’un des peuples nomades les plus anciens et sans doute les plus romantiques du continent africain. Ses origines ne se perdent-elles pas dans la nuit des temps, au pays mythique de Héli et Yoyo entre le fleuve Milia et la mer de la Félicité ? La tradition orale ne suggère-t-elle pas que le Peul est né sur les terres immémoriales des pharaons, de l’union de l’Hébreu Bouïtôring et de la Noire Bä Diou Mangou ? Puisant à la fois dans des études historiques sérieuses, comme le confirme la bibliographie qui clôt l’ouvrage, mais aussi dans la riche poésie orale peule qui est un réservoir sans fond de légendes, de mythes cosmogoniques et d’histoires réelles ou fantasmatiques, Tierno Monénembo a réimaginé sur le mode de la fiction et de la poésie la marche de son peuple, de l’anonymat à la grandeur, de la grandeur à la décadence. Il y a de l’Iliade, du Mahabharata, du Nibelungenlied et du Kalevala dans ce roman-là.
Mais il y a aussi tout le savoir-faire d’un artiste hors pair qui fait de l’auteur de Peuls l’un des romanciers majeurs de langue française. Guinéeen comme Camara Laye, Alioum Fantouré et William Sassine, Tierno Monénembo partage avec ces derniers, tous condamnés à l’exil par le régime de Sékou Touré, la nostalgie des origines et ce besoin à nul autre pareil de redessiner par l’imaginaire les contours de la patrie abandonnée, confisquée par un pouvoir politique déliquescent. Ces thématiques sont au coeur des romans complexes et souvent polyphoniques que Monénembo a fait paraître à intervalles réguliers depuis la fin des années 70. Mais l’originalité de cet écrivain subtil et moderne réside moins dans le contenu de ses livres que dans sa quête obsédante d’une narration et d’une tonalité en phase avec son univers souvent décalé, toujours désarticulé. Dans Peuls, ce décalage est incarné dès les premières lignes par le récitant sérère, apostrophant son interlocuteur peul imaginaire. Sa voix moqueuse, s’abritant derrière la tradition de la parenté à plaisanteries entre le noble sérère et le berger peul, tourne en dérision les us et coutumes de ce dernier. Cela donne des séquences savoureuses composées d’injures, d’invectives et de grossièretés. Elles ponctuent agréablement les quatre cents pages de cette magistrale chronique de guerre et de paix, mettant en scène l’Histoire avec un grand « H » du peuple peul. La narration de Monénembo se déroule sur près de cinq siècles, depuis le 15e, date à laquelle la légendaire dynastie des Tenguéla mobilisa autour d’elle les clans, les sous-clans, les tribus et autres campements, qui composaient cette population de bergers nomades errant dans les plaines de l’Ouest africain pour fonder le premier grand empire peul, jusqu’à la colonisation, en passant par les djihads successifs menés par les guerriers-prophètes, qui ont conduit à la création des États théocratiques puissants d’inspiration musulmane du Fouta-Djalon, du Macina ou de Sokoto. Les dynasties se succèdent, se déchirent, s’entretuent sur la scène d’un monde turbulent dont Tierno Monénembo brosse à grands traits les incertitudes et les précarités, sans oublier les destins individuels marquants tels ceux de Samba Guéladio ou d’El Hadj Omar que la mémoire collective peule continue de célébrer à travers ses nombreuses épopées et gestes.
A la fois épique, lyrique et familier, Peuls renoue avec ce riche corpus de littérature héroïque traditionnelle, tout en mariant avec brio sa portée collective avec la célébration romanesque de l’émergence de individu et de l’esprit critique.

Peuls, par Tierno Monénembo. Editions du Seuil, 383 p., 22 euros.

Tirthankar Chanda


En FrançAlgérie : carnet de voyage de Leïla Sebbar

(MFI) Les livres de la Franco-Algérienne Leïla Sebbar se lisent comme des étapes successives d’une quête identitaire : celle de leur auteure déchirée entre les deux rives de la Méditerranée. Depuis ses premiers ouvrages parus il y a quelque trente ans, l’auteure de Shérazade et de Je ne parle pas la langue de mon père a fait de sa plume un outil d’exploration de soi et de réconciliation des différences inconciliables qui la constituent. Née d’une mère française et d’un père algérien dans une Algérie coloniale où elle a grandi avant de venir s’installer définitivement en France en 1962, « Leïla Sebbar est fille des deux côtés de la Méditerranée, une femme de l’entre-deux, une méridienne », écrit l’historienne Michelle Perrot dans sa belle préface au dernier livre de Sebbar, intitulé Mes Algéries en France. Ce nouvel ouvrage qui est un carnet de voyages autobiographiques, accompagné de photos et de dessins, où se croisent l’Algérie et la France, la mémoire (les lieux de l’enfance en Algérie) et le présent (les cafés algériens du sud de France, les camps de harkis, les musées militaires, Marseille de Zidane), les hommes (Mouloud Felaoun , Mohammed Dib, Jean Pélégri, Kateb Yacine, Pierre Vidal-Naquet) et les femmes (Fatima, Djamila, Germaine Tillon, Josette Audin) des deux pays que l’auteure a aimés, admirés ou tout simplement observés, s’inscrit admirablement dans le travail de réinvention de soi littéraire de Leïla Sebbar. Il en est sans doute la dernière étape, comme semble le suggérer sa structure croisée qui, en faisant cohabiter les différences entre les deux rives, parvient à renouer les fils rompus d’une histoire commune dans laquelle pourra s’enraciner la nouvelle identité franco-algérienne.

Mes Algéries en France, par Leïla Sebbar. Ed. Bleu autour, 238 p., 28 euros.

T. Chanda


Le haut fonctionnaire, le théâtre et la barbarie

(MFI) La collection Actes-Sud papiers vient de faire paraître deux nouvelles pièces sous la plume du talentueux homme de théâtre algérien Arezki Mellal. Ce dernier s’était signalé à l’attention dans les années 80 en publiant des bandes dessinées (Queen Kong et Chaabane fi Ramdane) avant de se lancer dans l’écriture de nouvelles et de pièces de théâtre. La Délégation officielle, la pièce qui ouvre son nouveau recueil, raconte la perplexité d’un directeur de théâtre en Algérie, confronté aux mutations idéologiques du régime. « Il faut produire ou mourir », lui déclare son fonctionnaire de tutelle, converti de fraîche date au libéralisme. Sommé de remettre ses comédiens au travail trop habitués à l’assistanat, le directeur tente de mobiliser sa troupe en inventant la visite d’une délégation officielle. Comme Godot, la délégation ne viendra pas, mais l’annonce permettra de faire remonter à la surface toutes les frustrations accumulées ainsi que des interrogations sur le sens et la portée du théâtre dans un pays en développement : « Il n’y a pas de vrai théâtre dans la rue. (…) la vie n’est pas un théâtre », fait dire l’auteur à son protagoniste. La question de la création théâtrale est aussi au cœur de la deuxième pièce du recueil : Sisao. Elle raconte dans une langue lyrique les heurs et malheurs d’un créateur dépassé par sa création. Puisant son inspiration dans la réalité contemporaine de son pays, Arezki Mellal explore inlassablement les difficultés de l’artiste à incarner « le souffle de la vie » face à la barbarie.

La Délégation officielle, suivi de Sisao, par Arezki Mellal. Coll. Actes Sud-Papiers, Ed. Actes Sud, 104 p., 15 euros.

T. Chanda


Une « mère courage » qui aurait lu Sony Labou Tansi

(MFI) La Mère trop tôt ! Dès le titre de sa pièce, Gustave Akakpo interpelle son lecteur. La Mère trop tôt... La formule est inhabituelle, au point que si elle est entendue on ne sait trop comment l’orthographier. Insolite donc. Dérangeant. Et n’est-ce pas là une des qualités de l’artiste que de déranger son interlocuteur et de l’empêcher de lire, d’entendre, de regarder ou de penser en rond ? Dramaturge, comédien, illustrateur et animateur culturel, Gustave Akakpo est un artiste multicartes qui revendique, avec raison, « plusieurs cauris dans sa calebasse ».
Ainsi dès le titre – mais la suite du propos est à l’avenant – le jeune (il est né en 1974) dramaturge togolais construit un monde singulier et chaotique peuplé d’enfants-adultes qui, dans une ambiance de guerre civile et de peur au ventre, jouent la farce tragique de leur survie fragile. La mort rôde, menace et obsède. Tous sont jeunes et emportés dans un destin incertain. Leurs actes et leurs gestes semblent dictés par des contingences dont ils ne maîtrisent pas l’issue et l’amour est un trouble-guerre qui ne parvient pas tout à fait à se rendre vainqueur. Dans cette pièce, Gustave Akakpo tend à démultiplier les voix. Tous ses personnages à l’identité incertaine ont un jumeau, un double ou un chœur qui s’en vient surenchérir et donner une autre mesure.
Gustave Akakpo signe là une pièce originale et riche de promesses malgré quelques scories. Il appartient à cette génération d’écrivains qui a lu les aînés et su observer au-delà des limites immédiates du continent. Sa « Mère trop tôt » a certes le « courage » brechtien mais le dramaturge a lu Sony Labou Tansi et sait avec talent trouver les « chairs mots de passe » pour dire les démons qui le hantent.

La mère trop tôt, par Gustave Akakpo. Lansman, 48 p., 8 euros.

Bernard Magnier


Le prix Louise Labé 2004 va au Congolais Léopold Congo-Mbemba

(MFI) Avec son quatrième recueil de poèmes, Ténors-Mémoires (Editions Présence Africaine), le Congolais Léopold Congo-Mbemba est le second poète africain après le Tchadien Nimrod à obtenir le prix Louise Labé. Dédié à Damas, Césaire et Senghor, préfacé par Daniel Biyaoula qui met en avant son retour aux valeurs de la Négritude, ce recueil s’inscrit dans une filiation affirmée et revendiquée qui a l’immense mérite de la clarté : « je me proclame de cette oeuvre / fut-elle inouïe / et j’assume d’être fou par les vents de mort / qui gouvernent en cette saison ». Résidant actuellement à Paris où il a poursuivi des études de philosophie, Léopold Congo-Mbemba est né à Brazzaville. Tchicaya U tam’si, Maxime N’Debeka, Jean-Baptiste Tati-Loutard, plus récemment Alain Mabanckou, la route poétique congolaise est longue et riche. La poésie de Léopold Congo-Mbemba s’y inscrit volontiers, tant les échos de ses aînés s’y trouvent et s’y répondent. Si ses premiers recueils (Déjà le sol est semé, Le Tombeau transparent et Le Chant de Sama N’deye) bruissaient des mots de ses aînés et, déjà, des combats du peuple noir, Ténors-Mémoires semble marqué d’une individualité plus grande, inscrite dans un « je » omniprésent. L’individu s’affirme mais il n’en demeure pas moins attentif aux drames du monde et au poids de l’Histoire. Les maîtres sont là, au détour d’un poème, dans la référence explicite d’un intitulé, dans la musique d’un vers. Les correspondances s’enchaînent tout au long de ce recueil au sein duquel les mots « rive » et « voix », « ombre » et « sang », « nuit » et « mort » sont autant de balises qui attestent la présence et marquent la lignée.

Ténors-Mémoires, par Léopold Congo-Mbemba. Présence Africaine, 132 p., 13 euros.

B. Magnier


Contes haïtiens à lire et à conter

(MFI) Depuis plusieurs années déjà et sur bien des scènes du monde, la conteuse Mimi Barthélémy donne voix aux mots de la tradition haïtienne et plus généralement du monde caraïbe. Conte faisant, elle ponctue son itinéraire de quelques cailloux (livres ou disques) qui permettent à ses auditeurs de prolonger le voyage au-delà de la représentation. Elle offre ici deux textes réunis en un seul volume : Une très belle mort et Caribana (Editions Lansman).
« Les morts ne sont pas morts... ceux qui sont morts ne sont jamais partis »... Mimi Barthélémy aurait pu reprendre les vers de Birago Diop en exergue de son texte, Une très belle mort, tant celui-ci restitue la présence des défunts. Mimi Barthélémy nous convie à l’enterrement de son père mais Baron-Samedi s’invite aux funérailles, et, dès lors, la magie opère, la parole et le chant se conjuguent pour conter la destinée de l’un, entremêler la destinée de Flamant Rose et de Vieille Iguane... Un texte qui est tout à la fois un hommage rendu aux disparus, un élan nostalgique vers quelque temps d’enfance et d’innocence et une conjuration de la mort.
Avec Caribana, il s’agit de conter la métamorphose de Timoun Fou en Caribana, « métisse de nègre et d’indienne ». Une occasion de dire cette géographie insulaire que l’Histoire a choisie pour y inscrire les confluences du monde. Mimi Barthélémy entremêle, telles des poupées gigognes, les histoires issues de la tradition indienne (arawak) et celles apportées par le continent africain.

Une très belle mort et Caribana, par Mimi Barthélémy. Lansman, 47 p., 8 euros.

B. Magnier


Un éditeur contre les maladies

(MFI) L’intention de ces trois courts volumes illustrés, destinés aux jeunes lecteurs et publiés en français par les éditions anglo-saxonnes Heinemann, est claire : prévenir, mettre en garde et tenter de prémunir contre les maladies et infections qui menacent le continent. Ces « livres documentaires pour l’Afrique » répondent à leurs ambitions grâce à la simplicité des propos et au didactisme avec lequel les informations sont données, même si l’on pourra regretter une tonalité parfois en décalage avec le quotidien des lecteurs visés. Prends garde ! d’Alfred Ojwang avertit des moyens les plus immédiats pour se prémunir des maladies tropicales (paludisme, bilharziose, onchocercose, tuberculose, etc.). La trame du livre est simple : dire ce qu’est une maladie, comment elle se transmet et se répand et ce qu’il convient de faire pour l’éviter. Sur le même principe et toujours avec le mêmes relais didactiques (dessins, photos, schémas et textes explicatifs, etc.) le volume Au secours de Steve Murray est consacré exclusivement au VIH et au SIDA. Sur le mode du récit mais avec une tonalité plus moralisatrice, Bintou doit choisir rapporte un dialogue entre une jeune fille et ses parents qui la mettent en garde contre les risques de ses aventures amoureuses.
Parmi d’autres moyens et énergies déployés, ces petits volumes font sans nul doute oeuvre utile mais il est vraisemblable qu’ils ne trouveront leur véritable efficacité que dans une utilisation pédagogique concertée, en servant d’outil-relai à une lecture commentée et argumentée.

Prends garde !, par Alfred Ojwang. Heinemann « Découvertes », 32 p., 5 euros.
Au secours, par Steve Murray. Heinemann « Découvertes », 32 p., euros.
Bintou doit choisir, Heinemann « Histoires », 16 p., 5 euros.

B. Magnier


Dé-soviétisation et ré-islamisation : le rôle des femmes en Asie centrale

(MFI) Soixante dix ans de régime soviétique ne sont pas parvenus à éteindre l’islam dans les républiques d’Asie centrale comme l’Ouzbékistan, le Kazakhstan ou le Tadjikistan. Elles ont accédé à l’indépendance en 1991 et sont entrées, depuis lors, dans un processus de dé-soviétisation qui prend bien souvent la forme d’une ré-islamisation. Des femmes, à l’époque où Moscou menait une lutte contre ces idéologies rétrogrades, les religions, ont préservé, dans la clandestinité, la flamme vacillante de la culture et des rites traditionnels musulmans. Elles se trouvent maintenant en première ligne face à la demande sociale forte de retour à l’identité.
En effet pour beaucoup de ces habitants des républiques d’Asie centrale, « russifiés » à leur corps défendant, le retour à l’islam est une façon de renouer avec la fierté nationale et de rétablir le lien relâché avec les origines ethniques et culturelles. Les gouvernements issus des indépendances encouragent cette forme de ré-islamisation, tant qu’elle participe à la constitution d’une identité nationale artificielle car les frontières que ces Etats revendiquent sont l’héritage de Staline.
De mère en fille, des femmes se sont transmis les gestes et les prières liés aux rites ancestraux accomplis à l’occasion des événements domestiques et familiaux, ainsi que les savoirs traditionnels des guérisseuses. Leur islam traditionnel et populaire, fruit d’une synthèse avec les fonds culturels d’Asie centrale, est contesté par les tenants d’un islam « savant », dégagé de toute « superstition » comme le culte des tombeaux des saints. C’est le cas, particulièrement, des islamistes, militants d’une religion de type saoudien, appelés wahhabî dans ces pays, partisans d’une application de la charia épurée de toutes ses coutumes jugées non islamiques. Habiba Fathi, chercheuse à l’Institut français d’Etudes d’Asie centrale à Tachkent (Ouzbékistan) a pu, en sa double qualité de femme et d’originaire d’un pays de culture musulmane, l’Algérie, pénétrer ce milieu encore peu connu.

Femmes d’autorité dans l’Asie centrale contemporaine, par Habiba Fathi. Ed. Maisonneuve & Larose, 348 p., 28 euros.

Francine Quentin


Un auteur à découvrir
Mahmoud Darwich, poète combattant


(MFI)Jamais Mahmoud Darwich ne s’est dérobé lorsqu’il s’est agi de combattre pour son pays, la Palestine. Mais le célèbre poète souhaitait surtout être reconnu comme un serviteur de l’écriture. Son dernier ouvrage, État de siège, marque cependant une rupture. L’œuvre, écrite en 2002 dans Ramallah occupée, évoque sans détour l’intifada et ses drames quotidiens.

Lorsqu’il décide en 1996 de se réinstaller à Ramallah et de publier sa célèbre revue Al-Karmel en terre Palestinienne, Mahmoud Darwich accomplit indéniablement un acte politique fort. Pourtant, ses conseils aux jeunes auteurs palestiniens sont sans ambiguïté. Il leur suggère de se défaire autant que possible des thèmes de l’occupation et de la guerre pour se consacrer pleinement aux lettres et à la poésie. Lui-même, après son retour en Cisjordanie, commencera par publier un recueil de poèmes dédié à l’amour (Le lit de l’étrangère, Actes Sud).
Ainsi se comporte le poète. A ses détracteurs qui l’accusent de se détourner du combat pour poursuivre sa quête poétique, l’homme répond que la lutte ne saurait tenir lieu de thème d’inspiration unique. Aux élégies de l’opprimé, aux cris de haine contre l’occupant, Darwich préfère la célébration de la vie sous toutes ses formes, même les plus modestes. Et si le combat fait partie de la vie, le poète ne se prive pas de chanter aussi l’amour, le désir, la liberté et la beauté. N’abandonnant jamais les thèmes prépondérants dans l’imaginaire collectifs des Palestiniens, il reste à sa manière fidèle à son peuple et à sa terre.
Car l’histoire de sa vie se confond, comme celle de nombre de ses compatriotes, avec la douloureuse chronique du conflit israélo-palestien. Né en 1941, près de Saint-Jean d’Acre en Galilée, Mahmoud Darwich devra par deux fois abandonner son village natal. En 1948 d’abord, au moment de la création de l’État d’Israël, puis en 1950, quand sa famille, revenue clandestinement du Liban découvrira sa maison détruite et le village remplacé par une colonie de peuplement israélien.
Revenu à Beyrouth, Darwich, bon élève, cherche dans la poésie un territoire qui ne lui échappera pas. Les récits de paysans pourchassés par la police nourriront ses premiers vers. Très vite cependant le jeune homme évoluera vers des thèmes plus universels. Fier de son appartenance à la nation et à la culture arabe, il s’efforce aussi de moderniser la poésie et invente des modes rythmiques nouveaux qu’il emprunte à la poésie andalouse. Cette perpétuelle quête des mots ne le détourne cependant pas du drame palestinien. En 1964, lassé des tracasseries de l’administration, il lance en guise de cri de colère, le fameux Incris ! Je suis arabe qui deviendra le plus célèbre de ses poèmes. Et s’il refuse aujourd’hui de le relire en public, lors des conférences qu’il donne partout dans le monde, préférant faire découvrir ses œuvres nouvelles, la dernière strophe du poème résonne encore : Inscris ! En tête du premier feuillet/ Que je n’ai pas de haine pour les hommes/ Que je n’assaille personne mais que/ Si j’ai faim/ Je mange la chair de mon usurpateur/ Gare, gare, gare/ A ma fureur.
Se définissant comme un poète arabe et populaire, Mahmoud Darwich, a longtemps évoqué « La Palestine comme métaphore ». Ce vocable, qui est aussi le titre d’une série d’entretiens avec lui (Babel, Actes Sud, 2002), résume la question cruciale. Comment faire vivre avec de simples mots un pays privé d’existence légale et de frontières reconnues ? En dépit de longues années d’exil, le poète n’a jamais renoncé. A Beyrouth, mais aussi à Tunis – où il avait suivi l’OLP – ou à Paris, Darwich s’est efforcé de faire vivre, sans nostalgie d’exilé, sa part de Palestine comme il le fait aujourd’hui à Ramallah.

État de siège, par Mahmoud Darwich. Poème traduit de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar, Actes Sud/Sindbad, 145 p., 23,90 euros.

Geneviève Fidani




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